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Le conseiller Principal d’Education – De la vie scolaire à la politique éducative

Voici un livre qui se révélera sans doute fort utile sur le plan pratique aux candidats au concours, « le plus sélectif du second degré » (p. 148), mais aussi aux CPE déjà en poste.
Tout d’abord parce qu’il est composé de cinq chapitres – plus un chapitre liminaire -, découpés en sections et sous sections, formant au total cent soixante dix huit paragraphes numérotés, ce qui facilite la prise de notes, voire une lecture non linéaire de l’ouvrage.
Ensuite parce qu’il est augmenté de treize fiches, elles-mêmes découpées en paragraphes numérotés. Mises à part les deux premières consacrées, l’une à la notation des CPE et à diverses dispositions du statut, l’autre à l’obligation de service (dont on sait dans la profession qu’il s’agit parfois là d’un terrain conflictuel avec les chefs d’établissement), ces fiches se veulent balayer onze des champs d’intervention du CPE évoqués dans les chapitres du livre. Chacune de ces onze fiches présente un ou deux tableaux, en général clairs, et est illustrée par un paragraphe intitulé « En pratique », avant de se terminer par la liste quasi exhaustive des textes officiels auxquels se référer concernant le champ exploré.
Enfin, tel les bonus d’un DVD, dix annexes transcrivent les plus importants de ces textes (décrets et circulaires) permettant ainsi de s’y plonger sans avoir à rechercher les BO correspondants !

Sur le fond, ce livre s’efforce sans doute de clarifier ce qu’est devenu – ou ce que devient ou va devenir – le métier de CPE depuis que ceux-ci ont succédé aux surveillants généraux en 1970.
Le chapitre liminaire balaye l’histoire (les « crapistes » ne seront pas étonnés d’y voir cité le regretté Jacques George) de ce que nous appelons la « vie scolaire » depuis …1802, année de naissance du lycée napoléonien, même si le terme de « vie scolaire » n’apparaît pour la première fois dans un texte officiel qu’en 1890, « au moment où le ministère de l’instruction publique tente de faire évoluer l’organisation et le fonctionnement des lycées, jugés inadaptés car faisant (déjà !) une trop faible place aux activités éducatives » (p. 13) ! Même si la fonction de surveillant général existe dès 1819 (ce « surgé » est alors astreint au célibat !), elle va fortement évoluer après 1944 et l’échec du « conseil intérieur » (qui peut être vu aujourd’hui comme un prémisse du « conseil pédagogique » de 2006) dont la circulaire le créant énonçait : « C’est l’assemblée des professeurs tout entière qui doit prendre désormais, aux côtés du chef d’établissement, la charge de l’éducation » (p.18), avant de lister les tâches qui lui incombait : « le rétablissement du bon ordre, à la porte du lycée et devant la classe, le souci de la politesse, l’abandon de toute attitude débraillée ou veule » (p.19). Devant les nombreuses oppositions, dont celle des enseignants à ne pas se mêler d’éducation, ce sont donc les surveillants généraux qui vont se voir confier les missions de « maintien de l’ordre », puis, en 1956, de « contrôle des effectifs, de la conduite et du travail des élèves », ainsi que « d’éducation » (circulaire du 9 octobre 1956). Ainsi donc, alors que le statut des enseignants reste inchangé depuis 1950, celui des surveillants généraux se rapproche de fait des missions d’enseignement donnant ainsi à la « vie scolaire » française une coloration que l’on ne retrouve pas ailleurs dans le monde. Les auteurs présentent ensuite la transformation du « surveillant général » en « conseiller principal d’éducation » (dans les lycées) et « conseiller d’éducation » (dans les collèges) – tous deviendront progressivement CPE après 1991 – comme un aboutissement de cette évolution davantage que comme une rupture due à 1968. Même si les CPE et CE, outre d’être « les héritiers à divers égards des surveillants généraux » (circulaire de mission du 31 mai 1972), se voient confier désormais « une mission permanente d’animation » qu’ils assument plus « particulièrement dans le cadre des associations socio-éducatives ». Ainsi, « là où le surveillant général devait essentiellement faire appliquer la règle, les CE et les CPE doivent aussi la faire comprendre » (p. 27)! En sus, la circulaire de 1972 mentionne des « tâches de caractère pédagogique » qui incombent désormais aux CPE.

