Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Les élèves allophones nouvellement arrivés

Évolution des textes officiels

C’est en 1970 que furent crées les premières classes d’initiation pour enfants étrangers dans l’enseignement primaire, puis en 1973 les classes d’adaptation pour enfants de migrants étrangers dans le secondaire. Dès ces premières circulaires, la crainte de voir ces enfants marginalisés se traduit par la mise en place de structures nécessairement transitoires destinées à donner aux élèves la capacité à communiquer en français reconnue comme une condition indispensable à l’intégration de l’enfant étranger dans l’école française. On a pu constater cependant une tendance quasi-structurelle de ces classes à se mettre en cocon, à se marginaliser si elles ne font pas partie du projet d’école ou d’établissement, l’accueil de ces enfants devant être l’affaire de toute l’équipe éducative.
À partir de 1973, grâce à des conventions avec les pays concernés, se met en place un enseignement de langues et cultures d’origine (ELCO), destiné à favoriser un retour éventuel des familles dans leur pays, pour les huit groupes d’immigrants alors numériquement les plus importants en France : Portugais (1973), Italiens et Tunisiens (1974) Espagnols et Marocains (1975) Yougoslaves (1977), Turcs (1978), Algériens (1982).
L’ELCO trouvera un soutien scientifique dans les travaux sur le bilinguisme des minorités culturelles conduits en Amérique du Nord, attestant que le fait de développer ou maintenir des compétences poussées et équilibrées dans leur langue d’origine favorise, chez les bilingues, les compétences métalinguistiques et, par là, la faculté à traiter des tâches abstraites, mais aussi à aborder l’étude d’autres langues. On parle alors de « bilinguisme additif » (Hamers et Blanc, 1983 : 62), la compétence en langue d’origine se trouvant ainsi corrélée à la compétence en langue d’accueil.
On verra cependant l’ELCO évoluer en cumulant plusieurs types de dysfonctionnement, principalement dus à l’absence de coordination entre enseignants étrangers dépendant de leur consulat et équipes pédagogiques françaises (fortes hétérogénéités professionnelles) impliquant à leur tour absence d’harmonisation des contenus et méthodes. Le système des cours en différé régulièrement pratiqué a pour conséquence une inévitable marginalisation, laquelle peut entraîner des dérives renforçant cette marginalisation : ghettoïsation, islamisation.
Cet enseignement ne va favoriser ni l’amélioration du statut des langues de « migration » dans l’école française, ni l’enseignement d’autres langues à ces élèves. A partir du rapport Berque (1985), les chercheurs ou rapporteurs (Billiez, 1992 ; Lorcerie, 1995 ; Cahiers Michel Delay n°1, 1996 ; Legendre, 2003 ; Sabatier, 2004) s’accordent sur la nécessité de réformer ce dispositif. La mise en place de l’EPLV en 1992 vient concurrencer voire nuire aux ELCO, sans pour autant les intégrer : « le mouvement souhaitable de transfert des LCO vers l’EPLV, qui aurait permis de les « déminoriser » ne s’est pas opéré » (Billiez, 1992 : 261). Le dispositif perdure obstinément en dépit des critiques formulées, car toute évolution implique l’accord des pays partenaires. Dans les dix dernières années, l’ELCO a perdu 1/4 de ses élèves pour des raisons démographiques mais aussi pédagogiques. Cet échec pose donc la question de la prise en compte, de la valorisation et du développement du plurilinguisme des enfants immigrants ou allophones à l’école.

Vers une gestion du bi-plurilinguisme ?

