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Les apprentissages au CP : la nouveauté de l’étude de la langue systématique

Oui, j’ai une patrie : la langue française.
(Albert Camus, Carnets)

Les programmes pour l’école primaire parus en 2008 ont proposé plusieurs changements importants par rapport aux précédents dans le domaine du français ; bien sûr, l’un d’eux, au cycle 3, réside dans le passage de l’Observation Réfléchie de la Langue à une étude de la langue divisée en grammaire, orthographe et vocabulaire. De son côté, si la diminution de la place de la littérature de jeunesse est importante, elle se manifeste dans les textes là encore surtout au cycle 3.
Deux autres changements essentiels concernent les deux cycles, apprentissages fondamentaux et approfondissements : d’une part le découpage par année dans les progressions, et d’autre part la place réaffirmée de l’étude de la langue, avec, au cycle 2, l’introduction d’un programme et d’une progression en orthographe, en grammaire et en vocabulaire.
Enfin, si la grande section n’apparait plus dans le cycle 2, ni dans les programmes ni dans les progressions, le texte officiel indique explicitement qu’elle en fait partie en évoquant « la continuité nécessaire entre l’école maternelle et l’école élémentaire dont la grande section, classe de l’école maternelle mais aussi première année des apprentissages fondamentaux, est la charnière[[BO hors-série N° 3 du 19 juin 2008, programmes pour la maternelle.]]. »

Des notions non hiérarchisées

Les progressions qui accompagnent les programmes du cycle des apprentissages fondamentaux sont classées synchroniquement en langage oral, écriture, lecture, grammaire, vocabulaire et orthographe et diachroniquement selon la classe de CP et la classe de CE1[[En indiquant que « seules des connaissances et des compétences nouvelles sont mentionnées dans chaque colonne. Pour chaque niveau, les connaissances et compétences acquises dans la classe antérieure sont à consolider. »]]. Mais aucune hiérarchisation n’est proposée de ces différentes compétences ou connaissances ; les textes officiels donnent une liste et il appartient aux enseignants de l’ordonner.

En grammaire

Les nouveaux programmes introduisent la grammaire dès le CP et demandent d’aborder certaines classes de mots. Là encore, les notions à travailler ne sont pas hiérarchisées. Lorsqu’on indique :
reconnaitre les noms et les verbes et les distinguer des autres mots ;
distinguer le nom et l’article qui le précède ; identifier l’article ;
approche du pronom : savoir utiliser oralement les pronoms personnels sujets,
les connaissances et compétences en jeu sont diverses : l’utilisation orale des pronoms personnels sujets est bien installée au CP chez des élèves francophones ; pour certains, le travail de cette compétence ira donc par exemple jusqu’à l’emploi de formules comme « toi et moi + verbe en -ons ». En revanche, la reconnaissance des noms et des verbes est une connaissance nouvelle, qui ne sera pas maitrisée en fin de CP. Elle demandera à être reprise au CE1 et au cycle 3. De plus, dans des situations de plus en plus complexes, elle sera régulièrement réinterrogée.
Enfin, les programmes demandent de traiter au CP la nature verbe et la nature nom puis au CE1 d’« identifier le verbe » ! Traiter au CP la nature verbe et au CE1 la fonction verbe demandera une précision didactique redoutable, sinon les concepts de nature et de fonction, déjà bien abstraits, seront très difficiles à faire différencier. Par exemple, dans les phrases Fumer est interdit et Le volcan fume, le même mot a des fonctions différentes, sujet dans un cas et verbe dans l’autre. Sans parler des exemples extrêmes que montrent des phrases comme Souffler n’est pas jouer !

L’écriture

Au début du CP, les compétences d’écriture sont des compétences personnelles de dictée mentale et ne sont pas la recherche des graphèmes étudiés dans l’année puisque l’apprentissage systématique du code commence seulement ; ainsi, peut-on différencier trois niveaux de production d’écrit au CP : en début d’année, l’encodage de mots, de groupes de mots ou de courtes phrases est proche de l’écriture inventée et peut être nommée écriture élaboratrice  ; elle s’appuie sur plusieurs compétences :
– connaitre quelques relations phonies-graphies
– repérer oralement dans le mot à écrire un élément que l’on peut retrouver dans un mot affiché ou connu
– s’appuyer sur des mots parfaitement connus (comme les prénoms ou les jours de la semaine)… Ensuite, s’appuyant sur l’apprentissage du code qui se construit progressivement dès le début de l’année, l’élève affine sa capacité à transcrire les mots et l’écriture devient systématiquement un exercice de transcription (avec toutes les difficultés liées à la fois aux phonèmes et graphèmes complexes et aux lettres muettes, lexicales ou grammaticales). Au troisième trimestre du CP, l’écriture peut se complexifier et aborder de courts textes  ; la dictée à l’adulte est le moyen privilégié d’y parvenir mais il serait dommage de ne pas utiliser et développer dans cette écriture de courts textes les habiletés d’encodage construites ou en construction ; ainsi, l’écriture autonome de tout ou partie de très courts textes doit être encouragée. L’appui sur des albums de littératures narratifs ou non mais à structures répétitives est alors précieux : on pense ici aussi bien à un album comme J’ai rêvé que de la méthode Ribambelle qu’aux albums d’Elisabeth Brami (par exemple Moi je déteste, maman adore[[Elisabeth Brami et Lionel Le Néouanic, Moi je déteste, maman adore, Seuil, 1999]]) ou à des albums très riches comme Les petites joies[[Montse Gisbert, Les petites (et les grandes) émotions de la vie, Alice jeunesse, 2003]] ou Allô ! Allô ?[[Chris Raschka, Allô ! Allô ?, La joie de lire, 2000]]

