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Les catégorisations professionnelles liées aux pratiques d’aide

Depuis les années 60, des aides particulières s’ajoutent ou se conjuguent avec l’aide ordinaire constitutive des pratiques d’enseignement et d’éducation à l’école. Pour l’institution, la division du travail d’aide se présente comme la seule réponse possible à la complexité grandissante[[Renforcée notamment par les Lois d’orientation de 75 et 89.]] du métier d’instituteur ou professeur d’école. « L’un des moteurs déclarés de toute division du travail, c’est d’accroître l’efficacité des professionnels, à la fois du fait d’une formation et d’une expérience plus pointues et de la possibilité de concentrer son énergie sur un seul aspect de la réalité »[[Philippe Perrenoud, « La division du travail pédagogique à l’école primaire », dans A.Van Zanten, A.Plaisance et R.Sirota , les transformations du système éducatif, acteurs et politiques, L’Harmattan, 1993.]]. Le danger de morcellement ou de division étanche est anticipé par la création des Rased qui instaure une nouvelle organisation du travail basée sur une collaboration active entre professionnels.
La population des enseignants chargés d’aider les élèves est donc classée actuellement en deux grandes catégories. La première n’a pas de nom propre et regroupe des professionnels qui seront désignés par l’adjectif « généralistes ». Ces enseignants n’ont pas bénéficié de formation particulière pour les élèves dont les apprentissages ou le comportement se révèlent difficiles. La seconde catégorie rassemble les maîtres spécialisés, désignés par cet adjectif générique. Ces professionnels possèdent des diplômes à options très diversifiées qui les maintiennent dans un statut d’enseignant mais qui peuvent leur attribuer une fonction autre, par exemple celle de psychologue scolaire ou de rééducateur.

Le tableau ci-dessous récapitule les différentes formes d’aide présentes à l’école.
(En italique figurent les finalités poursuivies.)

Maître E Maître G Psychologue scolaire Autres
Profil général des enfants à aider Enfant en retard ou en échec scolaire, présentant des troubles électifs sans éléments d’histoire personnelle significatifs et apparents
(ex : lecture, orthographe, calcul, langage oral)
Enfant
dont les conduites d’inadaptation scolaire renvoient à une histoire personnelle perturbée
pour lequel une restauration de l’efficience scolaire doit pouvoir s’effectuer dans un délai assez bref (moins d’une année )
Enfant dont les troubles scolaires ou comportementaux interpellent et demandent un éclairage complémentaire Enfant dont les troubles s’inscrivent dans le registre de la pathologie
Indicateurs particuliers concernant : la famille Parents partie prenante ou non du projet d’aide

aide à la prise de conscience des difficultés scolaires de l’enfant

Parents acceptant le projet d’aide, pouvant s’engager activement dans une modification de l’existant (ex : type d’activité avec leur enfant)

aide à la prise de conscience du besoin d’évolution de l’enfant

incitation éventuelle à une demande de soins

Parents en position de demandeurs

accompagnement de la famille dans une démarche qui prendra en compte la globalité de la difficulté de leur enfant (pour éventuellement un suivi extérieur)

Parents acteurs, responsables de la totalité de la démarche
l’enseignant Enseignant acteur, en position de demande

mise en place d’un regard autre sur l’enfant

modification du seuil de tolérance

questionnement constructif sur l’évolution possible des pratiques individuelles ou d’équipe

Enseignant acteur, en position de demande

mise en place d’un regard autre sur l’enfant

modification du seuil de tolérance
questionnement constructif sur l’évolution possible des pratiques individuelles ou d’équipe

Enseignant acteur, en position de demande

mise en place d’un regard autre sur l’enfant

modification du seuil de tolérance

questionnement constructif sur l’évolution possible des pratiques individuelles ou d’équipe

Enseignant solitaire, dont les liens avec le système de soins se révèlent par nature rares ou inexistants

Faute de place pour développer tous les aspects de la question, nous explorerons ici les aides autres qu’ « ordinaires » : quand, secondé par l’équipe de maîtres, l’enseignant a épuisé toutes les tentatives possibles pour que « l’enfant qui n’apprend pas » apprenne, un éclairage et une aide supplémentaires peuvent être proposées par le Rased. Ces actions s’exercent non en parallèle mais en complémentarité des remédiations déjà mises en place.