La gestion de la diversité linguistique, dans un pays à forte tendance monolingue fera un pas en avant lors de la publication du rapport Cerquiglini (1999) qui fait se côtoyer dans la liste des 75 langues de France, les langues régionales, les langues des DOM-TOM et les langues implantées sur le sol français par le fait migratoire (arabe dialectal, berbère, yiddish, rom, etc.) dans un ensemble de langues minoritaires qui les réunit face ou à côté de la langue nationale.
Dans cet esprit également, le concept de français langue seconde (FLS) pour les élèves allophones nouvellement arrivés va s’institutionnaliser progressivement jusqu’à la publication en 2000 d’un « document d’accompagnement » des programmes de français pour le collège : Le français langue seconde, (DESCO-CNDP). Le FLS y est présenté comme « un des moyens de faire face au problème de l’hétérogénéité des publics scolaires » et comme base de l’enseignement pour « les élèves allophones, souvent plurilingues, inscrits au collège, de la sixième à la troisième ».
Cet enseignement est destiné à répondre à une double nécessité :
– permettre à des enfants allophones, mono ou (pluri) lingues dans une ou des langue(s) autre(s) que le français d’accéder à un bi ou (pluri) linguisme où le français est la langue de la communication scolaire et extra-scolaire,
– permettre à ces élèves, en même temps qu’ils acquièrent le français sous ses aspects les plus fondamentaux, d’entamer ou de poursuivre des études en français dans toutes les disciplines enseignées (DESCO, Le français langue seconde, p.5).

Pour rendre cohérente cette perspective plurilingue, il s’agit de donner les moyens aux élèves nouvellement arrivés de maintenir leurs connaissances en L1 ou langue de scolarisation et de suivre des cours de LV1 et LV2 pour bénéficier d’un parcours scolaire normal, ce à quoi le ministère Lang va s’atteler en publiant de nouveaux textes pour l’accueil et la scolarisation des nouveaux arrivants[[BO spécial n° 10 du 25 avril 2002. Organisation de la scolarité des élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages]]. Il engagera également la rénovation des ELCO, allant jusqu’à autoriser deux LV à l’école primaire (Legendre, p.57). Ces orientations sont en harmonie avec celles du Conseil de l’Europe et du Cadre commun européen de référence pour les langues :

Soulignons toutefois que si cette rénovation s’engage assez facilement avec les langues européennes (italien, portugais), il n’en va pas de même avec l’arabe ou le turc. Nombre de parents demeurent réticents car ils veulent « que leurs enfants fassent de l’anglais comme les autres » ! Si on veut laisser le choix des langues aux familles, il s’avère indispensable de développer au sein du système éducatif une campagne de formation/information au plurilinguisme. Quant aux cours du CNED, un encadrement de l’établissement par des professeurs de langues et/ou des assistants d’éducation compétents s’avère indispensable.

Intégration dans les classes ordinaires

Depuis quelques années, encouragés par l’institution, se développent dans le second degré des classes d’accueil ouvertes ou des dispositifs qui privilégient l’intégration progressive des élèves allophones dans les classes ordinaires. Les cours choisis pour une première intégration sont variables suivant les établissements. Le plus couramment, ce sont dans l’ordre suivant : les disciplines artistiques, l’éducation physique, les mathématiques, l’anglais, l’histoire-géographie et enfin le français.
Notre équipe de recherche a lancé en 2004 une enquête par questionnaires et entretiens auprès d’une centaine d’enseignants, exerçant dans des établissements diversifiés. L’ensemble compte une vingtaine d’enseignants de langue, principalement d’anglais. 90% se déclarent plutôt démunis dans la prise en charge de ces élèves, seulement 15% ont reçu une information ou bénéficié d’une formation sur cette question. Les principales difficultés évoquées sont d’ordre affectif et relationnel en raison des expériences traumatisantes que les élèves ont pu connaître mais surtout difficultés pédagogiques pour tous : accentuation de l’hétérogénéité de la classe, manque de temps à leur consacrer ; difficultés à les évaluer, à réaliser un suivi individualisé, à fournir des explications compréhensibles.
En dépit du manque de formation de la plupart d’entre eux, 65% des enseignants déclarent mettre en place un certain nombre d’aides spécifiques pour ces élèves dont certaines relèvent des techniques de la didactique des langues : adoption d’un débit de parole moins rapide, méthode directe, recours plus important à l’image et à l’exemple, travail de la compréhension des consignes, reformulations, tandis que d’autres sont transversales aux disciplines : davantage d’écrits au tableau, variation des supports, utilisation des médias, tutorat entre élèves, adaptation des évaluations, etc.
Pour la plupart, ces enfants sont « attachants motivés, actifs, ils s’intègrent facilement, sont bien acceptés par l’ensemble des élèves ». Nombre d’enseignants apprécient ce que ces élèves leur apportent dans l’appréhension de l’altérité. Dans les cours d’anglais, les élèves d’origine asiatique ou africaine sont souvent valorisés par leurs compétences. Tous ceux qui arrivent avec une bonne connaissance de l’anglais déclarent aimer ces cours, alors que ce n’est pas le cas des élèves d’Afrique du Nord.