Dans la suite de l’ouvrage, les auteurs vont s’efforcer de montrer que la fonction et les missions de fait des CPE ont depuis continué d’évoluer dans le sens d’un rapprochement souhaitable, et très souvent effectif dans les établissements, entre personnels de la vie scolaire et personnels enseignants, autrement dit entre les domaines « éducatif » et « pédagogique ». Les différents champs où intervient, avec plus ou moins d’efficacité et/ou de soutien, le CPE sont décrits dans les cinq chapitres du livre et dans onze des treize fiches déjà mentionnées (le CPE et : le service d’accueil, la scolarisation des élèves à besoins spécifiques, l’hébergement des internes, le temps de restauration, le contrôle de l’assiduité et la lutte contre l’absentéisme, l’élaboration, la diffusion et l’application du règlement intérieur, l’animation en milieu scolaire, la formation à la vie civique dans le cadre scolaire, l’orientation et l’insertion professionnelle, la prévention des conduites à risque, le suivi pédagogique, psychologique et social des élèves). Cette liste exhaustive fait-elle du CPE un homme – ou une femme – omniscient, tout à la fois « responsable du service de la vie scolaire », « conseiller technique du chef d’établissement et de la communauté éducative » et « régulateur et garant, avec d’autres, du respect des règles de vie et du droit au sein de l’EPLE », comme le propose une note de l’Inspection générale parue en mars 2006 dans la revue Conseiller d’Education, et retranscrite dans l’annexe 3 (p. 229 à 231) ? Sans doute pas omniscient, mais ayant acquis de fait des compétences partagées dans l’ensemble de ces domaines, le CPE est désormais en contact avec divers partenaires dans (enseignants dont les professeurs principaux et les documentalistes, personnels de santé et sociaux, COP, agents des divers services, chef de travaux et bien entendu chef d’établissement et adjoints) et hors (personnels des divers services sociaux et éducatifs, justice, police, et même entreprises ou … Pôle Emploi !) l’établissement. Au risque aussi de se disperser ou de ne privilégier que l’un ou l’autre de ces domaines au détriment d’une « cohérence éducative » indispensable au bon fonctionnement de l’EPLE. Même si un établissement a peut-être aussi la « vie scolaire » qu’il mérite, le métier de CPE requiert sans doute aujourd’hui des qualités d’organisation, de management, d’écoute et de relation notamment qu’il devra savoir mettre en œuvre avec tact. C’est d’ailleurs avec la volonté, louable, d’aider les CPE, mais aussi les autres acteurs de l’établissement (ce livre peut aussi leur être destiné !), à aller dans le sens de cette « cohérence éducative » que les auteurs ont eu l’heur de concevoir cet ouvrage comme un « outil » ! Un outil qui doit donc aider à lutter contre « la division des tâches » (p.93) qui confine encore trop souvent, dans les représentations des enseignants (…et dans les rêves de certains nostalgiques ?), le CPE dans la fonction de « maintien de l’ordre et de la discipline ».
À ce propos, on saura gré aux auteurs de citer longuement le rapport de décembre 2006 de l’Inspection Générale, dont on peut regretter qu’il n’ait guère eu d’échos concrets au Ministère. Il y est souligné en effet que « le nombre d’élèves aidés de différentes manières augmente », et que « la paupérisation s’accroît dans certains secteurs sans que les fonds sociaux suivent cette évolution », rendant ainsi difficile la « mission de transmission et de partage des valeurs dans une société qui, trop souvent, les déconsidère par les exemples qu’elle véhicule » (p. 140). De même ces inspecteurs constatent que « la lutte contre l’absentéisme et l’indiscipline (…) occupe une part croissante du temps d’activité des CPE », alors que « la transmission des valeurs (…) semble reposer davantage sur des outils (règlement intérieur, conseil de la vie lycéenne, …) que sur une véritable stratégie » (p. 140). On ne saurait mieux reconnaître dans quelle urgence les CPE sont parfois amenés à travailler lorsque les divers acteurs de l’établissement se reposent sur la seule vie scolaire pour régler les problèmes du vivre ensemble. Et ces inspecteurs d’insister : « la mission d’éducation à la citoyenneté des EPLE est rendue d’autant plus complexe que le poids de l’organisation traditionnelle de l’enseignement secondaire (structuration autour des disciplines et de l’heure de cours) rend pour le moins délicate toute tentative de mise en cohérence des disciplines d’enseignement avec d’autres dispositifs pédagogiques comme l’ECJS par exemple en lycée, et encore plus difficile l’articulation avec les dispositifs de vie scolaire qui ont les mêmes objectifs (CVL notamment) » (p. 143) en constatant que « la vie éducative et culturelle est souvent pauvre, ce qui s’explique à la fois par le peu de temps qui lui est imparti, devant le poids des « programmes scolaires » et par les faibles moyens humains et financiers qui lui sont consacrés » (p.143). Après quoi, les auteurs de l’ouvrage commentent : « Ce diagnostic met en lumière les impasses où conduiraient inévitablement aujourd’hui la persistance d’une pratique individuelle, la permanence de la division du travail entre les pédagogues qui professent et les éducateurs qui éduquent, quand seule une mobilisation collective explicite peut être efficace » (p. 144).
Enfin, dans la dernière section, prospective, du dernier chapitre, intitulée « Quelle identité pour le CPE aujourd’hui ? », après avoir cité « les six défis posés à la vie scolaire » selon le recteur A. Bouvier – la territorialisation de l’éducation ; le PISA de la vie scolaire ; les Masters professionnels et la formation tout au long de la vie ; la cyberculture ; le coaching ; la régulation du système – (p.149), l’ouvrage nous propose très (trop ?) succinctement cinq « scénarios d’avenir » (p. 150), « qui ne s’équivalent pas et (dont) certains d’entre eux seraient d’illusoires réponses aux problèmes posés aux établissements » (p. 151). Nous laisserons aux futurs lecteurs de l’ouvrage le soin de découvrir ces scénarios …en les invitant à y réfléchir, si possible collectivement au sein des EPLE et du système éducatif. Réflexion à laquelle les CPE ne manqueront pas d’apporter leur « expertise » et leur « qualification en matière éducative » (p. 151) !

