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Le mythe national : L’histoire de France revisitée

Quatre bonnes raisons de lire ou de relire cet excellent livre de Suzanne Citron, paru pour la première fois en 1987 (Jacques George en proposa un compte rendu dans le numéro 264 des Cahiers, voir plus bas), et réédité aujourd’hui avec une nouvelle préface et quelques actualisations :
– Tout d’abord réviser son histoire de France, le livre revisitant à la lumière de l’historiographie récente les grands épisodes de l’histoire de ce petit bout d’Europe.
– Mesurer ensuite à quel point le discours historique a été de longue date instrumentalisé par le pouvoir politique : si Clovis, Charlemagne, saint Louis sous son chêne, François Ier à Marignan, occupent une telle place dans le panthéon de l’histoire de France, c’est parce qu’ils ont été soigneusement sélectionnés et mis en avant par des clercs beaucoup plus soucieux de la légitimité du pouvoir qu’ils servaient que de la vérité des événements. Michelet et Lavisse, au XIXe siècle, sont les lointains successeurs de Grégoire de Tours (vie siècle) ou Joinville (XIIIe siècle) dans leur souci de construire un passé officiel, marqué au sceau de la continuité et de la téléologie, de construire l’histoire d’une France mythique se réalisant peu à peu au cours des avatars du temps.
– Mesurer également le poids considérable de ce récit officiel, des rois puis de la république française, dans l’histoire scolaire : le partage de Verdun de 843 ou « l’avènement d’Hugues Capet » de 987 figurent encore dans les repères chronologiques que l’on juge indispensable à la compréhension du passé par un élève de 5e aujourd’hui, sans parler de la « chevauchée de Jeanne d’Arc »…
– Enfin s’interroger sur ce que pourraient être les contenus des programmes d’histoire à notre époque. On ne peut que souhaiter, avec l’auteur, une histoire scolaire bien plus soucieuse de la pluralité et de la complexité des situations, s’inspirant de ce point de vue des avancées historiographiques. Mais même du point de vue des finalités civiques de la discipline, qu’il ne s’agit pas de nier pour la rabattre sur des prétentions purement scientifiques, il serait temps de rompre effectivement avec « une histoire des triomphes du pouvoir dans laquelle les vaincus, les annexés, les persécutés, les opposants ne sont pas véritablement acteurs », une histoire dont la logique demeure la « mémoire de l’État, à l’exclusion des autres mémoires, qu’elles soient régionales, culturelles, sociales, religieuses, colonisés, immigrés ».
Le mot de la fin : « Donner à tous les Français (et à tous les enfants qui s’inscrivent dans nos écoles) le droit avoir un passé, d’inscrire leur mémoire familiale dans la durée, oblige à repenser l’histoire transmise par l’école. »

Patrice Bride



Recension parue lors la première édition, dans le N°264/265 de mai-juin 1988 , par Jacques George

En bousculant pas mal d’idées reçues, Suzanne Citron a montré comment s’est forgée, au cœur du Moyen-Age, puis com¬ment a été diffusée par les manuels d’histoire, une « image théologique d’une France inscrite à l’avance dans le déroule¬ment du futur, préfigurée par la Gaule, incarnant le droit et la justice » (p. 30). C’est le « mythe gaulois », après le « mythe troyen qui avait permis aux rois francs d’assurer la continuité des trois dynasties, ancrée dans une réussite commune », qui « donne à la nation une et indivisible son homogénéité raciale et sa cohérence culturelle » (p. 149). Ainsi s’édifie la « religion royale (qui) avait tissé entre des peuples divers, regroupés par la conquête capétienne au¬tour de la couronne, les liens d’un imaginaire commun ». Dans une belle continuité, « la Révolution substitue la nation su¬blimée au roi » (p. 157), et « le nationalisme républicain », non seulement ne critiqua pas le processus de construction du royaume, « mais il cautionna par la sacralisation du territoire et le prolongea dans la conquête coloniale » (p. 264). D’où les nombreux silences de l’histoire traditionnelle, « qui ne soulève jamais la probléma¬tique dreyfusarde des rapports entre la Vérité et la Raison d’État et qui ne donne pas la parole aux vaincus du pouvoir (monarchique ou républicain) »( p. 15), les malentendus, la difficulté à résoudre, et d’abord à poser, le problème algérien ou, aujourd’hui, le problème néo-calédonien. Pour illustrer son raisonnement, Suzanne Citron procède à un « travail de démystification des clichés qui hantent notre mémoire collective » (p. 185), par exemple Charles Martel ou les Croisades, les Cathares, la Vendée. On apprendra beaucoup de choses en la lisant.
Mais puisque son dépouillement des manuels ne porte que sur ceux du primaire, je la chicanerai sur ce point. Démystifier l’histoire hexagonale et théologique, certes ; mais décrypter le passé « selon des temps longs ou courts en fonction de la nature et de la durée globale des processus que l’on cherche à comprendre » (p. 194), construire des ensembles au macroscope, se repérer sur les grandes évolutions techniques, n’est-ce pas négliger les conditions -dans lesquelles l’enfant construit sa notion du temps en le meublant de choses concrètes et précises ? Suzanne Citron doit revenir sur cette question.
Mais, au moment où l’on veut construire l’Europe, il est grand temps de réviser l’histoire, d’inventer « une francité nouvelle, contractuelle, dynamique, créative, généreuse, interculturelle, ouverte sur l’Europe et sur le monde » (p. 283), temps aussi de « désacraliser, laïciser la politique ».

Jacques George