L’aide à dominante pédagogique

La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90 présente clairement les objectifs de l’aide à dominante pédagogique : « améliorer la capacité de l’élève à dépasser les difficultés qu’il éprouve dans ses apprentissages scolaires, à maîtriser ses méthodes et ses techniques de travail, à prendre conscience de ses progrès en suscitant l’expérience de la réussite ». Les actions conduites impliquent « la cohérence entre les caractéristiques psychologiques de l’enfant d’une part, les méthodes mises en oeuvre et les finalités de l’enseignement d’autre part. » Elles s’appuient sur des référents théoriques très étendus, issus notamment des approches cognitives et psychoaffectives. Les travaux de Piaget, Bruner, Vygotsky sont incontournables. Les apports ultérieurs des sciences cognitives, des neurosciences, de la neurobiologie complexifient encore des données devenant aujourd’hui encyclopédiques. Cette diversification se manifeste aussi dans leurs mises en pratique. Les aides à dominante pédagogique peuvent être organisées en « classes à effectif réduit » ou en « regroupement d’adaptation »[[La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90 précise que les aides à dominante pédagogique peuvent être organisées de deux façons :
1) par la constitution de classes à effectif réduit rassemblant de manière permanente des élèves en difficulté. Ces classes d’adaptation dont l’effectif ne pourra excéder 15 élèves ont pour objectif de réinsérer, le plus rapidement possible, dans une classe ordinaire correspondant à leurs possibilités nouvelles, les élèves qui y ont accompli un séjour ; constitution de classes à effectif réduit rassemblant de manière permanente des élèves en difficulté. Ces classes d’adaptation dont l’effectif ne pourra excéder 15 élèves ont pour objectif de réinsérer, le plus rapidement possible, dans une classe ordinaire correspondant à leurs possibilités nouvelles, les élèves qui y ont accompli un séjour ;
2) par l’organisation des regroupements d’adaptation rassemblant de manière temporaire des élèves en difficulté qui continuent de fréquenter la classe ordinaire dans laquelle ils demeurent inscrits. Ces regroupements d’adaptation répondent à des besoins pédagogiques spécifiques. Leurs modalités de fonctionnement sont définies par le conseil des maîtres et s’inscrivent dans le cadre du projet d’école dont le directeur est garant. »]]. Ces deux dispositifs donnent aux pratiques d’aides à dominante pédagogique des allures bien distinctes. La première se rapproche incontestablement du travail de l’enseignant généraliste dans son exercice habituel. La seconde ressemble davantage à celui du rééducateur.

Les classes d’adaptation résultent souvent de la transformation d’anciennes classe de perfectionnement. Mais elles n’appartiennent pas au secteur de l’AIS. Elles sont généralement destinées aux enfants venant de grande section maternelle pour lesquels l’apprentissage de la lecture semble prématuré. Elles peuvent être également conçues pour des élèves ayant déjà fait un CP ou pour des élèves de tout niveau. Elles présentent des modes de fonctionnement variables allant de la classe fermée à semi-ouverte. Théoriquement les maîtres E titulaires de ces postes devraient travailler en réseau au même titre que leurs collègues en Rased. En réalité ces classes restent la plupart du temps repliées sur elles-mêmes, ouvertes au mieux sur le groupe scolaire où elles sont situées. Le modèle le plus fréquent correspond à la classe fermée le matin – avec le groupe fixe d’enfants inscrits dans cette classe – et ouverte l’après-midi – les élèves précédents sont ventilés dans d’autres classes pour des activités avec les enfants de leur âge tandis que le maître E accueille des groupes d’élèves en difficulté ou non en provenance de classes « ordinaires ».

Les regroupements d’adaptation correspondent à l’éclatement de la classe d’adaptation. Ils sont fréquemment implantés sur plusieurs écoles. Le maître E chargé d’un tel poste rassemble périodiquement des groupes d’élèves pendant une heure environ – ou un peu moins selon l’âge des enfants -, au rythme de deux à trois fois par semaine – voire plus. La décision de prise en charge se construit avec l’équipe de cycle, le réseau et l’IEN. Elle donne lieu à la rédaction d’un projet impliquant tous les acteurs : élève, maître de la classe, maîtres du cycle ou de l’école, maître E. Les parents sont souvent informés de l’aide mise en place, rarement sollicités pour agir de façon particulière à leur niveau. Le suivi demande un engagement réciproque et de fréquents échanges pour réactualiser objectifs et modalités de travail au vu des progrès de l’élève.

