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Le conseil pour faire vivre la classe

La classe d’accueil (CLA) dont j’ai la charge depuis de nombreuses années est une classe à géométrie variable : au fil de l’année scolaire, les élèves allophones suffisamment autonomes en français et capables de suivre en classe ordinaire quittent la CLA et sont bientôt remplacés par de nouveaux élèves nouveaux arrivants, débutants en français. Ainsi, en cette rentrée scolaire 2009 étaient inscrits des élèves arrivés dans le cours du premier trimestre 2009, puis sont arrivés de nouveaux venus, fraichement débarqués sur le territoire français, scolarisables en collège, et venant pour neuf mois maximum en classe d’accueil avant de rejoindre le cursus général[[Voir à ce sujet l’article que j’ai écrit à propos du fonctionnement de la classe d’accueil au collège Jean-Lolive à Pantin : Classe fermée?… Classe à projet in Enfants d’ailleurs, élèves en France, Cahiers pédagogiques n° 473.]]. Ils sont vingt depuis la fin novembre, mais, suite au Conseil de classe de décembre, quelques-uns vont intégrer les classes du collège si bien que, fin janvier, six nouveaux vont être accueillis dans la classe.
Comment faire avec un groupe aussi hétérogène : hétérogénéité de la langue, du parcours scolaire, de l’âge ? Comment travailler en classe afin que chacun puisse progresser, selon son rythme ? Comment faire du commun avec autant de diversité ? Quelques axes me permettent de « tenir » la classe : un projet soutenu par le Fonds Social Européen comprenant notamment un voyage d’une semaine à la campagne en France ; une correspondance avec une classe d’un autre collège ; la participation avec une classe de 4e du collège au dispositif « Collèges au cinéma » ; la tenue hebdomadaire d’un conseil, au sens de la pédagogie institutionnelle.

Instituer le fonctionnement quotidien

Depuis plusieurs années, j’ai donc réfléchi à une autre façon d’animer « l’heure de vie de classe », qui a lieu une fois par semaine, à raison d’une demi-heure. Car, s’il me semble que la dimension sociale de la classe doit se travailler, surtout quand les élèves viennent d’horizons géographiques, scolaires et sociaux très divers, cela m’apparaissait comme une gageüre étant donné la difficulté de certains élèves à comprendre les échanges oraux dans la classe. J’ai donc suggéré à la classe d’établir chaque semaine un ordre du jour des sujets à discuter et ai proposé des petites « institutions » qui organisent le quotidien de la classe, notamment les métiers ou responsabilités d’élèves (donner les dictionnaires, distribuer les documents, écrire la date, installer le rétroprojecteur, apporter le cahier de texte et d’appel, etc.). Ces institutions, présentées tôt dans l’année scolaire, donnent du corps au conseil, qui se voit confier l’attribution de tâches qui ne sont pas du seul fait de l’enseignant, mais discutées par les élèves, et permettent ensuite une meilleure répartition des rôles dans la classe, meilleure car énoncée explicitement. Chaque mois, donc, ces responsabilités sont réparties dans la classe, négociées entre les élèves et avec moi.

Écrits collectifs et personnels

Chaque semaine, nous faisons la liste des points à aborder : les informations, les problèmes, les propositions (dont font partie les suggestions de sortie, la correspondance…). Je préside le conseil et prends les notes au tableau, qui sont copiées par le secrétaire de séance – élève qui se porte volontaire au début de séance. Ces notes sont ensuite rangées dans le classeur de vie de classe, avec les lettres des correspondants et les copies des lettres collectives, le trombinoscope de la classe, ainsi que certaines pièces rendant compte de l’histoire de la classe. Chaque élève a aussi un cahier de vie de classe, sorte de carnet de bord dans lequel certaines informations abordées en conseil sont copiées (les noms des élèves, l’élection des délégués), où ils notent aussi leurs bilans personnels, leurs vœux d’orientation, écrivent le brouillon de leur lettre aux correspondants, tiennent leur journal de bord pendant le voyage. Ainsi, grâce à cette sorte de va-et-vient entre les écrits collectifs et les écrits personnels d’une part, et les prises de parole et les écrits d’autre part, ce temps hebdomadaire est devenu un moment d’échange où chacun s’autorise à parler. Une adolescente chinoise qui a quelque chose à revendiquer, mais ne sait pas comment le dire demande à ses camarades de bien vouloir traduire afin que tout le monde entende. Un élève sri-lankais inscrit en CLA depuis décembre propose qu’on fasse une sortie au Louvre.

Un lieu de rencontre avec ceux qui ont quitté la classe

Depuis que ce fonctionnement a été instauré, les élèves intégrés en classe ordinaire reviennent régulièrement pour ce temps de vie de classe. Pendant leur « stage » d’intégration, ils doivent venir et témoigner de leur expérience, expliquer ce qui est difficile, dire ce qui les aide. Ces témoignages sont instructifs pour les élèves comme pour moi-même, professeure principale. Une fois intégrés, leur présence permet aux nouveaux de mieux comprendre ce qui se passe : ce sont eux qui informent le mieux sur le fonctionnement de la classe et du collège. En effet, ils représentent la réussite (car ceux qui reviennent sont bien souvent ceux qui ont de bons résultats dans leur classe « banale ») et un horizon. Dans le même temps, leur venue est le signe que la CLA est vraiment une classe d’accueil, où l’on prend confiance, où la parole de chacun est entendue et respectée, où l’on apprend peu à peu pour pouvoir devenir autonome et bien s’intégrer dans le cursus scolaire général français.

Ainsi, l’heure de vie de classe est devenue un moment important pour les élèves, qui la réclament si jamais elle n’a pas pu se tenir, en raison d’une sortie par exemple. Elle n’est pas toujours très palpitante de mon point de vue, quand il y a « trop » de problèmes à traiter : les filles se plaignent des garçons et réciproquement… Mais dernièrement, comme j’étais lasse de traiter un « petit » problème de la sorte, nous en sommes venus à discuter des relations entre adolescents filles et garçons, venant de différentes cultures. La discussion est alors devenue plus intéressante et une vraie réflexion s’est amorcée. Il me semble en outre que ce moment de « vie de classe » prend vraiment son sens quand il n’y a pas que les problèmes à traiter. Il ne s’agit pas seulement d’un moment de régulation des conflits, mais aussi d’un moment d’apprentissage des règles de la parole partagée en réunion, de la valeur des paroles pour ce qui concerne les engagements de chacun (les responsabilités, les excuses) et des projets qui animent la classe. Enfin, ainsi institué, le conseil (avec les projets afférents : le voyage, la correspondance, les sorties, l’atelier théâtre) a permis de fédérer tous les élèves, et de constituer vraiment la classe comme un groupe où l’on travaille ensemble et où l’on peut parler de son travail et des relations des uns avec les autres.

Judith Dessolle
Enseignante en collège à Pantin (Seine-Saint-Denis) et formatrice à l’IUFM de Créteil