Le CP en lien avec la Grande Section

La continuité nécessaire entre la grande section et le CP, réaffirmée par les programmes de 2008, engage à maintenir le lien entre les deux niveaux ; dans la plupart des cas, ces deux niveaux d’enseignement sont séparés de fait (locaux différents, voire écoles différentes, fonctionnement différent) et cette liaison demande des lieux et moments spécifiques ; quand bien même les enseignants se voient au moment des récréations, et les échanges pédagogiques peuvent y être d’ailleurs fructueux, il est important de réserver des moments dans l’année pour faire le point sur les compétences, capacités et connaissances travaillées dans les deux niveaux. Cette mise en lien sera particulièrement importante en fin d’année lorsque l’enseignant de grande section indiquera les difficultés et réussites des élèves dans les domaines de la langue, tels que nous les indiquons ci-dessous. En début d’année, c’est, après les vérifications faites au CP, le moment où, constatant telle ou telle difficulté chez un élève, l’enseignant de cette classe discutera précisément avec son collègue de grande section pour comprendre les raisons de cette difficulté et savoir si elle était déjà présente ou prévisible l’année précédente.
Il appartient aussi à l’enseignant de grande section de travailler à la préparation efficace des apprentissages du CP sans les anticiper cependant ; la maternelle a un programme spécifique et les apprentissages du CP n’ont pas à y être anticipés ; par exemple, si la maternelle développe précisément la conscience phonologique des élèves, s’intéressant en cela à la syllbabe, elle n’a pas à aller, dans le domaine de la conscience phonémique, au-delà d’une découverte ; les élèves de maternelle n’ont pas à savoir tous répondre par exemple à cette consigne ; « remplace le premier son du mot [rulo] par le son [b] » !

On fait donc le point en début d’année de CP

Les apprentissages de l’année de CP étant très importants et les conséquences d’un échec à ce moment lourdes, il est essentiel d’être vigilant dès le début de l’année. L’enseignant de CP a connaissance, par la maitresse de grande section, des éventuelles difficultés de certains élèves qui pourraient gêner ces apprentissages, mais il organisera tout de même, pour certains élèves, ou pour tous si les conditions le permettent, une vérification.
S’il ne s’agit pas de placer les élèves dans des conditions identiques à celles de l’évaluation d’entrée en 6e (séquences faites par tous les élèves en même temps, dans des conditions d’évaluation, en temps limité…), ces vérifications seront très précises pour certains élèves signalés comme risquant d’avoir des difficultés ou pour certains aspects essentiels.