L’aide à dominante pédagogique s’adresse à des élèves présentant des déficits « simples » dans la maîtrise des connaissances instrumentales, principalement en lecture et en calcul. Pour ces enfants, les lacunes scolaires repérables ne s’accompagnent pas de dépendance affective envahissante ni de faille au niveau des activités symboliques. Cette première appréciation laisse supposer que leur structuration psychique se déroule convenablement et qu’il est opportun de renforcer l’étayage facilitant l’entrée dans les apprentissages fondamentaux. L’aide E s’exerce donc spécifiquement – et de manière décalée par rapport au maître de la classe « ordinaire » – sur le cheminement que constitue l’acte d’apprendre. Elle prend la forme de médiations ou de remédiations techniques nécessitant une connaissance précise des opérations cognitives, des mécanismes d’apprentissage, des situations pédagogiques appropriées, des situations évaluatives etc. et ceci tout particulièrement à propos de la mise en place des fondamentaux lire / écrire / compter. Néanmoins, la pédagogie « médiationnelle » et les actions qui en découlent, « même si elles doivent s’appuyer sur des objectifs scolaires, ne sauraient se réduire à une somme d’interventions compensatoires visant la restauration de tel ou tel déficit évalué, de telle ou telle compétence requise manquante ou mal maîtrisée »[[Herve G. (1997) Intervenir en Réseau d’Aides Spécialisées aux Enfants en Difficulté, Paris, Armand Colin, p. 7]]. L’enfant n’est pas un réceptacle inerte, acceptant passivement le comblement d’une lacune par un rattrapage technique. Le maître E, prenant en compte la dimension du sujet apprenant, ancre ses efforts dans deux directions complémentaires à la technicité : celle de l’appropriation du savoir par l’enfant et celle des relations élève/maître, élève/pairs.

Le travail concernant l’appropriation du savoir par l’enfant est important. Il passe nécessairement par des actes de parole : l’explicitation de « ce qu’il faut faire », de « comment je fais » ou de « comment je veux faire », le résumé d’une procédure ou d’une histoire, les conséquences d’actions présupposées etc. La parole engage l’histoire de deux sujets au moins, celle du locuteur et du destinataire, où le maître reconnaît l’autre comme autre, sans jamais prendre sa place ni confisquer son savoir. Cette position éthique permet à l’enseignant de quitter sa supériorité de « supposé sachant » ayant percé à jour la logique des actes et des stratégies de l’élève. Il n’est que le « sachant ne sachant rien de l’enfant ». L’enfant peut lui restituer alors ses tâtonnements, s’appropriant par-là même son propre savoir.

L’aspect relationnel est essentiel. « Un enfant en difficulté scolaire ne peut mobiliser ses compétences que si le maître et ses camarades de classe modifient leur regard et croient à son possible changement de statut »[[Annino J. (1996) L’aide spécialisée : entre l’illusion et la réalité ou de l’efficacité des aides spécialisées à dominante pédagogique pour les élèves en difficulté à l’école élémentaire, Mémoire de maîtrise de Sciences de l’Education, année universitaire 95-96, Université Lyon 2, p. 64]] . Pour ce faire, l’intervention d’un tiers permet à l’enfant un investissement scolaire extérieur à la classe. La place médiane que le maître E occupe est celle du témoin. Il est celui qui, à bonne distance, écoute, fait confiance, dévoile les possibles, atteste des progrès. Il est aussi le médiateur des situations d’interactions sociales qu’il multiplie au sein des petits groupes de travail. Il est là pour restaurer les narcissismes blessés – ceux des élèves mais aussi celui du maître bien souvent. Et puis discrètement il s’efface.

Le décalage des aides à dominante pédagogique par rapport à la classe de référence réside essentiellement dans la position tierce du maître E – ce qu’il est difficile d’affirmer pour le maître E en classe d’adaptation fermée ou semi-ouverte. La technicité et l’appropriation du savoir ne sont pas des distinctions a priori pertinentes entre aide E et aide généraliste. Elles ne font figure de trait particulier qu’en raison des conditions de travail spécifiques, à savoir le regroupement d’un petit nombre d’élèves et la concision du temps de prise en charge.

