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Le numérique, révélateur d’apprentissages ?

Cinq ans, cela peut sembler court ; pourtant au vu de la vertigineuse croissance des réseaux sociaux, de leur cycle de vie au rythme techno-effréné, un quinquennat est un temps suffisamment long pour une analysée posée sur les apports réels du numérique.

Au début, il y eut Twitter. Laurence Juin s’y intéresse. Dans sa découverte, elle fait de belles rencontres comme celle de David Cordina, enseignant en FLE à l’Université de Lille. Avec lui, elle tisse un projet où ses élèves de Bac Pro tertiaire dialoguent avec des étudiants chinois. La qualité des échanges la persuade de l’intérêt de l’exercice. « Quand on écrit et que l’écrit est publié, l’expression s’améliore ».
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Au départ, l’informatique n’est pas vraiment sa tasse de thé. Ses élèves l’épaulent, lui expliquent les rudiments y compris pour brancher un vidéoprojecteur. Ils lui offrent même « Internet pour les nuls ». Pour l’enseignante, un deuxième constat s’impose : la qualité de la relation pédagogique s’enrichit de ces compétences acquises auprès de ceux à qui elle enseigne. « Apprendre à dire je ne sais pas, apprendre des autres », la posture du prof du XXIe siècle est aussi celle-ci, impulsée par le numérique qui rend chimérique le fossé entre celui qui sait et celui qui ne sait pas.

Laurence apprend beaucoup aussi des autres, rencontrés virtuellement ou en vrai, et étoffe ses projets avec de nouvelles pistes. « J’ai eu la chance de croiser des gens qui ont été là pour me répondre à chaque fois que j’ai posé une question ». Au fil des ans, elle crée avec ses élèves de nouvelles façons d’apprivoiser l’expression en explorant les potentiels du web 2.0.
Cette année, elle travaille avec Pinterest, découvert l’an passé. « C’est souvent l’utilisation personnelle d’un outil qui débouche sur un intérêt pédagogique. Pinterest s’appuie sur l’image à laquelle on peut ajouter un petit texte. Les images amènent donc le texte et la réflexion ». L’expérience est commune à la classe avec un seul compte. Ce compte est alimenté, selon les objectifs de la séquence, avant par l’enseignante, pendant les cours par la classe ou après pour garder une trace. Il est conçu comme un espace de travail interactif qui s’ouvre à l’extérieur si besoin.

Cette notion de classe ouverte est une constante et un fondamental de l’approche pédagogique de Laurence Juin. « Quelque soit le support, pour moi les objectifs sont les mêmes : l’écriture, l’éducation au numérique, l’ouverture vers l’extérieur, la valorisation de l’élève et de son travail », souligne-t-elle. L’outil change au gré de l’évolution des pratiques des élèves et des siennes, mais la ligne reste claire et constante.
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Professeure principale, elle observe les effets positifs sans pour autant les mesurer. Elle constate progressivement à la fois le développement d’une certaine autonomie et l’émergence de pratiques collaboratives avec des travaux de groupes, du tutorat et plus informellement de l’entraide. Or, ces deux aptitudes sont précieuses dans un environnement professionnel où les élèves s’immergent dès leurs périodes de stage. Elles permettent aussi une cohésion de groupe au sein de la classe, suscitée déjà par une même envie d’apprendre en travaillant sur des projets. Elle constate : « En lycée professionnel, ils n’en peuvent plus d’apprendre de façon classique ».

Mais ne comptez pas sur elle pour quantifier l’efficacité de ses méthodes en les confrontant aux résultats au bac. « Ce que je veux, c’est qu’ils réussissent après le bac, dans leur vie professionnelle ou étudiante mais aussi en tant que citoyens ». Et elle rajoute « Le rôle de l’école ne s’arrête pas à un taux de réussite au bac. Nous sommes là également pour former des citoyens qui réfléchissent, aient du travail et un minimum de culture ». À l’heure du numérique, les mirages des savoirs à portée de clics font des ravages et éloignent encore plus ceux qui n’ont pas la chance d’être accompagnés dans la société de la connaissance. Goûter à la diversité culturelle est un plaisir encore trop réservé.

Son rôle d’enseignante, Laurence le vit entre ces deux nécessités : celle de transmettre des savoirs de base nécessaires pour acquérir les codes minimaux de la vie sociale et professionnelle et celle d’accompagner pour développer autonomie et aptitudes collaboratives. Il oscille entre classicisme et coaching. La fracture culturelle, elle la constate dans sa classe où pour certaines familles marquées par le chômage et l’échec, l’apport de l’école est loin d’être flagrant. L’école parfois symbolise même cet échec. Alors, il faut amener les élèves à comprendre que ce qu’ils apprennent a une utilité, à tisser un lien entre la théorie et la pratique. Des ateliers rédactionnels sont coanimés avec un enseignant professionnel et donnent lieu à des validations de compétences. L’étude de l’histoire amène à mieux comprendre l’actualité. La compréhension du monde se renforce en allant voir des films dans le cadre de « lycées et cinéma », des films que d’ordinaire les élèves ne regarderaient sans doute pas. En préparant la séance, en l’exploitant ensuite par des débats ou des écrits, ce sont de nouveaux champs culturels qui se dévoilent. « Numérique ou pas numérique, il faut donner du sens à l’école pour que les élèves comprennent pourquoi ils apprennent. Et là, ils apprennent mieux ».

Pour Laurence Juin, la société de la connaissance est une sphère que l’on partage, où l’on collabore pour apprivoiser les savoirs, pour les faire nôtres. Apprendre est une richesse à la portée de tous si on nous accompagne. Ce qu’elle sait, ce qu’elle a appris, elle le raconte, le diffuse. Elle forme aussi d’autres enseignants dans son lycée et ailleurs aux usages du numérique. Et lorsqu’elle croise un de ses anciens élèves de la promo « Internet pour les nuls », elle prend plaisir à dire tout ce que, depuis, elle a appris.

Monique Royer