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Les ambitions du ministre

Le changement de ministre a pour l’instant apaisé les passions et les conflits que l’action de C. Allègre avait fait apparaître au grand jour… Quels gages Jack Lang a-t-il donnés pour permettre la trêve ?

La lecture du Point de presse sur le lycée nous donne quelques éclairages. Sur le plan des principes et des valeurs affichées, l’élitisme républicain est nettement affirmé : référence à Antoine Vitez et à son « idéal de culture populaire comme culture élitaire pour tous » ; recherche d’une « école d’excellence pour chacun » de « la plus haute ambition intellectuelle, culturelle et scientifique ». Si l’on ne peut reprocher au ministre sa volonté de décrispation et l’annonce légitime de « hautes ambitions » pour l’école, on peut néanmoins s’inquiéter de l’orientation idéologique qui transparaît dans son discours reposant pour l’essentiel sur le modèle compétitif. « L’égalité des chances et l’exigence intellectuelle marchent d’un même pas » écrit-il fort justement. En apparence démocratique le slogan « l’égalité des chances » recouvre en fait une imposture : faire croire que l’école en offrant à chacun « le meilleur de la culture et du savoir » place tout le monde sur la même ligne de départ, les structures d’aide venant compenser les handicaps. L’échec est alors ramené à la responsabilité de l’élève plus ou moins méritant. Le maintien de l’aide individualisée en 2de, présenté comme un gage de la volonté de réforme du ministre risque de jouer ce rôle de leurre : que pèseront deux heures hebdomadaires d’aide au regard des conditions culturelles nécessaires à l’accès au savoir légitime ? Si encore il s’agissait de permettre à tous les lycéens de construire un socle culturel commun suffisant, de tels dispositifs pourraient contribuer à égaliser les chances… Mais, dès lors que l’objectif visé se situe « au plus haut niveau », que la culture littéraire est référée prioritairement au modèle des humanités classiques, pour l’occasion élevé au rang de modèle universel (cf. le passage sur le grec et le latin « dépositaires [à eux seuls] de pans entiers de la mémoire de l’humanité ») cette exigence là est génératrice d’exclusion.

À la fois rétablir les options, maintenir l’AI (aide individualisée), renforcer l’horaire disciplinaire, développer les TPE transdisciplinaires, créer une agence de l’innovation, sauver le latin et le grec, maintenir le bac : l’exercice est de haute voltige ! Espérons que nous ne nous y cassions pas tous le nez.

Marie-Christine Chycki, Professeur de français, Lycée Jean Macé, Rennes.