L’aide à dominante rééducative

Tout d’abord la qualification de « rééducative » pose question. Utilisé pour la première fois officiellement en 1987, cet adjectif associé au mot aide remplace l’emploi des termes rééducation et réadaptation apparus respectivement en 1960 et 1964. A cette même date, l’appellation officielle de maître chargé d’aide à dominante rééducative, et l’appellation officieuse de maître G[[Les dénominations trop longues sont infailliblement raccourcies. L’expression « maître G » contracte le début du nom de la fonction « maître » chargé d’aide à dominante rééducative et la lettre « G » de l’option du Capsais G.]] , se substitue à celle de rééducateur. Ce vocabulaire, déjà ancien dans la profession, est jugé ambigu, appartenant au domaine de la Santé et entretenant en conséquence une confusion avec le soin. La tentative d’éradication auquel il est soumis se révèle infructueuse. Dans le langage courant, les « rééducateurs » de l’Education Nationale continuent à faire de la « rééducation ».

La persistance du préfixe « re » dans l’usage ordinaire est à interroger. En médecine, la rééducation a pour finalité d’éduquer à nouveau. Une articulation endommagée par accident et opérée par exemple doit retrouver sa souplesse et sa mobilité initiale. Elle va donc être soumise à des exercices visant à récupérer une fonction perdue sous la pression d’un événement tiers. A l’école, le « re » de « rééducation » signe lui aussi le recommencement, la répétition. Il va s’agir de re-faire, de re-prendre non ce qui a été perdu mais ce qui a été mal fait – par les parents ou les enseignants. L’autorisation écrite demandée par le maître G aux parents par exemple peut être entendue comme l’accord nécessaire pour le « remodelage » d’un produit insuffisant par rapport à ce que la société attend et dont ils sont responsables. Toute aide ré-éducative est ontologiquement critique vis à vis des éducateurs antérieurs. Ce faisant, elle touche à la suffisance et à l’orgueil du système – familial ou institutionnel – ce qui reste rarement sans conséquence réactionnelle. Le « re » peut aller jusqu’à recouvrir un abus de langage. Un enfant, par exemple, qui n’apprend pas à lire n’a pas reçu les clés du système pour y accéder. En ce sens l’éducation minimale n’a pas été donnée. Parler de ré-éducation, c’est laisser entendre à tort que ce travail a déjà été conduit et qu’il doit être repris. Le plus souvent il s’agit seulement d’éducation. Or, par définition, celle-ci porte déjà en elle-même le « re ». L’éducation pourrait se définir comme la mise en condition pour découvrir qui l’on est et les possibilités que l’on a. Tout ce que fait l’homme est de l’ordre de la re-création. Quand l’enfant accède au langage, il crée son propre univers en re-créant le monde et se découvre à l’occasion comme pris dans la création. L’aide rééducative se situe délibérément au cœur de cet axe éducatif, dans une parole, une re-création du monde et re-dé-couverte de soi rendues possibles. Le voile couvrant et souvent menteur qui emmaillote le sujet peut être enlevé, désobstruant la voie au changement. Le « re » de la rééducation ouvre donc le débat sur l’homme et sur ce qu’est qu’éduquer…

La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90 définit précisément les objectifs et les modalités de l’aide à dominante rééducative. « Il s’agit d’une part de favoriser l’ajustement progressif des conduites émotionnelles, corporelles et intellectuelles, l’efficience dans les différents apprentissages et activités proposés par l’école et d’autre part de restaurer chez l’enfant le désir d’apprendre et l’estime de soi ». L’action d’aide rééducative « est entreprise avec l’accord des parents et dans la mesure du possible avec leur concours. L’intervention auprès des enfants se fait individuellement ou en très petits groupes ».

L’aide rééducative s’adresse à des élèves dont les conduites d’inadaptation renvoient à une histoire personnelle perturbée, sans que les troubles relèvent pour autant d’un registre pathologique. Les indicateurs les plus significatifs sont relatifs aux processus de pertes, toujours malaisés. Par exemple les sensations sont insuffisamment mises en mots, la symbolisation est difficile, les castrations symboligènes sont mal faites etc. La structuration psychique de l’enfant comme individu séparé, parlant à partir de sa place générationnelle unique et inscrit dans une solitude fondamentale, s’élabore imparfaitement, entravant les effets de la pulsion épistémologique.