En conclusion, nous souhaitons souligner que si quelques dispositifs parviennent localement à des résultats satisfaisants, tous les enseignants (96%) soulignent le manque de formation, d’aide, de conseils et de supports didactiques utilisables dans le cadre du cours ordinaire. Ces difficultés sont moins vivement perçues par les enseignants des collèges où fonctionne un dispositif local bien implanté, car les enseignants de FLES jouent un rôle souvent important d’organisation et de coordination et le travail en équipe contribue largement à la formation. Cela se reflète dans les profils d’enseignants de langue que nous pouvons dégager :
– les « traditionalistes » qui considèrent que les élèves doivent d’abord passer par un bon cursus FLE avant de suivre n’importe quel cours et pour lesquels l’enseignement en LV requiert un certain niveau en français ; ils ont été peu en contact avec les nouveaux arrivants et conçoivent mal l’intérêt de l’immersion ;
– ceux qui font leur cours essentiellement dans la langue cible et/ou qui enseignent en début de cursus. Pour eux ces enfants sont au même niveau que les autres, bénéficient en LV de cours qui favorisent des acquisitions systématiques et profitent de cet enseignement.

Il semble donc souhaitable d’organiser dans la mesure du possible des emplois du temps individualisés qui, à la suite d’évaluations diagnostiques permettent de proposer des cours à un niveau adapté dans les langues connues des élèves et de faire en sorte que ceux-ci puissent aborder une langue nouvelle en début de cursus (4e et non 3e ). Le développement d’un enseignement bilingue précoce en arabe, notamment, dans les régions de contact serait également à étudier. Dans tous les cas, la collaboration avec les enseignants de LCO, les enseignants d’arabe, de russe, de chinois, etc. en secondaire s’avère une priorité pour le développement dans tous les établissements d’une éducation plurilingue et pluriculturelle.

Claude Cortier, UMR ICAR 5191 et INRP.


Bibliographie

– Berque, J., L’immigration à l’école de la République, rapport au ministre de l’Education nationale, La documentation française, CNDP, 1985.
– DESCO (2000), Le français langue seconde, CNDP.
– Billiez, J. (1992), « L’enseignement précoce des langues vivantes dans un environnement scolaire multilingue : vers une solution alternative », in Bouchard et alii, Acquisition et enseignement/apprentissage des langues, Grenoble, Lidilem.
Cahiers Michel Delay, 1, 1996, publication IUFM de Lyon.
– Hamers, J.F., Blanc, M., (1983), Bilingualité et bilinguisme, Mardarga, Bruxelles
– Legendre, J. (2003) Rapport d’information sur l’enseignement des langues étrangères en France, Commission des affaires culturelle du Sénat.
– Lorcerie, F. (1995), « Scolarisation des enfants d’immigrés. Etat des lieux et état des questions en France », in Confluences Méditerranée, n° 14, Paris, L’Harmattan, p. 25-60
– Sabatier, C. (2004) : « L’enseignement des langues étrangères en France : état des lieux et place des langues issues de l’immigration », in Actes du colloque Rencontres et dialogues interculturels Les jeunes et les langues – richesse à valoriser, Amiens, 18 et 19 avril 2002, Paris, La Licorne, diffusion L’Harmattan.