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Le professeur de SVT, scientifique et éducateur
Notre collège propose différents ateliers dans le cadre du CESC (comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté).
À chaque niveau son atelier
D’abord un « atelier puberté », en 6e et 5e : sur le temps du midi et, pour ceux qui le souhaitent, quelques séances, non mixtes, durant lesquelles nous répondons aux questions déposées en amont dans une boite. Les demandes des filles sont fortes. L’idée est surtout d’échanger sur des angoisses, commencer à casser de fausses représentations et discuter de leurs croyances. Elles se questionnent sur les règles, les tampons, la grossesse (« où est le bébé, par où sort-il ? »). La sexualité n’y est pas abordée. Leur sexe est encore tabou pour certaines. Les garçons sont moins demandeurs. Ceux qui viennent posent plus de questions sur la puberté des filles que sur la leur.
En tant qu’enseignants, ces échanges nous permettent d’intégrer les obstacles cognitifs dont il faudra tenir compte durant la construction des cours de SVT (sciences de la vie et de la Terre).
En 4e, nous proposons un jeu de plateau, Câlin malin, sur le principe du jeu de l’oie, qui permet de répondre à des questions liées à la santé et la sexualité. Le jeu est juste un déclencheur de la discussion. Assez souvent, on quitte le déroulement du jeu pour des échanges. Utiliser un jeu est rassurant pour les intervenants comme pour les élèves. Si un groupe est très passif, il permet tout de même d’aborder différents sujets et de prendre un peu de distance pour les jeunes les moins à l’aise.
Il n’est pas utile en une heure trente d’aborder tous les sujets à tout prix, certains ne correspondent pas nécessairement au questionnement des élèves (homosexualité, viol, etc.). La difficulté est de laisser les jeunes aller vers les sujets qui les touchent le plus sans tomber dans un concours de curiosité malsaine. D’où l’importance d’être deux adultes de profil différent. Cela permet de sortir un élève trop gêné ou dont le comportement n’est pas adapté, de prendre du recul et de faire les bons choix.
Photolangage
À des élèves de 3e est proposé un photolangage sur la relation amoureuse. Différentes photos sont positionnées sur des tables. Les élèves doivent faire le tour de la salle pour les découvrir en silence, puis en choisir une qui représente le mieux, pour eux, la relation amoureuse. La photo choisie, ils retournent à leur place puis les élèves s’expriment, chacun leur tour, pour expliquer leur choix en décrivant la photo. Un échange est ensuite organisé à partir de leurs interventions.
Le retour des élèves a toujours été très positif même si, de prime abord, ils avaient un peu de mal avec la notion de relation amoureuse.
Parler des interactions entre filles et garçons avant de parler de sexualité permet d’échanger sur les perceptions qu’ils ont de l’autre sexe, de discuter certains clichés, d’aborder la place de la femme, d’échanger sur les différences culturelles. Ils se surprennent parfois mutuellement car jamais ils n’ont abordé ce sujet directement malgré la place centrale qu’il a dans les cours de collège.
Beaucoup de témoignages sont touchants, certains jeunes font preuve d’une sensibilité insoupçonnée. Ces séances nous aident à avoir une vision plus juste de leur positionnement dans la société et des interactions entre eux. Être capables de les accompagner, de leur apporter des informations plus justes, en respectant leurs différences est une équation difficile à résoudre.
Deux casquettes
En tant que professeurs de SVT, nous devons aborder ces questions dans deux contextes qui doivent être bien distincts, car nous y avons deux casquettes différentes : celle du professeur de SVT, qui doit amener ses élèves à acquérir des connaissances et à développer des compétences : « Relier le fonctionnement des appareils reproducteurs à partir de la puberté aux principes de la maitrise de la reproduction », « puberté ; organes reproducteurs, production de cellules reproductrices, contrôles hormonaux ».
Les obstacles cognitifs étant nombreux, il est indispensable d’aborder ces notions dans une progression la plus spiralaire possible durant le cycle, avec des évaluations diagnostiques pour savoir ce qui est resté d’une année sur l’autre, d’amener les élèves à échanger. Les connaissances progressivement construites aideront l’élève à argumenter sur les comportements responsables. « Expliquer sur quoi reposent les comportements responsables dans le domaine de la sexualité : fertilité, grossesse, respect de l’autre, choix raisonné de la procréation, contraception, prévention des infections sexuellement transmissibles. »
Dans le cadre des interventions du CESC, les élèves ne doivent plus nous percevoir comme un professeur mais plus comme un adulte. L’organisation spatiale ainsi que notre posture doivent être différentes. Nous devons être vigilants à ne pas refaire un cours durant l’intervention.
