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Les maths et la formation des élèves ?

Pourtant, pendant des années, l’APMEP a défendu, avec les IREM [[Instituts de recherches sur l’enseignement des mathématiques]] , des positions d’ouverture : faire passer le sens des maths aux élèves, par les situations-problèmes, par des activités liées à l’histoire ou à l’épistémologie, par l’ouverture aussi vers d’autres disciplines. Aujourd’hui, on a l’impression que le discours s’est radicalisé dans un sens revendicatif plus « traditionnel » : l’éditorial du bulletin de l’association de septembre 2001 (numéro 435) titre : « Le grand défi : remettre les élèves au travail », et adopte un ton digne des syndicats les plus protestataires. Qu’est-ce qui a mis ces profs de maths en colère ? Précisons d’emblée que le point de vue que je propose provient de la salle des profs d’un lycée ordinaire, le mien, et qu’il n’exprime que ma façon de voir les choses…

Au-delà de l’évolution extrême qui semble être celle de l’APMEP (ou de son président ?), il y a dans la salle des professeurs, c’est vrai, l’expression d’un malaise : comme pour les autres disciplines, nous ressentons l’élargissement de notre base de recrutement, et les changements dans les comportements des élèves. Il semble y avoir, entre les enseignants, les « experts » et les responsables qui nous pilotent, mais aussi la société dans son ensemble, beaucoup d’incertitudes ou de contradictions quant à la place et au rôle des maths dans la formation des jeunes d’aujourd’hui.

Dans ce contexte flou, les déclarations intempestives du ministre Allègre ont envenimé en leur temps la situation : « Les mathématiques sont en train de se dévaluer, de façon quasi inéluctable. Désormais, il y a des machines pour faire les calculs. Idem pour les constructions de courbes [(voir Bulletin n° 427, mars 2000, p. 147.]]. » On sait les ravages qu’ont provoqués ce type de propos simplificateurs… Et on n’a pas l’impression que le changement de ministre ait considérablement réorienté les choses.
Qu’en est-il des transformations propres à la discipline ?

Les nouveaux programmes : pas de visée explicite suffisamment large

Mis en place depuis deux ans au lycée, ils concerneront les terminales à la rentrée 2002. L’impression dominante est celle d’un bricolage permanent. Les nouveautés (la simulation en statistiques, les graphes en spécialité en terminale ES) semblent venir là surtout parce que dans le groupe de travail ministériel, a été recruté un « spécialiste » de ces domaines… Les documents de travail préparatoires ont certes été largement soumis à consultation, mais avec des effets pervers : abondance de documents « en évolution », qui, se superposant les uns aux autres ont brouillé l’ensemble au point de ne plus savoir ceux qui étaient d’actualité ou non ; sentiment que les « remontées du terrain » n’ont pas été réellement prises en compte dans l’état final des textes. De plus, comme l’APMEP le souligne justement [[Bulletin n° 433, mars 2001.]], ces programmes manquent « de précisions sur ce que doit savoir faire l’élève », « des contenus nouveaux sont ajoutés sur lesquels il n’y a pas actuellement de références sur lesquelles s’appuyer », et l’absence du consensus nécessaire sur les capacités attendues risque d’amener les enseignants à une pratique contrainte, prudente, limitée, et peu riche. Il manque aussi une vraie mise en place des moyens de formation continue nécessaire, dans des domaines où très peu des profs de maths ont été formés au départ.

Les horaires

C’est là particulièrement que le bât blesse : l’APMEP revendique 4 heures dans toutes les classes au collège, et 6h-élève en première S.
Il s’agit de « récupérer » le temps qui a été enlevé aux maths « pour » les parcours diversifiés ou « pour » les TPE. En seconde également, l’aide individualisée a été mise en place avec la diminution du temps des modules. Or, l’idée semble prévaloir que les notions et connaissances des programmes ne peuvent pas être travaillées dans le cadre de travaux interdisciplinaires, que le temps purement consacré aux mathématiques est en quelque sorte incompressible. Pourtant l’APMEP, il y a peu, demandait cette ouverture interdisciplinaire. Il est vrai que pendant ces deux premières années, il y a eu peu de sujets de TPE vraiment interdisciplinaires incluant les maths (dans mon lycée, du moins). Sans doute faudrait-il avoir ici un peu plus de persévérance et de patience ? Et une réelle volonté de travailler ensemble ?

Les calculatrices et les ordinateurs : apprendre à s’en servir ? S’en servir pour apprendre ?

Les propos caricaturaux d’Allègre, cités plus haut, touchaient à un point sensible : celui de l’entrée dans le royaume des maths « pures » des outils que sont les ordinateurs et les calculatrices. Ces outils en changent la pratique et l’enseignement. Je crois qu’il faut distinguer deux aspects.