Éléments à vérifier en début d’année de CP
Les élèves ont-ils une bonne conscience phonologique ?
– capacité à scander des syllabes, soit en frappant dans ses mains (un coup par syllabe) soit en sautant à pieds joints (un saut par syllabe) ; pour cette vérification, au tout début du CP, comme en maternelle, on prend comme référence les syllabes orales (c’est-à-dire que papillon aura trois syllabes mais banane deux syllabes) et dès que les apprentissages commenceront, on travaillera selon les syllabes écrites.
– capacité à distinguer et manipuler des sons proches : les élèves différencieront par exemple les sons on et an entendus et pourront également les prononcer. Attention, la différenciation phonémique commencera à s’installer chez certains élèves, mais c’est l’apprentissage pendant l’année de CP qui la confortera et elle n’est absolument pas un pré-requis pour entrer au CP ; ainsi, ne doit-on pas exiger des élèves qu’ils identifient précisément la différence sonore entre château et chapeau ou qu’ils changent le son d’attaque d’un mot répondant ainsi à la question « Dans le mot geler, remplace le premier son par [p] ». On ne considère comme essentielle cette transformation en début d’année de CP que si elle concerne les syllabes : ainsi, les élèves doivent-ils par exemple pouvoir passer de confiture à manfiture[[En effet, ce type de travail peut se faire aussi sur des pseudo-mots, ce qui aide d’ailleurs à faire prendre conscience aux élèves que ces manipulations s’attachent au son et non au sens des mots.]].
– capacité à repérer la présence d’un son dans un mot entendu ou prononcé : les élèves peuvent dire s’ils entendent ou non un son dans un mot.
Les élèves maitrisent-ils le principe alphabétique ?
On sait que ce principe doit être enseigné dès la moyenne section et pendant la grande section et qu’il ne s’acquiert pas spontanément. Il est fondamental et on doit en vérifier la maitrise chez certains élèves en début d’année de CP. Notre langue étant alphabétique, elle code du son et non du sens et les élèves doivent en percevoir les conséquences dans les activités de lecture et d’écriture :
– il n’y a pas de rapport entre la forme d’un mot et son signifié ; ainsi, cet élève de maternelle qui identifiait le mot VELO en expliquant qu’il y avait une roue dans le mot (le O) ne s’appuyait-il pas sur cette relation alphabétique.
– il y a une correspondance de longueur entre un énoncé oral et l’énoncé écrit qui le transcrit : si on propose à un élève qui ne sait pas lire les mots LIBELLULE et BUS, il doit les identifier en repérant celui qui est le plus long à l’oral et pas en se disant qu’une libellule étant plus petite qu’un bus, c’est BUS qui code libellule puisque c’est le mot le plus petit.
– la chaine sonore orale se décompose en mots à l’écrit : ainsi l’élève peut-il trouver le mot rouge dans la phrase Le petit chaperon rouge chante écrite au tableau et que l’enseignant lui lit ; ainsi peut-il aussi trouver un mot dans une phrase de comptine qu’il connait par cœur et qui est écrite au tableau (par exemple, repérer courait dans Une souris verte qui courait dans l’herbe).
– à une redondance à l’oral correspond une redondance à l’écrit : après avoir plusieurs fois entendu et manipulé à l’oral le mot coucou, un élève doit pouvoir y entourer COU dans le mot écrit, en comprenant que puisqu’il entend deux fois [ku], les lettres COU donnent [ku].
Les élèves sont-ils familiarisés avec le monde de l’écrit ?
– savent-ils dans quel sens on prend un livre ?
– connaissent-ils la différence entre quelques types d’écrit (livre, affiche, lettre…) et peuvent-ils en donner la fonction ?
– regardent-ils spontanément de nouveaux livres placés devant eux ?
Les élèves ont-ils une parfaite maitrise du langage d’évocation ?
– capacité à parler spontanément de son passé
– capacité à rappeler oralement un récit entendu, d’une part précédemment raconté par l’enseignant (mettant en scène des personnages proches d’eux), et d’autre part lu par l’enseignant (rédigé au passé simple et mettant en scène des personnages plus éloignés d’eux, animaux ou personnages de contes par exemple).
Dans ces vérifications, on sera vigilant à la langue maternelle de l’enfant ; certains points sont plus difficiles à maitriser quand on n’a pas le français pour langage maternelle ; certains sont d’ailleurs vérifiables dans la langue maternelle de l’enfant (par exemple le langage d’évocation ou la maitrise du principe alphabétique si la langue maternelle de l’élève est elle-même alphabétique). On sera également vigilant aux difficultés que peuvent rencontrer dans ces évaluations les élèves dont le langage oral est peu développé ; ils peuvent maitriser les capacités que l’on cherche à apprécier mais ne pas savoir le montrer.

Nous détaillons ces vérifications de début d’année car il est à notre sens impossible de commencer l’année sans faire un point très précis sur les difficultés et les réussites des élèves ; sur les capacités décrites ci-dessus repose l’essentiel de l’apprentissage de l’année de CP dans le domaine de la lecture et de l’écriture.

On fait aussi le lien avec le CE1

L’importance de l’unité du cycle des apprentissages fondamentaux se manifeste aussi par le lien que la classe de CP entretient avec celle du CE1 et se repère notamment dans les programmes avec cette formulation « Écrire sans erreur de manière autonome des mots simples en respectant les correspondances entre lettres et son » présente en fin de CP. Les textes officiels, par cette formulation, n’incitent pas les enseignants à se contenter d’exiger une transcription phonétique correcte (par exemple éléfan au lieu de éléphant, dencer au lieu de danser, ou ilzonalumé au lieu de ils ont allumé). Ils ne leur proposent pas non plus de se désintéresser des marques orthographiques muettes (doubles consonnes, multi-graphèmes comme en ou an, marques d’accord, lettres finales des mots permettant la dérivation comme dans chat ou grand…) ; au contraire, ils leur donnent en fait un cadre pour construire leur programmation dans le domaine de l’orthographe sur les cycles 2 et 3 : pour proposer une orthographe phonétiquement plausible d’un mot, un élève doit connaître toutes les correspondances phonie-graphie et, ensuite, la programmation de cycle doit hiérarchiser, sur plusieurs années, l’étude des différents niveaux du système orthographique (relation phonie-graphie/vocabulaire/conjugaison/accords).

On le voit, le cycle des apprentissages fondamentaux est plus que jamais judicieusement nommé : apprentissages fondamentaux dans le domaine de la langue (lecture, écriture, oral, étude de la langue) et cycle pour un appui sur le travail si précieux réalisé en maternelle et un lien précis avec ce qui sera fait au cycle des approfondissements. Enfin, dans les trois années du cycle et dans tous les domaines de la langue française, les élèves en difficultés et / ou ceux dont le français n’est pas la langue maternelle feront l’objet d’un suivi particulier, fait d’évaluations précises et d’aides minutieuses pour ne pas laisser s’installer des retards souvent très difficiles à combler ensuite.

Jean-Paul Vaubourg, IUFM de Nancy.