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L’école et les inégalités : une urgence sociale

L’école française est inégalitaire, PISA nous le rappelle à chaque rapport. Ces inégalités sont bien sûr en partie créées à l’extérieur, mais l’école ne peut pas se dédouaner d’une action plus équitable, car les pratiques pédagogiques peuvent aussi être créatrices d’inégalités. Cette question doit être présente dans le débat public durant la campagne présidentielle.

Nous sommes maintenant habitués à la récurrence des rapports PISA tous les trois ans (depuis 2000). Au moment de sa publication, toute la presse commente cela comme un palmarès sportif en se demandant si la France a remonté dans le classement. Pourtant, cette écume médiatique oublie l’essentiel, qui figure pourtant dans le rapport. La France est un des pays où l’origine sociale joue le plus dans la réussite scolaire. Et cela ne semble pas émouvoir plus que cela l’opinion publique et les hommes politiques.

Or, à l’occasion de la prochaine élection présidentielle, il nous semble indispensable d’interpeller les futurs candidats sur ce que nous considérons comme une urgence sociale. La manière de poser la question de l’origine des inégalités est elle-même politique. Se demander si les inégalités sont produites par l’école ou si celle-ci ne fait que les subir ou les reproduire n’est pas neutre.

On peut s’interroger ensuite sur ce que peut l’école en tant qu’institution pour lutter contre ces inégalités mais aussi sur ce que peuvent les enseignants au quotidien dans leur classe. Y a t-il des pédagogies moins inégalitaires que d’autres ?

L’école : réceptacle ou facteur d’inégalités ?

L’école hérite d’inégalités économiques sociales et familiales telles que les inégalités de revenus et de patrimoine, qui peuvent agir sur l’accès à certaines études ou à des cours privés mais aussi tout simplement sur les conditions de vie : comment bien apprendre quand on a l’estomac vide ? Cela conditionne aussi la possession d’équipements (ordinateurs par exemple) ou l’accès à certaines ressources (voyages à l’étranger facilitant l’apprentissage des langues). Il faut aussi évoquer les inégalités de logement qui jouent un rôle important dans les conditions de travail des jeunes (avoir sa chambre à soi…). Cela se double d’une forme de séparatisme géographique et social1 qui a évidemment des répercussions sur la carte scolaire et la mixité sociale des établissements.

Les résultats des enquêtes internationales ou nationales ne cessent de le montrer : notre école est profondément inégalitaire. Cependant, plusieurs rapports ont montré que l’école française n’est pas neutre dans les inégalités, mais qu’elle contribue à les aggraver. Et bien plus que dans d’autres pays, nous dit l’OCDE.

Car, si l’école hérite d’inégalités familiales, elle en produit également « à chaque étape de la scolarité » des élèves, qui « se cumulent et se renforcent », insistaient en 2017 les auteurs du rapport du Conseil national d’évaluation des systèmes scolaires (Cnesco) « Inégalités sociales et migratoires : comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ».

C’est un enjeu important parce que, trop longtemps, on a entendu un discours chez certains enseignants qui exonérait l’école de toute responsabilité et donc de toute nécessité de changer, puisque les causes des inégalités étaient ailleurs. Il « suffirait » donc de changer la société pour ne pas changer l’école…

Non ! L’école doit faire sa part !

Que peut l’école ?

Du fait des inégalités territoriales et de la carte scolaire, beaucoup d’établissements ont souvent une composition sociale très homogène. La mixité sociale aboutirait à la diversité des origines sociales au sein d’un même établissement. Pour créer plus de mixité, il est possible de revoir la carte scolaire en y intégrant le privé sous contrat et en modifiant les modalités d’affectation.

Mais attention ! Il peut y avoir de la mixité sociale à la grille de l’établissement et, une fois dans les salles, des classes de niveaux terriblement homogènes scolairement par le jeu des options. Il est possible de recruter des élèves de différents milieux sociaux, mais s’ils sont tous bons, de fabriquer des classes sans hétérogénéité pédagogique. C’est pourquoi il faut bien faire la différence entre « mixité » et « hétérogénéité ». L’école doit veiller à ne pas reproduire le séparatisme à l’intérieur même des établissements.

La mixité des classes permet d’instaurer des normes de groupes favorisant le travail scolaire. Pour les élèves qui ont plus de difficultés, être en contact avec des enfants qui se concentrent et fournissent des efforts facilement leur permet d’appréhender, d’adopter d’autres normes de comportement, et éventuellement de modifier leurs ambitions. Cela peut être difficile à admettre pour les familles favorisées. Mais placer son enfant dans un environnement socialement très homogène en croyant le protéger risque de limiter, à terme, sa capacité d’adaptation face à des personnes de milieux différents qu’il sera amené à croiser dans sa vie professionnelle. Les bons élèves qui ont été confrontés à l’hétérogénéité ont une longueur d’avance.

Cela doit être complété par une politique de soutien à l’éducation prioritaire. Lorsqu’on regarde l’ensemble des moyens versés aux établissements on constate que celle-ci n’est pas si « prioritaire » que cela. La masse salariale en particulier est bien plus importante dans un établissement de centre ville !

Que peuvent les enseignants ?

Mais la lutte contre les inégalités n’est pas qu’une question de structure et de politique éducative. C’est aussi une affaire de pédagogie qui se joue dans la classe et dans l’établissement.