D’une part, pour ceux qui « savent » déjà des mathématiques, les machines sont un auxiliaire essentiel, qui permet d’aller plus vite, d’assurer des tâches complexes mais techniques dans un temps réaliste. C’est ce que font les mathématiciens et les utilisateurs de mathématiques de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les enseignants de mathématiques ont bien compris cet usage-là de l’informatique. Mais pour en arriver là, il faut avoir appris des mathématiques, et il faut avoir appris comment on peut se servir d’une machine pour cela (modéliser, simuler). Il faudrait savoir si le but de l’enseignement des mathématiques au niveau secondaire est d’apprendre cela. Pourquoi pas, mais qui le décide ?

D’autre part, et c’est ce que recommandent (ou maintenant, commandent) les programmes et documents d’accompagnement, il faut utiliser l’ordinateur comme un moyen de faire découvrir les notions mathématiques aux élèves, comme un outil au service de la construction de séquences d’apprentissage. Certes, les instructions demandent depuis longtemps de concevoir différemment l’approche des notions, dans une démarche plus expérimentale. Mais l’introduction de l’ordinateur ne facilite pas le problème… Cela suppose, de la part des enseignants, une évolution dans la façon de construire leur enseignement, dans la conception de l’évaluation aussi. Ce n’est pas facile, et il est vrai que, pour cela, il faut du temps. Il faut aussi des matériels convenablement installés, de la place, la maintenance, des logiciels adaptés, de la formation aussi. Tout cela est nouveau et ne se fera pas du jour au lendemain. L’utilisation de l’ordinateur ne raccourcit pas le temps d’apprentissage des notions… Peut-être ne l’allonge-t-elle pas, mais cela ne se verra que quand les enseignants sauront mieux comment faire « autrement ».

Enfin, une question importante est celle de la compréhension que peut avoir tout un chacun (les parents… et les ministres) de la différence entre ces deux façons de faire des mathématiques avec un ordinateur. Tant que nous ne ferons pas comprendre que l’introduction de l’ordinateur (ou de la calculatrice) ne peut pas remplacer l’apprentissage des mathématiques, mais seulement le servir…

Le bac

« Il faut que l’élève puisse faire l’expérience personnelle de l’efficacité des concepts mathématiques et de la simplification que permet l’abstraction. Il doit, pour cela, pouvoir prendre le temps de faire des mathématiques, de bâtir un ensemble cohérent de connaissances et d’accéder au plaisir de la découverte et à l’expérience de la compréhension » [[Programme de seconde, BO 6 du 12 08 99.]]. Il y a une contradiction entre ces objectifs ambitieux des programmes et la sclérose de l’épreuve du bac. Cette épreuve est tellement standardisée, on y décompose tellement les difficultés que le sens s’y perd, (et qu’on peut souvent y avoir une note convenable même si on n’a pas du tout vu ce sens…). Cette contradiction est très fortement ressentie par les enseignants et par exemple l’APMEP revendique maintenant (et, dirais-je, seulement) une question ouverte valant le quart des points dans l’épreuve du bac [[Bulletin n° 431, nov. 2000, p. 859.]]. Cela ne serait pas facile d’y préparer les élèves, mais on avancerait au moins dans le sens… du sens ! En attendant, ni M. Allègre, ni son successeur n’ont osé toucher au bac…

Enfin, reste la question fondamentale, trop rarement posée : celle de la finalité de la formation mathématique au lycée, et plus généralement du « sens » dans lequel on pilote le système et cela pour tous les élèves. Lorsque l’APMEP demande un enseignement de détermination de sciences (maths – sciences physiques – SVT) au lycée, de 3 heures, lié en première et terminale aux TPE, elle motive cette demande en s’appuyant sur les enseignants des classes préparatoires qui déplorent le manque d’autonomie d’élèves « incapables le plus souvent de résoudre un problème s’il n’est pas balisé de a à z ». En réponse, la proposition de l’APMEP vise à « permettre aux jeunes de prendre le temps de faire connaissance avec les sciences de façon moins scolaire et plus créative que le cours pour tous et serait un bon moyen d’attirer plus de jeunes vers les sections scientifiques » [[Bulletin n° 430, p. 681, Mémorandum… déjà cité.]]. Ce qui m’interroge, c’est de savoir comment, dans cet état d’esprit, on enseigne les maths aux « autres », dans le « cours pour tous » ? L’idée couramment répandue chez nos élèves et leurs parents, que, si on ne fait pas d’études scientifiques, on n’a pas besoin de plus de maths que celles de l’école primaire, mérite d’être combattue fermement. Pourquoi limiter aux futurs scientifiques l’idée de faire des maths « plus créatives » ? Cette question est une raison de plus du malaise de certains enseignants de maths.

Françoise Colsaët, professeur de mathématiques en lycée (84).