Avant de conclure cette note de lecture, au-delà des constats effectués et des remarques souvent pertinentes qui convainquent de l’évolution du métier de CPE tout autant que du rôle indispensable d’une « vie scolaire », « devenue le mode de vie qui conditionne l’acte d’instruire » (Guy Delaire, cité p. 74), on s’autorisera à regretter parfois un manque de critique vis à vis de certaines mesures décidées ces dernières années et parfois controversées.
Ainsi de la note de vie scolaire dont il est dit qu’elle donne l’occasion « pour la première fois (au) CPE (d’intervenir) explicitement dans l’établissement d’une note attribuée aux élèves » et qu’elle fait apparaître « tout aussi explicitement, que les professeurs ne sont pas étrangers à la vie scolaire, (…) mais en sont des acteurs à part entière » (p. 90). Qui a un tant soit peu travaillé la docimologie peut-il franchement se satisfaire qu’une note – la seule soit dit en passant qui ait « force de loi » ! – traduise le comportement scolaire d’un élève ? Et ce même si son attribution, préparée par plusieurs acteurs (Professeur principal, CPE et chef d’établissement), peut faire croire à une objectivité qui reste largement à prouver !
De même, n’aurait-on pas pu faire preuve de plus de circonspection à l’égard du « Code de la paix scolaire », présenté le 16 janvier 2008 en Sorbonne par X. Darcos, « bientôt mis en place » (!) et qui, avec la note de vie scolaire, « est une bonne occasion de travail sur cette question (à savoir la tension qui est au cœur de la division des tâches entre les enseignants et les CPE) », affirment les auteurs. D’une part parce que ce Code n’a pas, à notre connaissance, vu le jour. Au contraire ont été annoncées depuis des mesures sécuritaires – dont celle de conférer aux chefs d’établissement et aux …CPE une partie des pouvoirs des officiers de police judiciaire ! – non évoquées dans ce livre car encore inconnues au moment de sa parution. D’autre part parce qu’il ne nous semble pas qu’un code, même rassemblant « dans une langue claire, concise et accessible à tous, les règles de conduite en vigueur au sein des établissements scolaires de notre pays ainsi que les sanctions prévues chaque fois qu’elles seront enfreintes » (extrait du discours du ministre, retranscrit dans le livre p. 94) soit de nature à résoudre les problèmes rencontrés quotidiennement dans les collèges. Pour autant on notera cependant que les auteurs, après avoir fustigé le « « palmarès » des établissements touchés par la violence » (p. 137), établi par les médias à partir des données recueillies dans le logiciel SIGNA, titre le paragraphe 161 (p. 138) : « L’illusion d’un retour des surveillants généraux », auquel nous ne pouvons que souscrire.

En conclusion, malgré ces quelques remarques, nous pouvons dire avec les auteurs que, si les CPE exercent aujourd’hui des missions qui les ont rapprochés de fait des personnels enseignants – au risque d’être parfois mal perçus par ces derniers qui ne comprennent pas toujours les « incursions » du CPE dans la « classe », voire qui les soupçonnent peut-être d’être trop « à l’écoute des élèves » – , il est certainement souhaitable que les enseignants s’approprient également davantage les domaines de la « vie scolaire ». Le tout dans une volonté de travailler ensemble en se répartissant clairement les tâches, ce qui ne pourra que se révéler favorable à l’accueil et à la réussite de jeunes qui cherchent de plus en plus souvent un sens à leur présence au collège et au lycée. Pour cela peut-on espérer que le Ministère, en concertation avec les différents acteurs de notre système éducatif, accepte de « réécrire » les missions des uns et des autres ? On peut en effet regretter que, malgré les demandes réitérées émanant de la plupart des organisations syndicales et de l’ANCPE, les missions « officielles » des CPE restent définies par la circulaire du 28 octobre 1982, retranscrite dans l’annexe 2 (p. 225 à 228). Qui pourrait croire que, 27 ans plus tard, ce texte ne soit pas à « revisiter » ? Alors même que les lois de 1989, puis celle de 2005 instituant le socle commun de connaissances et compétences, ont potentiellement fait évoluer le système éducatif français !

Patrick Hubert