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Le document et l’indice. Apprendre l’histoire de l’école au lycée

Didier Cariou, Presses universitaires de Rennes, coll. Paideia, 2022.

On peut, bien entendu, entrer dans cet ouvrage de façon académique par les premiers chapitres qui posent les fondements théoriques, avant d’en venir à la présentation de la démarche du chercheur, puis à ses résultats. Toutefois, je suggère de commencer à la page 162. Ce petit jeu, doit permettre à la fois une lecture moins aride et plus conforme au propos de l’auteur sur la façon dont pourrait se construire le savoir historien en classe. Celui-ci est aujourd’hui, quasi exclusivement appuyé sur l’observation et la lecture de documents. Mais Didier Cariou souligne combien est vide de sens la pratique qui suppose que l’on commence par « présenter le document » avant d’en faire l’exploration.

Entrons dans une classe de CM1, lancée à la découverte de la tapisserie de Bayeux, plus loin ce sera l’étude d’une estampe de 1789 en 4e, puis en 2de, un autre CM1, confronté à des textes sur la fin de l’Empire romain, et à nouveau une 2de autour de textes de Matteo Ricci, missionnaire portugais en Chine à la fin du XVIe siècle.

Observer les discussions orales

La première originalité de la démarche du chercheur se situe ce sur quoi il porte le regard. Il ne s’agit plus de s’en tenir à l’observation du milieu didactique (les conditions et les supports des apprentissages), ni à celle du dispositif (la préparation de l’enseignant), ni encore aux traces produites dans la séance (traces écrites, déclaration des élèves sur ce qu’ils ont appris, etc.), mais d’observer comment cela se passe dans les discussions orales au cours desquelles les consignes, les savoirs, les productions sont sans cesse interprétés et négociés.

L’analyse des retranscriptions de la parole des élèves et de leurs professeurs est menée comme le déchiffrement d’un palimpseste. Le dévoilement progressif de chaque couche fait découvrir une nouvelle dimension d’un modèle du jeu d’apprentissage. Mobilisant la théorie de l’action conjointe en didactique (développée à Nantes autour de Gérard Sensevy), Didier Cariou montre comment les ajustements réciproques entre élèves et enseignants fabriquent un certain rapport au document, à ce que l’on en fait, ce que l’on y apprend, à la façon dont s’élabore (ou pas) un savoir et une démarche historienne chez les élèves.

À ce stade, le lecteur s’interroge : comment l’auteur en est-il arrivé là ? Quelles conceptions de l’apprentissage en histoire, du rôle du document, de la pensée historienne justifient sa démarche et ses propositions ? On trouve les réponses dans la première partie de l’ouvrage, où sont mises en relation les démarches et réflexions des historiens, des didacticiens et celles des élèves et de leurs professeurs.

La question centrale est celle du réalisme du récit du passé. Elle a été largement étudiée dans la forme scolaire de l’histoire, tant par des didacticiens français (François Audigier, Nicole Tutiaux-Guillon, Sylvain Doussot, etc.) qu’étrangers (Sam Wineburg, Charles Heimberg, Peter Seixas, etc.). Les historiens ne font pas « revivre le passé » (qui est définitivement passé), mais ils l’approchent par les traces qu’il a laissées. Et ils transforment ces traces en indices, comme le faisait (selon l’image utilisée par Carlo Ginzburg) le chasseur de la préhistoire, qui, voyant une trace de pas d’animal, la transformait en indice pour dire quel animal était passé là, et à quel moment.

C’est cette conception indiciaire de la démarche historienne qui est transposable dans les démarches d’apprentissage. C’est aussi par cette approche que pourrait se construire véritablement ce que les professeurs d’histoire considèrent comme le cœur de leur métier : former l’esprit critique. En histoire la démarche critique ne se réduit pas à opposer la vérité à l’erreur, mais à envisager les indices qui permettent de résoudre les problèmes que l’on se pose aujourd’hui sur le passé et le temps à travers une démarche d’enquête.

Yannick Mével