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Le retour des vieilles lunes
Fidèle à ses promesses électorales, le président nouvellement élu d’une grande région française annonce avec tambours, trompettes et mirlitons qu’il va consacrer vingt millions d’euros à l’équipement de quinze lycées en détecteurs de métaux contre les terroristes et les délinquants. Voici donc que ressurgissent les vieilles lunes sécuritaires. Il fallait s’y attendre. En matière de démagogie électorale, la posture du matamore séduit et l’on sait très bien hélas qu’à un problème complexe il y a toujours une solution simple : la mauvaise. Mais pourquoi s’en priverait-on si elle nous donne l’onction populaire ?
Il ne s’agit pas bien sûr de prendre à la légère le problème de la sécurité dans les lycées, les collèges ou les écoles. Et il ne s’agit surtout pas de le prendre avec des œillères idéologiques. D’ailleurs, ne pourrait-on taxer de naïveté et d’angélisme qui met en doute l’utilité d’une telle mesure ? Je n’hésiterai pourtant pas à retourner cette proposition : espérer régler, ou, du moins, contenir ainsi la violence (y compris la violence la plus lourde) est une naïveté, un leurre idéologique et, au choix, un angélisme ou un attrape-couillon cynique.
Techniquement, c’est une erreur. Et une erreur qui peut avoir des conséquences lourdes. Létales même. Créer un attroupement, fixer les élèves à l’entrée de l’établissement est risqué : tout point de concentration devient la cible la plus facile pour un terroriste, la plus recherchée. Les portiques non seulement concentrent les personnes, mais de plus les fixent. C’est créer une opportunité pour les tueries de masse planifiées. Et il est même comique de penser que les terroristes vont gentiment attendre de passer sous le portique ! Ne parlons qu’en passant de la gestion de ce contrôle dans l’établissement. On se rappellera peut-être que les deux équipements installés naguère à Nice n’ont jamais été utilisés.
Sur un plan éducatif et moral, c’est une faute. Non seulement ce type de mesure est inutile, mais il est anxiogène. Surtout, et bien des recherches ont été menées aux États-Unis sur cette question, elle renforce chez les élèves et les habitants le sentiment qu’on se méfie d’eux, accentuant par là même désaffiliation et sentiment d’exclusion, terreau de la violence contre l’école. La sécurité est un bien partagé et construit avec les élèves et non pas contre eux. Tout repli de l’école sur elle-même la désigne comme cible, au lieu qu’elle soit le bien commun, le capital social que la communauté entend préserver. La qualité des murs est faite de la qualité des hommes, et non l’inverse.
Éric Debarbieux est professeur à l’université Paris Est Créteil.
Dernier ouvrage paru : Les dix commandements contre la violence à l’école, éditions Odile Jacob.