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Les Microlycées. Accueillir les décrocheurs, changer l’école

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C’est le récit de ce qui constitue incontestablement l’une des principales aventures pédagogiques de ces dernières années qui nous est contée dans cet ouvrage. Car c’est bien en effet d’abord de récits dont il s’agit, s’appuyant à la fois sur l’évocation d’itinéraires scolaires de différents jeunes en rupture de scolarité et sur le vécu des auteurs eux-mêmes, très engagés dans cette expérience. En effet, Nathalie Broux est coordinatrice du microlycée de la Courneuve depuis 2010 et Eric de Saint-Denis a fondé et dirigé le premier microlycée à Sénart en 2000, puis le second à Vitry en 2008.

L’ouvrage reconstitue ainsi d’abord toute la genèse de cette aventure, en insistant sur l’importance au départ du travail en équipe des enseignants, sur les rencontres entre équipes de différents établissements qui ont permis de peaufiner la réflexion engagée, et enfin sur la nécessité d’une réelle volonté politique pour mener à bien les projets proposés. Très clairement, il apparaît que la colonne vertébrale du projet des microlycées, dès le départ, est la question du décrochage scolaire et la nécessité d’apporter à ce phénomène des réponses adaptées. C’est donc une analyse approfondie des causes du décrochage qui va guider la conception des microlycées. Ceux-ci veulent ainsi dès leur origine se démarquer de l’organisation traditionnelle des lycées, marquée par l’anonymat d’élèves noyés dans la masse, une organisation très parcellisée des enseignements pouvant compromettre le sens de l’école pour les plus fragiles, et aussi une multitude d’interlocuteurs pas toujours bien en liens pouvant désorienter voire décourager.

Puis plusieurs chapitres décrivent dans le détail l’organisation des microlycées. Si l’accent est mis sur l’accompagnement de la singularité de chaque élève, à travers différents dispositifs (deux entretiens individuels au moment de l’inscription, une pratique du tutorat – la « référence » – généralisée à tous les élèves, etc.), les auteurs insistent également sur la nécessaire inscription des élèves dans un collectif. En effet, pour les anciens « décrocheurs », revenir à l’école, ce n’est pas seulement revenir en cours, c’est accepter de se réinsérer dans une collectivité en respectant un cadre et en tenant compte des autres : il s’agit donc pour les concepteurs des microlycées de proposer « une école qui fasse société », et, de fait, les microlycées apparaissent comme de véritables microsociétés, où la grande majorité des élèves parvient à trouver sa place. La salle commune, où les casiers des élèves jouxtent ceux des professeurs, symbolise bien cette dimension : élèves comme professeurs y déposent et prennent leurs affaires, certains élèves s’y entretiennent individuellement ou en petit groupe avec un professeur, souvent même, élèves et professeurs y déjeunent côte à côte, et beaucoup d’élèves préfèrent travailler là plutôt qu’au CDI.

Grâce à leur analyse à la fois rigoureuse et toujours ancrée dans la dimension humaine, les auteurs nous donnent à voir une véritable personnalisation de l’enseignement, à la fois attentive à chacun, mais soucieuse aussi d’un fonctionnement harmonieux du groupe, devant constituer pour tous un cadre épanouissant. La petite taille de microlycées apparaît ainsi comme un trait fondateur permettant cette personnalisation, mais il n’est pas le seul. Les auteurs insistent également sur les conceptions et les valeurs des enseignants travaillant dans ces structures, auxquels tout un chapitre est consacré. Car l’enseignant travaillant en microlycée a un profil particulier : il refuse de limiter sa mission à la transmission de savoirs et savoir-faire strictement disciplinaires, il accepte des tâches annexes (temps de permanence, fonction administratives, logistique ou même ménage !), il effectue un temps de présence important dans son établissement (27 h 30 pour l’exemple présenté), il accorde une grande importance au travail en équipe, etc. Ces principes et ces valeurs sont d’autant plus partagées que, pour enseigner en microlycée, il faut se porter volontaire, et c’est généralement un système reposant sur la cooptation qui prévaut : cette autonomie de recrutement est revendiquée pour des raisons de cohérence pédagogique et aussi car c’est ici un investissement important et difficile qui est demandé aux enseignants. Ceux-ci sont d’ailleurs souvent très critiques à l’égard du fonctionnement général du système scolaire et trouvent dans les microlycées un lieu où développer des pratiques qu’ils ne peuvent véritablement approfondir dans un établissement classique.

On se rend ainsi compte peu à peu, à la lecture de l’ouvrage, que les microlycées constituent une véritable alternative à la « taylorisation scolaire » et se développent en ayant le souci de se distinguer des lycées traditionnels. Mais d’autre part, on prend aussi rapidement conscience à la lumière de ces pages, qu’un certain nombre de caractéristiques pédagogiques peuvent être transférées dans des lycées plus traditionnels, afin de les mener à évoluer dans le sens d’un meilleur accompagnement des élèves.

Enfin, de façon plus générale, ce récit précis et passionnant de l’aventure des microlycées permet de souligner l’importance du cadre et des structures dans tout projet pédagogique, même si ce sont les différents acteurs qui leurs donnent vie et sens.

Yves Lecoq

a_trois.jpgL’interview des auteurs par ingrid Duplaquet