La démarche rééducative est originale. Elle intervient « en amont » des apprentissages, sur les préalables nécessaires à une acquisition possible. Le travail d’aide[[De même que les séances d’observation préalables, conduisant à poser en équipe une indication d’aide.]] se découpe en séances de 3/4 d’heure ayant lieu une ou deux fois par semaine pendant le temps scolaire. Il se déroule dans une salle spécifique, aménagée avec divers objets médiateurs. Ceux-ci permettent soit une motricité importante (dans le registre sensori-moteur : trampoline, espalier, banc suédois, ballons etc.) soit la mise en scène d’activités d’une vie dite « réelle » ou « imaginaire » (dans le registre de la représentation : dînette, poupées, mallette de docteur, feutres pour dessiner ou écrire des histoires etc.) soit la mise en oeuvre de méthodes, de savoir-faire (dans le registre des connaissances : exercices scolaires, jeux de société, suite logique d’images, puzzles etc.).L’enfant doit répondre à la règle fondamentale : « Ici, tu fais tout ce que tu veux sauf te faire mal, me faire mal, casser du matériel. Tu choisis tout ce qui peut t’aider à être mieux en classe. Plus tard, je pourrai choisir pour toi aussi. En fin de chaque séance, je te demanderai de dessiner (d’écrire ou de me dicter) ce que tu as fait. Tu devras également prévoir une activité pour la fois prochaine ». L’analyse des comportements observés, en rééducation et en classe, permet de dégager des éléments propres à mettre l’enfant dans sa dynamique. Ainsi, en collaboration avec l’équipe éducative et les parents, prend corps un projet individuel de rééducation, régulièrement évalué.

L’aide à dominante rééducative puise ses références théoriques dans les découvertes psychanalytiques. Elle s’appuie sur des connaissances qui éclairent la signification des attitudes de l’enfant et permettent de développer des réponses en adéquation. La pulsion de savoir qui se manifeste ordinairement à l’école, résulte du mode de satisfaction des pulsions antérieures. Celles-ci, exprimées aux différents orifices du corps (bouche, yeux, orifice anal, urétral etc…) sont signes de soumission aux exigences de la vie et demandent à être humanisées. La réponse des parents conditionne leur satisfaction et leur intégration dans une vie d’homme ou de femme. Elle oriente le positionnement de l’enfant face au don. Si l’enfant est dans l’incapacité d’apprendre, c’est à dire de prendre, de recevoir quelque chose venant d’un autre, l’hypothèse peut être faite d’une défaillance relationnelle au cours de son histoire personnelle. Si cette incapacité se double d’un étayage défectueux, au sens psychanalytique du terme, un soin psychique s’avère nécessaire hors de l’école. Mais si l’enfant est capable, au-delà de son symptôme scolaire, d’étayage personnel, s’il présente des capacités minimales d’appui sur des pulsions d’auto conservation et donc manifeste des capacités de défense, une aide rééducative peut être proposée avec un objectif précis et pour un temps déterminé. L’Education Nationale fait alors le pari, que dans certains cas, sans psychothérapie ni analyse mais avec le concours des rééducateurs, l’enfant peut prendre une place active au sein de l’école.

Le travail rééducatif vise avant tout à autonomiser le sujet. Pour ce faire la notion de coupure qui place les êtres en différence est essentielle. Quand un enseignant fait appel au réseau d’aides spécialisées pour un enfant en difficulté dans sa classe et que ce signalement est fondé, la première chose à faire est de rencontrer les parents pour cerner le plus finement possible ce qui se joue autour de cette difficulté. Souvent cet entretien révèle des habitudes qui ligotent l’enfant, l’attachent à ses parents comme bébé et l’empêchent de grandir. Grandir, c’est se séparer, trouver sa place unique à bonne distance de l’autre et s’installer ainsi dans une solitude fondamentale. Quand des liens destructeurs viennent au jour dans le discours des parents ou de l’enfant, le devoir du rééducateur est de rappeler la Loi, de formuler l’interdit, de dire ce qu’il n’est pas possible de faire « entre » des sujets, d’indiquer une coupure par la parole. L’interdit, véhiculé par le lien social, est normalement vécu de façon implicite, sans justification. Il va devoir pour des parents négligents ou ignorants être expliqué, justifié.

