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Les écritures en situations professionnelles
Dix auteurs ont uni et coordonné leurs efforts pour traiter d’un sujet original bien précisé par le titre. En effet, de la fiche de préparation à la thèse, l’éventail des écrits et la variété des écritures rencontrées par les professionnels de l’éducation et de la formation méritent bien cet ensemble d’études fines et pertinentes.
Les professeurs sont définis comme des personnes qui parlent devant les autres (du grec prophémi qui a également donné « prophète ») et c’est bien la réalité d’un métier aux facettes diverses qui va maintenant en France de la maternelle à l’université. Mais ce sont également de grands consommateurs et producteurs d’écrits, tant au niveau de leurs études, de leur certification que de l’exercice de leur profession, voire dans leur formation continue, qu’elle soit diplômante ou simplement liée à leur développement.
Or, ces écrits et leur écriture n’ont fait l’objet que d’investigations récentes et c’est tout le mérite de Françoise Cros, Louise Lafortune et Martine Morisse d’avoir réuni un ensemble de dix auteurs qui abordent en huit chapitres équilibrés Les écritures en situations professionnelles. Elles prennent le temps dans leur introduction de parcourir l’histoire récente de ce nouvel objet de recherche et de formation (faut-il rappeler les polémiques qui ont accompagné la mise en place du mémoire professionnel dans la formation des enseignants ?). Et, si elles cèdent la place pour la conclusion à trois chercheuses de l’université du Québec à Trois-Rivières pour une relecture éclairante de l’ouvrage, l’unité de propos et de ton est assurée par les renvois que se font les auteurs dans leurs divers chapitres. Nous avons bien là un ouvrage collectif dans le meilleur sens du terme et non une juxtaposition de chapitres reliés par le seul thème des écrits professionnels.
Que les lecteurs des Cahiers pédagogiques se rassurent, le but avoué, et atteint à mon sens, de cet ouvrage est de « rendre accessibles et lisibles par un large public les textes proposés afin d’attirer un public de personnes formatrices s’intéressant à l’écriture transitive, soit celle qui devient un outil de réflexion et de professionnalisation ». Du premier chapitre portant sur « l’écriture comme instrument de développement professionnel » au huitième s’intéressant au « portfolio de développement professionnel à l’université », le double intérêt porté à la formation et à la recherche permet une approche originale de ce que nous voudrions savoir de la professionnalité enseignante et de son développement dans et par l’écriture en situations professionnelles.
Est-ce à dire que tous les chapitres se valent ? En qualité sans doute, mais l’intérêt dépendra des curiosités du lecteur. Elles peuvent être thématiques selon qu’il voudra s’attacher à l’accompagnement du changement, aux écrits de préparation ou aux cahiers de textes (remarquable étude de Bertrand Daunay et Martine Morisse) qui incitent à l’exploration d’autres dimensions méconnues comme les annotations sur les copies, voire les correspondances avec les parents, aux écrits produits dans le cadre d’une validation (des acquis de l’expérience) ou d’une formation initiale ou continue (le portfolio, le mémoire ou la thèse). Mais elles peuvent aussi porter sur le processus d’écriture et ce qu’il induit dans la relation aux autres et dans la relation à soi : « l’écriture n’entre pas en conflit avec la relation » écrivent à juste titre Marie Cardinal Picard et Rachel Bélisle qui l’étudient sous l’aspect de la « relation d’aide ». Finalement, c’est dans l’interaction problématique entre l’écriture outil de formation et outil d’attestation (pour ne pas écrire de certification ou d’évaluation sommative) qu’il y a le plus de travail à faire pour éviter l’injonction contradictoire de l’écriture présentée comme un mode de construction et une occasion de vérification de la présence des compétences, comme le signale fort justement Patricia Remoussenard-Champy : « La logique de mesure des compétences qui est celle de la VAE conduira ainsi celui qui s’exprime à le faire en fonction des critères supposés de son évaluation et des résultats potentiels des impacts de cette évaluation ».
Pour conclure, même si, en étant très exigeant, on pourra regretter que les références n’aient pas été fondues en une seule bibliographie et que l’absence d’index rende difficile la consultation de cet ouvrage comme un manuel, ces souhaits traduisent la haute estime qui est la mienne pour ce livre. Il répond en effet tant au défi qu’il s’est lancé, à savoir faire un tour de piste de l’écriture en situations professionnelles qu’aux nécessités du moment qui requièrent une refondation de la formation des enseignants, qu’elle soit initiale ou continue, porte sur le premier degré, le second ou le supérieur. Le tout en se fondant sur une recherche qui n’a rien perdu de ses exigences de rigueur, mais qui se concentre sur les situations réelles d’éducation et de formation, voire sur « le réel des situations », écrirais-je dans un hommage à Yves Clot et à ses travaux.
Richard Etienne