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Les enjeux de l’autorité

Beaucoup parmi nous savent par expérience personnelle ou pour l’avoir vu vivre par un proche, ce que sont ces heures difficiles où on peine à maintenir le cap, où on navigue entre rappels à l’ordre inutiles et tentatives pour faire avancer la leçon, où on lutte intérieurement entre la colère et une sorte de honte (« je ne sais pas faire »). Sentiment d’impuissance devant ces situations qui se répètent : mais comment fait-on pour « avoir » de l’autorité ?
L’autorité, il en a beaucoup été question dans les propos et les écrits de Xavier Darcos et Luc Ferry : affirmations simplistes de l’obéissance « évidente » due au maître qui détient le savoir ; et marques appuyées de compassion à l’adresse des enseignants qui ne pourraient plus faire leur métier correctement en raison d’un laxisme ambiant. Le ministre qui leur a succédé a vite mis ses pas dans le même chemin : en mai 2004, il annonce que la future loi d’orientation du printemps 2005 devra aborder trois questions : « celle du socle commun de connaissances, celle de la diversification des parcours, celle de l’autorité ».
De son côté, le courant novateur a mis, trop longtemps sans doute, la question de côté, dans son effort pour penser une école au service des apprentissages et de la formation, non de la soumission. À y regarder de plus près, pourtant, elle n’a jamais disparu des préoccupations et, dans la dernière décennie, de nombreux établissements ont pris à bras le corps les problèmes de vie scolaire et cherché, au quotidien, des moyens de maintenir une vie commune harmonieuse en faisant de l’exercice de l’autorité un acte éducatif. Mais, pendant ce temps, l’image d’une école « du renoncement » s’est répandue ; explication facile et tentante face à des changements et à des troubles que l’on ne comprend pas toujours. Cette représentation, adoptée par une partie des enseignants eux-mêmes, s’accompagne d’une proposition de « retour au passé » dont le simplisme étonne… et qui encourage à la crispation (« c’est la faute à l’École qui ne sait plus exclure ceux qui gênent »).
Mais ce n’est pas parce que des ministres et des intellectuels posent mal la question du remède aux maux de l’École, et maintiennent la confusion entre l’autoritarisme et l’autorité, que cette dernière n’a pas à être examinée.
On commence, dans ce dossier, par l’en dehors de la classe, pour cerner plusieurs « niveaux » d’autorité et ne pas tout faire peser sur l’enseignant mais préciser aussi ce qui relève de lui et dont il voudrait parfois être déchargé pour que ce soit plus simple… L’enjeu est de faire de l’autorité une aventure moins solitaire, plus collective, avec les ressources du travail d’équipe, informel, mais aussi celles de l’institution au sens fort du terme.
Pour y arriver, il faut aller plus loin que nos représentations de l’autorité. Nous en parlons trop souvent en termes d’effets produits, alors qu’il faut aller voir sur quoi elle s’appuie et quelles fins elle poursuit. C’est l’objet de la deuxième partie.
On peut, après cela, aller dans « l’espace critique » de la classe, de l’école au lycée : que le propos soit enthousiaste ou inquiet, il interroge cette construction fragile d’une relation qui se voudrait apaisée au service de la construction des savoirs mais qui n’est pas toujours sûre d’y parvenir. Comment ne pas accepter de regarder les paradoxes, les difficultés que soulèvent les questions « bêtes » de la pratique, en proposant des réponses qui n’ont rien de normatif ? C’est l’objectif des « petits textes » rassemblés en quatrième partie, échos des tensions du quotidien.
Pour terminer, peut-on se former à l’exercice de l’autorité ? Les propositions qu’on lira ici sont modestes ; elles mêlent travail sur soi, analyse de situations et conseils de « vieux » qui pourront faire sourire… Mais la réponse est claire : oui, l’autorité, ça se travaille.
Il se trouve que, pendant que je coordonnais ce dossier, un jeune collègue m’a demandé de l’aider à « faire quelque chose » dans une classe de 2nde (un lycée ordinaire de petite ville où moi-même je n’enseigne pas) où il n’arrivait plus à faire cours depuis un certain temps. Comme c’était troublant, alors que je me remémorais les moments difficiles que j’ai connus en vingt-cinq ans, de me retrouver face à ses questions récurrentes : Mais comment ai-je perdu toute mon autorité face à cette classe ? Comment la récupérer ? Comment me former pour que ça ne se reproduise pas ? Courageusement, il a affronté la situation, contacté ses collègues et le proviseur, et décidé d’organiser en présence d’un collègue tiers une discussion avec la classe. Nous avons ensemble tenté de comprendre ce qui avait joué dans cette montée progressive de la prise du pouvoir par des élèves jugés par ailleurs scolaires et tranquilles, et cherché des modes de travail qui pourraient davantage « enrôler » les élèves et mettre en valeur ses compétences à les faire travailler.
Il n’y a pas eu de « belle histoire » et la situation est restée difficile jusqu’au bout. En pensant à ce collègue et à nous tous, en situant ce dossier à la suite de « Classes difficiles, classes impossibles ? » (n° 306) « Nouveaux élèves, nouveaux maîtres » (n° 314-315), « Des enseignants suffisamment solides » (n° 342-343), « Faire la classe au quotidien » (n° 406), « Souffrances de profs » (n° 412) et bien d’autres, auxquels il faudrait sans cesse renvoyer pour compléter et enrichir la réflexion sous de multiples aspects, je souhaite qu’il nous aide à prendre du recul sur les situations, à réfléchir et à comprendre, à nous réconforter aussi pour tenir le coup du mieux que nous pouvons, chacun et collectivement ; les enfants d’aujourd’hui en ont besoin autant que nous.

Florence Castincaud, professeur de français, collège Berthelot, Nogent-sur-Oise.