De nombreux travaux ont donc montré que ce qui créait des inégalités à l’école, entre autres, résidait dans le « rapport au savoir » et donc dans la difficulté qu’avaient certains élèves à comprendre le sens des apprentissages. De même, on sait aussi que le passage d’un degré à un autre est souvent synonyme de difficultés pour certains élèves qui ne comprennent pas bien le changement dans les exigences.

Lutter contre les inégalités à l’école, c’est donc faire en sorte que les élèves les plus fragiles comprennent mieux ce qui leur est demandé et le sens de ce qu’on attend d’eux et qu’on se préoccupe davantage de la continuité de ces apprentissages. L’interdisciplinarité est un moyen de faire du lien entre ce qui est vu de manière cloisonnée. On a tendance là aussi à considérer qu’on ne peut croiser les regards que quand on maîtrise bien les fondamentaux. Rien de plus faux que cette conception linéaire des apprentissages. Ce qui peut motiver, ce qui peut faire rentrer dans les apprentissages, c’est plutôt le complexe, une énigme, ou une « question socialement vive » qui mobilise plusieurs domaines de compétences et de savoirs. C’est ce que Freinet avait particulièrement bien compris.

Cette démarche ne souffrira pas du reproche d’être implicite et donc inégalitaire si un certain nombre de conditions sont réunies et qui tiennent à la place de l’enseignant. Celui-ci est présent à tous les niveaux. Il doit d’abord proposer des situations qui soient à la portée de l’élève, ni trop faciles, ni trop compliquées. Il doit aussi dire clairement ce qui est attendu : quels sont les objectifs et comment cela sera évalué. Tout ce qui contribue à indiquer des critères clairs, en distinguant notamment la part accordée dans tel ou tel exercice à l’exigence d’exactitude, d’exhaustivité, de pertinence, de créativité, tout ce qui diminue la part d’arbitraire et d’implicite va dans le sens de l’égalité. Une évaluation qui soit au service des apprentissages plutôt qu’à sélectionner est nécessaire notamment au début de la scolarité. L’estime de soi, la prise de conscience de ses capacités de progrès, le bienêtre des élèves sont aussi des facteurs importants pour faire réussir tous les élèves.

Travailler sur les transitions et une pédagogie plus explicite suppose aussi qu’il y ait une cohérence entre les enseignants de différents niveaux ou de différentes disciplines. Le travail en équipe des enseignants est alors une nécessité pour préciser les attentes, se doter d’un vocabulaire et d’outils communs.

En résumé, les pratiques pédagogiques vont dans le sens de la réduction des inégalités quand elles permettent aux enfants de milieux populaires de mieux décoder l’école. La lutte contre les inégalités repose aussi sur une exigence de personnalisation et de différenciation.

Des principes, des valeurs et du sens

Faire évoluer ses pratiques de classe relève d’abord d’un engagement sur des principes et des valeurs, bien au delà de considérations techniques sur les « meilleures » ou les « bonnes » façons de faire apprendre les élèves.

Rendre les attentes et les évaluations plus explicites, faire en sorte que les apprentissages soient reliés à des questions vives, faire « alliance » avec les parents les plus éloignés de l’école sont autant de pistes pour donner plus de sens et de proximité avec la culture scolaire. C’est donc aussi et surtout un enjeu collectif. Beaucoup d’enseignants disent leur difficulté à gérer l’échec scolaire et les difficultés des élèves et cela contribue au malaise enseignant.

Revaloriser le métier ce n’est pas seulement mieux payer les enseignants. C’est aussi redonner du sens et des objectifs précis à celui-ci. Et la lutte contre les inégalités à l’école est un impératif. Car il y a une urgence sociale. Si on ne rétablit pas la promesse républicaine, si on ne lutte pas contre la situation très inégalitaire qui est celle de l’école d’aujourd’hui, nous courons le risque d’une véritable explosion sociale. C’est le défi de l’école de demain.

Quelles seront les réponses des candidats face à ce défi ?

Philippe Watrelot
Professeur de SES et formateur à l’Inspé de Paris

À lire également sur notre site:

Exception consolante, recension du livre et interview de Jean-Paul Delahaye

Trois mesures pour lutter contre les inégalités, article collectif

Suffit-il de savoir pour savoir enseigner ? par Philippe Watrelot


Sur notre librairie :

Philippe Watrelot, Je suis un pédagogiste – Gommer les clichés, construire une meilleure école, ESF, 2021

Le monde de l’éducation a vu surgir un nouveau mot : « pédagogiste ». Vous avez dit pédagogistes ?! Les pédagogistes seraient ces enseignants jargonnants qui parlent de « référentiel bondissant » pour ballon, ces enseignants laxistes qui en oublient l’exigence pour le ludique, ces enseignants hors-sol qui s’appuient sur des théories fumeuses. Ils auraient pris le pouvoir dans l’Éducation nationale et contribueraient à détruire le service public d’éducation. Rien que ça !

Au départ destiné à dévaloriser, ce terme péjoratif est révélateur des tensions qui traversent le débat sur l’école.

Cet ouvrage est un appel aux décideurs pour repenser un service public plus innovant et une école plus juste. Un manifeste dans lequel Philippe Watrelot formule des propositions concrètes pour une meilleure école qui réussit aux élèves et aux enseignants.


Notes
  1. Éric Maurin, Le ghetto français : enquête sur le séparatisme social, République des idées, Seuil, 2007.