« Un rappel fréquent concerne par exemple le lit parental. En interdire l’accès, c’est formuler l’interdit de l’inceste. Inceste est à entendre aussi comme interdiction, pour le garçon comme pour la fille, de retourner au ventre maternel, d’entrer en confusion mère/enfant, où le corps de l’un se confond avec celui de l’autre. Il y a nécessité d’une séparation prononcée par le père et qui se dit dans la différence de place, dans la mise hors le lit parental, hors le lieu de la scène originaire. Si cette séparation est difficile, c’est bien qu’il existe des forces pulsionnelles importantes qui poussent adulte et enfant à se confondre l’un avec l’autre. Il est plus facile en effet de fusionner que d’être deux en relation. Il est plus tentant de laisser l’enfant prendre du plaisir au corps de l’adulte (et vice versa) que d’affronter la solitude, chacun dans sa singularité »[[CROUZIER M.F. (2000) De la coupure comme nécessité indispensable à l’apprentissage in Envie d’école n° 20 sept-oct 99 pp. 8-11 et n°21 déc-janv. 2000 pp. 8-10]]

Un enfant non séparé de ses père et mère est souvent dans la méconnaissance des liens familiaux. Son horizon s’arrête à celui de ses parents auxquels il se confond. L’enfant ne peut se situer dans le temps et l’espace, manquant du repère fondamental que constituent la succession des générations et le tissu de la parenté. Dans ce cas, l’aide rééducative a pour rôle de dire l’importance de la transmission de la vie en articulation avec l’histoire familiale et de permettre que ce savoir sur la transmission fasse réponse à l’interrogation de l’enfant.

« Le support utilisé par exemple peut être le génogramme (Cf. Annexes A1 pp. 33-34). Il est posé en tant qu’objet médiateur matérialisé et « flottant » entre l’enfant, ses parents et le maître G. Il permet à chacun d’exposer ses représentations. Le nouage des imaginaires peut alors se défaire et se reconstituer autrement. L’enfant est mis à sa place de fils, dans la filiation générationnelle qui l’ouvre à l’origine. Il est établi comme semblable et différent de ses parents, lié par leur intermédiaire au grand Autre. Il porte un nom transmis comme un héritage des générations antérieures. Ce nom est la marque de la filiation et n’a pas d’autre signification. Il ne signe pas des capacités ou des qualités. C’est un trou dans le langage, dans lequel l’enfant peut se mettre, trouver place, exister et oser une parole singulière »[[Crouzier M.F (2001) Ecrire en rééducation in L’ERRE Ecrire (2) n°19, mai 2001, 19 pages]]

L’aide rééducative ouvre aussi à la culture par le support privilégié du jeu. L’école pour certains enfants en difficulté est une réalité difficile à aborder et à vivre. Elle nécessite une médiation, une transition, un passage. En ce sens la rééducation qui fait la transition entre l’intérieur (la vie psychique de l’enfant) et l’extérieur (le monde de l’école) peut être considérée comme un espace parenthèse où ce qui se passe en classe, à la maison ou dans la salle de rééducation est mis en mots. La parole du rééducateur permet à l’élève de ne plus rester dans ses sensations (hors langage), de ne plus être dans la nécessité de les revivre pour les retrouver. Dans cet espace transitionnel peut alors s’élaborer la capacité fondamentale de jouer. Le jeu permet à l’enfant de s’adapter au monde extérieur, de l’apprivoiser en ayant une prise réelle sur lui par la manipulation. Il lui permet de développer des compétences, de devenir performant. Il est aussi l’occasion d’une représentation. C’est le début de l’activité créatrice, la base de l’accès à la vie culturelle.

Ainsi, quel que soit le registre dans lequel elle se déploie, l’aide rééducative permet-elle à l’enfant de prendre place dans la communauté humaine, tout en l’invitant à mettre son énergie non plus au service du symptôme mais à celui des apprentissages.

L’idéal de mise en réseau des aides

Le dispositif RASED, réunissant les différents types d’aide spécialisée, leur délimite un cadre de fonctionnement. « Le dispositif, comme le dit René Kaës, « est un appareil de travail : il est artifice, construction. Il s’écarte du sens commun, de l’habitus… il n’est donc pas inscrit dans l’absolu, mais dans l’appropriation relative d’un objet ou d’un instrument à un projet et à un état des choses. Il relève pour une part d’une décision et pour l’autre de la position des choses elles-mêmes. Le dispositif (…) consiste dans l’écart qui tient les éléments d’un appareil de travail hors de la confusion. Il est l’instrument du discernement; il rend accessible dans l’écartement de ce qu’il disjoint, l’ordre des choses visées par son projet. »[[Kaes R. 1994) La parole et le lien, Paris, Dunod, p. 55]] . Selon cette définition, le Rased a une fonction de discernement. Il a la charge officielle de concevoir et d’organiser les actions les plus appropriées à une situation donnée. Les enseignants peuvent se saisir des règles institutionnelles mises à leur disposition pour le faire fonctionner. Ces règles, établies en vue d’une finalité unique, « aider les élèves en difficulté », sont d’ordre structurel (type de réunion, participants, lieux), temporel (durée, fréquence), et méthodologique (déroulement, animation, règles éthiques…). Elles permettent potentiellement de réguler le choix, la mise en place et le suivi des aides proposées.

