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Les enjeux de la pluralité

C’est la quatrième fois que les Cahiers consacrent un dossier spécial à ce qu’on a longtemps appelé la « question de l’intégration », et justement ce dossier vient dire qu’aujourd’hui on ne peut plus continuer à parler du « problème de l’intégration ». La présence dans l’école, dans la société, de jeunes de toutes origines en nombre important, notamment des jeunes réputés musulmans repérés comme tels (voir ci-après l’article de Maryse Hedibel), mais pas seulement eux, change beaucoup de choses dans la vision que des gens épris de démocratie et de démocratisation par l’école peuvent avoir de ce qui devrait aller mieux à l’école. Le but de ce Cahier est d’expliciter ces nouveaux enjeux, afin que chacun puisse valoriser et renforcer ce qu’il fait déjà en ce sens.

Comprendre la situation

La première partie du présent dossier offre des éléments pour comprendre la complexité des situations où la pluralité ethnique est saillante.

On explore d’abord comment l’ethnicité et l’ethnicisation se manifestent sous des formes très banales dans l’espace scolaire, ne serait-ce que lorsque nous disons sans trop y penser « immigrés », « musulmans », « intégration »… L’article de Mohamed Keskas, entre autres, illumine les dynamiques de l’identité sociale en situation minoritaire (cette identité est tout sauf figée, et elle est fortement réactive) [voir aussi Maalouf, 1998]. Alexandra Poli, pour sa part, éclaire le sentiment de l’injustice raciste et analyse la difficulté des institutions à y faire droit.

Puis, la réflexion est recentrée sur la philosophie politique, c’est-à-dire la pensée normative qui prend pour objet l’organisation démocratique de la société. La force de la catégorisation ethnique dans notre société questionne la « communauté des citoyens », de même qu’elle questionne la « communauté éducative » dans les établissements scolaires. À quelles conditions l’ethnicité se concilie-t-elle avec la démocratie ? Nous nous permettons dans cette partie de glisser l’œil vers nos voisins britanniques. Sur le débat lui-même, on pourra lire aussi l’intéressant recueil Libéraux et communautariens [1997, en biblio].

Agir avec les élèves et dans l’institution scolaire

La seconde partie du dossier concerne l’action dans l’école. Dans un premier temps, sont traités des manques qui deviennent sensibles lorsque la diversité ethnique cesse d’être tabou, et que l’on tente de relever les défis éducatifs qu’elle représente. On n’a pas cherché à construire un bilan exhaustif des problèmes mais plutôt à diversifier l’inventaire. Les manques pointés relèvent de différentes échelles d’action, du local au national, et de divers degrés, du léger malaise au grave. Une formation d’enseignants et autres personnels, capable d’aider ceux-ci à dédramatiser et à analyser les questions de diversité ethnique semble, en tout état de cause, indispensable (article de Vijé Franchi). Mais parfois, les problèmes scolaires sont tellement liés à des problèmes généraux qu’il n’y a d’intervention pensable que multiniveau et multidimensionnelle (articles de Brigitte Tahhan sur l’enseignement de l’arabe, de Montserrat Alava et Jacques Carbonnel sur les Tsiganes au collège).

La fin de la seconde partie est orientée vers l’agir en classe dans la perspective de l’éducation au « non-racisme » – qu’il s’agisse d’enrichir à cette fin les contenus travaillés, d’organiser l’interaction des élèves entre eux, de rendre visibles les valeurs de justice et d’universalité des droits, etc. On verra, à cette occasion, que la diversité ethnique est, sous cet angle, toujours à la fois contrainte et ressource : difficulté sans doute, mais richesse pour la pédagogie.

Dans le reste de l’Europe et au Québec, c’est le mot « interculturel », « éducation interculturelle » qui exprime couramment cette orientation [Ouellet, 2002], et le collectif RIE mentionné plus bas reprend cette dénomination. Mais on prendra garde que ce n’est pas de cultures qu’il s’agit prioritairement dans cette approche, c’est plus d’identités sociales – y compris la sienne propre en tant que professionnel [Giust-Desprairies, 2003 ; Franchi dans ce dossier], et de liens réciproques (inter-).

C’est aussi d’identité nationale dont il s’agit, au total. L’école a traditionnellement joué un rôle central dans le développement d’une identité nationale culturellement homogène, par l’enseignement d’une langue, d’une culture et d’une histoire nationales. L’approche interculturelle en éducation rompt avec cette conception traditionnelle quasi ethnique de l’identité nationale, elle voit cette dernière comme plus politique que culturelle, « tension créatrice entre hétérogénéité et culture commune » (voir ici les articles de Sabine Contrepois et Annie Burger, et en bibliographie les travaux de Suzanne Citron), comme « l’élaboration en mouvement de significations partagées » (plateforme RIE), expérience sereine de la rencontre et de la différence dans un environnement démocratique ouvert sur le monde, à quoi l’école peut et doit préparer. Ce qui concerne virtuellement tous les temps de la vie scolaire, l’enseignement dans toutes les disciplines, sans oublier les structures scolaires elles-mêmes.

Ce dossier veut enfin susciter le débat. Il appelle des nuances, des controverses, d’autres témoignages, des approches et des analyses différentes qui peuvent contester le parti pris, ici clairement choisi, de prendre en compte le concept d’ethnicité.

Nous attendons donc vos réactions.

Françoise Lorcerie, CNRS-IREMAM

lorcerie@mmsh.univ-aix.fr