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Le directeur d’école, un enseignant (pas) comme les autres ?

Les directeurs et directrices exercent une fonction indispensable à la bonne marche de 50 130 écoles maternelles et élémentaires. Mais au quotidien, tenir en même temps la classe (sauf pour les 10 % d’entre eux déchargés à temps plein), la gestion administrative et l’animation des équipes relève du « choix cornélien » et pose la question de « qu’est-ce qui sera sacrifié aujourd’hui ? [1] ».

La direction d’école nécessite d’être capable d’effectuer des choix pour sa propre activité et celle d’autres professionnels, dont ses adjoints et adjointes, au plus vite et au plus juste. Collectant des récits de vie professionnelle, Hervé Duchauffour a ainsi éprouvé la « difficulté à [faire] raconter une journée type en ce que chaque jour apporte son lot d’imprévus [ : ] l’enseignant absent dont il faut répartir les élèves puisqu’il n’y a pas de remplaçant, la commande qu’il faut réceptionner pendant le temps de classe, l’enfant malade pour lequel il faut prévenir la famille, le photocopieur qui tombe en panne et qu’on tente de réparer avant de faire appel au professionnel, un carreau cassé et c’est la mairie qu’il faut appeler, l’enquête à renvoyer à l’inspection en urgence ou encore le collègue qui va être inspecté et qu’il faut « porter » [2]».

Accompagner ou faire à la place ?

Dans les locaux mêmes de l’école, un lieu symbolise l’ambigüité de la fonction et la nécessaire définition réciproque des rôles avec les collègues : « Outre le fait d’être un lieu du travail administratif et de la gestion des élèves les plus perturbateurs, un rôle reconnu au bureau directorial est celui de lieu de médiation entre l’école et les parents, en particulier lorsque ceux-ci entrent en conflit avec l’enseignant de leur enfant ou avec l’organisation de l’école. [3] »

Le bureau joue alors le rôle de « sas, […] de filtre et de garde-frontière » sur des questions tantôt administratives, tantôt pédagogiques. Pour les élèves, il se substitue au bureau de la vie scolaire ou du conseiller principal d’éducation qui, au collège et au lycée, dénouent temporairement les situations de perturbation. Dans les relations de travail avec les collègues, la mise à disposition et la préservation d’un espace spécifique permettent de reconnaitre le travail d’organisation qui rend possible celui qui s’effectue en classe, reconnaissance qui peut à tout moment être fragilisée par « une manière d’entrer, un rituel de salutation absent, un placard fermé ».

Entre hiérarchie de proximité et collectivité territoriale

Dans le sillage de la loi Jospin de 1989, puis du nouveau management public, la nature des tâches des directions d’école s’est intensifiée et complexifiée : le référentiel métier et les orientations pour la formation de 2014 le montrent bien. La demande institutionnelle (mise en œuvre des réformes successives, inclusion des élèves en situation de handicap, mise en place de la liaison interdegré au cycle 3, etc.) a également en partie modifié leur sens : il s’agit désormais autant de faire ensemble que de communiquer autour d’actions et de projets partagés, par exemple en conseil d’école.

Les nouveaux rythmes scolaires expérimentés à la rentrée 2015 ont ainsi posé au métier des questions inédites : « Comment négocier avec ses collègues le partage des locaux dans une sphère professionnelle où l’individualisme est encore de pair ? Quelle place faire aux animateurs ? Comment intervenir quand, en dehors du temps scolaire mais dans l’espace de l’école, les propos tenus ou les attitudes adoptées par l’animateur semblent bien éloignés du règlement instauré dans l’école ? [4] »

Enfin, la crise sanitaire du printemps 2020 et la continuité pédagogique d’avril 2021 ont joué le rôle d’« effets grossissants sur les principaux problèmes posés par la gestion des écoles dans l’organisation administrative actuelle ». Le tiraillement entre volonté d’anticiper et besoin de s’appuyer sur des directives a rappelé la position inconfortable des directions « entre élus locaux, administration municipale et inspection académique, dont la relation est intrinsèquement à fort potentiel de conflits de territoire, car l’école représente un enjeu de pouvoir important, […] à l’interface de deux fonctions publiques, l’une d’État et l’autre territoriale, dont l’entente ne va pas toujours de soi. [5] »

Les réponses institutionnelles les plus récentes (revalorisation de l’indemnité, nomination de référents départementaux, etc.) feront-elles plus pour changer les choses qu’un nouveau statut, pour les écoles autant que pour leur direction, tant attendu que redouté depuis plusieurs décennies ?

Claire Ravez
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon)
[1] Hervé Duchauffour, « Les directeurs d’école primaire en France : comment l’incertain régit le quotidien », Spirale n° 60, 2017, p. 151-159.
[2] Ibid.
[3] Cécile Roaux, « Le « bureau du directeur » : contribution à une approche ethnographique du pouvoir en école primaire », Les Sciences de l’éducation – Pour l’ère nouvelle n° 53, 2020, p. 97-117.
[4] Hervé Duchauffour, ibid.
[5] Cécile Roaux, « La direction d’école : crise sanitaire et crise de sens », Administration et éducation n° 169, 2021, p. 83-87.

Pour aller plus loin

Claire Ravez, « Piloter : entre métiers et activités », Édubref, février 2021, ENS de Lyon.

Claire Ravez, « La direction d’école : quelle(s) recherche(s) ?! » [billet de blog], 2018.


Un article paru dans le n°570 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie:

Apprendre dehors

Coordonné par Aurélie Zwang et Jean-Michel Zakhartchouk

Après les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Il s’agit dans ce dossier d’interroger ce qui s’apprend de spécifique dehors.