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Le sentiment d’injustice à l’école

Le sentiment d’injustice renvoie à l’univers des émotions humaines. Il en parcourt toute la gamme : du noir de la défaite au rouge de la colère, en passant par le bleu du chagrin, mais il est aussi porteur de la clarté de la révolte, de l’espoir d’une réparation, avec comme horizon un monde plus juste à faire advenir.

C’est un peu ce chemin que nous essaierons de parcourir en regardant ce qui se passe à l’intérieur de l’école, dans les classes, dans les lieux plus institutionnels que sont les conseils de classe ou les conseils de discipline à travers ce qu’en disent les acteurs, ce qu’ils ont pu percevoir, ce qu’ils ont pu changer, etc. Sans nier la réalité objective des injustices (en particulier les inégalités socioéconomiques) qui donnent forme à nos sociétés, nous avons voulu centrer ce dossier sur les personnes, leur ressenti : paroles d’élèves, de parents, d’éducateurs, d’enseignants.

Cette approche subjective ne rend pas pour autant notre objet évanescent : mesurable (et mesuré) par le biais des enquêtes PISA, le sentiment d’injustice s’objective. L’analyse qu’en propose Denis Meuret met au jour la spécificité de l’école française, habitée plus qu’une autre par ce sentiment.

Éric Debarbieux démontre les corrélations, rigoureusement établies, entre l’usage intensif des punitions et un sentiment d’injustice exacerbé, qui engendre à son tour des punitions et nous engage à « oser penser la transgression au-delà du simplisme de la pensée répressive ». Stefano Monzani nous donne à voir les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans la construction identitaire des adolescents pris entre les injustices ressenties et « la croyance en une école juste ». François Dubet analyse le sentiment d’injustice dans ses multiples dimensions : sociologique (illusion de l’idéal méritocratique), éthique (déontologie floue des enseignants), juridique ou politique (droits des élèves peu reconnus).

Ce regard des chercheurs rencontre celui des praticiens engagés sur le terrain.

  • Premier axe : ne pas laisser le sentiment d’injustice en jachère, car sa prolifération incontrôlée engendre les pires comportements. L’appréhension de la notion de justice est difficile, sujette à bien des contradictions et doit s’inscrire dans le cursus des élèves. Dans la première partie, nous pouvons entendre des paroles d’élèves et percevoir l’intérêt de la mise en œuvre d’ateliers philo dès l’élémentaire.
  • Deuxième axe : diminuer le sentiment d’injustice en mettant en place des procédures d’évaluation compréhensibles par les élèves, en associant les élèves au processus, en créant des lieux d’expression écrite ou orale où les élèves sont entendus.
  • Troisième axe : mettre en adéquation les principes du droit avec les pratiques réelles. Bernard Defrance dresse en début de troisième partie un réquisitoire sans concession des dysfonctionnements de l’institution scolaire. La voix des parents d’élèves est tout aussi critique : malgré l’excellence des textes règlementaires produits depuis quelques années par l’institution en matière de justice scolaire, de prévention, de respect, de réparation, les us et coutumes perdurent.

Véronique Bavière apporte un contrepoint plus optimiste à cette partie : refusant le fatalisme, elle raconte comment il est possible de s’emparer des textes et de les faire vivre.

La fin du dossier se veut, elle aussi, plus positive : nous y entendons la voix de nombreux militants engagés dans la pédagogie institutionnelle, empruntant les voies ouvertes par Célestin Freinet, empreintes de l’enthousiasme de ceux qui pensent leur métier au lieu de le subir.

Marie-Christine Chycki
Professeure de français en retraite
Émilie Pradel
Professeure des écoles