Les maîtres E et G sont chargés d’aides dites « spécialisées » ayant pour vocation d’approfondir plus spécifiquement une des orientations généralistes présentées précédemment. Leurs pratiques se situent non pas hors des aides déjà en place mais en synergie avec elles. L’aide à dominante pédagogique se centre essentiellement sur la méthode, l’aide à dominante rééducative davantage sur la relation. Il est évident que les frontières sont floues et que des zones d’intersection se font jour. Le psychologue scolaire, volontairement laissé de côté pour cette étude, a un rôle particulier, centré sur le savoir, sa nature et les résultats obtenus en fonction de la personnalité de l’enfant et de sa classe d’âge. « L’analyse des processus d’apprentissage éclaire la démarche pédagogique. De ce fait, l’étude des difficultés éprouvées par les élèves, dans l’appropriation des connaissances et des savoir-faire ainsi que dans le respect de la scolarité, fournit aux maîtres et aux familles des indications précieuses sur les stratégies à adopter pour favoriser l’éducation des enfants. Les actions du psychologue scolaire tirent leur sens de cette mise en relation entre les processus psychologiques et les capacités d’apprentissage des élèves » [[Circulaire n° 90083 du 10 avril 90]] . Les missions qui lui incombent se répartissent entre des mesures de « prévention », « l’élaboration du projet pédagogique de l’école et sa réalisation », « l’intégration des jeunes handicapés » et « des actions en faveur des enfants en difficulté » – comprenant « les examens cliniques et psychométriques », un « suivi » psychologique notamment envers les familles sollicitées pour une prise en charge extérieure, une participation comme expert à diverses commissions (CCPE, CDES…). Son rôle, qui n’est jamais assimilé nommément à une aide spécialisée, est assez clairement repéré dans la pratique au sein du RASED et des équipes éducatives. Il apporte essentiellement un éclairage psychologique dans des situations conflictuelles ou bloquées. Il détecte, argumente des décisions de placement ou de maintien dans le système ordinaire, conseille et accompagne les personnes concernées mais généralement ne conduit pas d’actions de « restauration » pour amener l’élève à dépasser les difficultés éprouvées lors des apprentissages scolaires. Or ce sont ces pratiques régulières qui sont à la base des échanges étudiés dans notre recherche.

Chacune selon leur dominante, les aides spécialisées, ne sont pas conçues comme une juxtaposition de recours possibles, complémentaires des aides généralistes. « Aux pratiques de délégation (au spécialiste de réparer l’échec), se substituent celles d’implication de tous les personnels : instituteur de la classe, directeur d’école, Conseils des maîtres, membres du réseau, équipe de circonscription, Inspecteur départemental »[[Bonjour P, Lapeyre M (1998) L’intégration des enfants à besoins spécifiques, entre impossible et nécessaire, Thèse de Doctorat, Université Lumière Lyon 2, p 442]] . La logique d’aide cesse d’être isolée et compartimentée : elle passe idéalement de l’état d’oignon à la germination. D’une structure en pelures successives, elle devient dynamisme vital, force instituante, « construit social viable parce que négocié et fondé sur des finalités assumées par tous »[[Bony A, Lesain J.M, Les réseaux d’aide : examen de quelques résistances institutionnelles in Les Cahiers de Beaumont, Ed Association Amicale et Coopérative du Cnefases, Numéro spécial, sept 1992, p. 24]] . Cette transformation ne peut s’opérer que dans une mise en synergie de toutes les compétences professionnelles, autrement dit dans une collaboration effective.

Au cœur de cette préoccupation, apparaît le paradigme de l’éthique. L’existence même du Rased l’enveloppe et le contient. Ce dispositif pose la question éternelle de l’éthique déclinée de multiples façons : que fait l’institution ? Les pratiques des enseignants sont-elles adéquates ? L’élève est-il considéré dans son altérité ?

Marie France Crouzier