Appeler un chat un chat
Ce statut de professeur de SVT peut pourtant nous faciliter les choses, car nous avons déjà abordé ces questions en cours sans complexe et avec un vocabulaire adapté. Ils doivent ainsi se sentir plus à l’aise pour échanger. Nous avons une idée de leurs représentations, régulièrement fausses ou incomplètes. Nous connaissons les points sensibles, les clichés qui persistent, les sujets plus tabous, etc.
Notre casquette de scientifique nous permet d’appeler un vagin un vagin. En classe, les élèves réagissent dès que nous utilisons des mots comme « pénis, vagin, spermatozoïde ou masturbation », il faut dire que ces mots sont très souvent remplacés par d’autres plus ou moins heureux dans le langage courant. Utiliser les vrais termes casse certains tabous, certains complexes, et permet d’aborder les choses de façon plus sereine. Mieux se connaitre c’est mieux se respecter, mieux connaitre le fonctionnement de l’autre c’est aussi mieux le respecter. Les connaissances construites en classe permettent aux élèves de mieux comprendre leur fonctionnement : l’importance des règles, les différences et les points communs entre les sexes, etc. Elles permettent de casser les clichés et d’être plus armé pour faire des choix plus personnels et plus réfléchis.
Du bon usage des connaissances
L’exemple du clitoris est assez parlant. Quand on montre une représentation 3D d’un clitoris aux élèves, ils ne savent pas de quoi il s’agit. Quand ils découvrent que c’est aussi un organe érectile qui a une origine embryonnaire identique à celle du pénis, ils sont encore plus surpris. Ces connaissances enrichissent les échanges lors des interventions du CESC. Si on pense au clitoris, l’érection n’est plus un privilège masculin, et qu’en est-il de la masturbation ? Les représentations changent, le sexe féminin prend forme dans la tête des adolescents, on peut alors amener les élèves à échanger, à se questionner sur la sexualité et la santé de façon plus pertinente, plus juste. Les enseignants de SVT non seulement maitrisent ces connaissances, mais savent aussi les aborder avec les élèves de façon à ce qu’ils se les approprient, qu’elles deviennent des outils qui leur permettent de développer des compétences transversales telle que « Fonder ses choix de comportement responsable vis-à-vis de sa santé ou de l’environnement sur des arguments scientifiques ».
Ce rappel de connaissances nous est parfois reproché, mais c’est nous réduire à notre statut de scientifiques, nous sommes aussi des professionnels habitués à travailler avec des adolescents, parfois formés à ces interventions. Pour certains, il est fondamental d’aborder ces sujets dans les deux contextes, car soit ils arrêteront les SVT en fin de 3e, soit ils commenceront une vie active sexuellement durant les années collège.
Le collège reste un lieu privilégié dans l’éducation à la santé et la sexualité. Il est donc fondamental que chaque établissement se donne les moyens (horaires, intervenants, formation) d’assurer les interventions nécessaires. L’enseignant de SVT a toute sa place dans les interventions du CESC, qui doivent être construites et animées en équipes pluridisciplinaires.
Aurélie Charrier
Enseignante au collège Condorcet, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (44)
Obstacle cognitif et relation pédagogique
« Merci Madame, j’en ai pas besoin. — Comment ça tu n’en as pas besoin ? On va compléter l’anatomie de l’appareil génital tous ensemble. — Oui, mais moi madame, je regarde pas. » Je continue la séance et lui laisse la feuille sur la table, espérant qu’elle la prenne malgré tout. À la fin de la séance, la feuille est toujours là. « Bon d’accord, tu ne peux pas regarder, mais si tu ne la colles pas dans ton cahier tu ne pourras rien apprendre. — Mais madame, si mon père voit ça dans mon cahier, qu’est-ce que je vais lui dire ? — Tu lui diras que c’est le programme et que s’il met en cause ce qu’on apprend, il peut venir me voir. Bon mais de toute façon, tu trouveras la correction sur l’ENT (espace numérique de travail). » Quelques jours plus tard, nous regardons ensemble des spermatozoïdes au microscope lors de la résolution d’un exercice. À nouveau le sujet est problématique. « Mais madame, je peux pas toucher, c’est sale. — Comment te dire ? C’est une préparation qui est dans le placard depuis au moins un an et il n’y a aucun risque. » Elle finit par regarder, curieuse, mais refuse d’en faire le dessin. Quelques jours encore plus tard, c’est le moment d’observer des coupes d’ovaires et de comprendre les différents stades de croissance des follicules. Je crains que l’élève ne refuse à nouveau le travail, mais cette fois-ci elle regarde la préparation de bon cœur. À la fin de l’heure, je lui fais remarquer que je suis heureuse qu’elle ait pris le temps de regarder au microscope sans refuser d’emblée. Elle me répond « et moi je suis contente, j’ai appris plein de choses en SVT ». Pourtant ça n’a pas été une mince affaire.
Roseline Prieur
Professeure de SVT en collège