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L’autorité éducative : un concept aux multiples facettes

L’autorité à l’école a mauvaise presse. Comme le mentionne le chercheur Bruno Robbes1, soit on lui reproche de ne pas être assez exercée — elle a été « abandonnée » au profit de la permissivité —, soit son usage est confondu avec celui de l’autoritarisme, qui signifie avoir recours à la force, voire à la violence, pour imposer des décisions considérées comme injustes ou arbitraires.

Dans les discours politiques, c’est souvent cette deuxième conception de l’autorité, à tort mise en avant, qui intensifie le malaise des personnes enseignantes fréquemment tenues pour responsables du laisser-aller et des autres maux reprochés à l’école. En réalité, lorsque l’on étudie plus finement l’autorité éducative, ce sont bien d’autres choses qui sont en jeu.

Une autorité éducative juste

L’autorité en classe fait référence à plusieurs types d’attendus ou normes. Indissociable des pratiques enseignantes, l’autorité s’exprime par un cadrage précis des élèves et des activités pour la mise au travail. Dans ce cas, l’autorité conditionne l’exercice d’un pouvoir statutaire qui génère un rapport de force, asymétrique, mais légitime, car nécessaire au sein d’un cadre éducatif.

Si ce cadre semble restreint, il peut également être bienveillant, comme l’exprime la chercheuse Gwenola Réto2 dans sa définition de « l’art du recadrage ». L’enseignante ou l’enseignant ajuste en permanence un cadre aux frontières mouvantes, à la fois protecteur et malléable.

Ce cadre recouvre des pratiques de justice et donc de sanction, perçues habituellement comme un acte punitif. Cependant, ces pratiques possèdent une fonction éducative, celle de réparer les liens éthiques, sociaux et politiques rompus par l’élève « fautif ». Un échange avec elle ou lui, par exemple, facilite la prise de conscience des limites du cadre et permet de penser à la phase de réparation. Il ne s’agit pas de sanctionner une personne, mais une transgression.

Articuler autorité et bienveillance reste néanmoins un exercice périlleux, menaçant l’équilibre précaire de l’espace d’apprentissage qui place, de fait, la personne enseignante en surplomb. Comme pour la question de légitimité et de pouvoir, l’autorité pratiquée au nom de la justesse et de la justice doit être acceptée en amont par l’ensemble de la communauté éducative.

Légitime, juste ou bienveillante, l’autorité est loin d’être une capacité innée ou allant de soi, contrairement à un mythe bien établi. Elle est le fruit d’une construction professionnelle, édifiée par le dialogue, dans le temps et l’expérience de la classe. L’autorité éthique se manifeste dans une démarche d’accompagnement non contraignante, capable de mobiliser chez les élèves leur motivation à apprendre.

Les repères éthiques des personnes enseignantes, développés sur le terrain, leur permettent de tendre vers une forme d’exemplarité en tant que détentrices de l’autorité éducative, de l’expertise et de la responsabilité de la transmission des savoirs. L’autorité se déploie dans trois dimensions incarnées par : la personne qui enseigne, la personne qui apprend et le savoir qui est transmis. Chacun de ces trois pôles évolue au sein d’un système relationnel complexe. Dans ce triptyque, c’est le savoir qui fonde l’autorité de la personne enseignante, son expertise académique, mais également ses capacités à transmettre ce savoir.

Une autorité éducative altruiste ?

Face à ces différentes façons de considérer l’autorité, la question de la soumission des élèves à l’autorité éducative vient contrarier l’injonction institutionnelle de développer chez elles et eux une plus grande autonomie.

Pour le philosophe de l’éducation Camille Roelens3, cet écueil peut être évité : il considère que l’autorité bienveillante est compatible avec l’autonomie et peut être mise au service de l’élève dans ses choix individuels. L’autorité s’inscrit dans une relation de confiance (et de vigilance de la part de la personne enseignante) sans pour autant occulter la dimension asymétrique de l’action éducative, mais au contraire en la posant comme socle de cette relation.

Dans cette configuration, le souci de l’autre, vertu éthique chère au philosophe Erick Prairat4, est une composante indispensable de l’autorité qui ne peut se concevoir que dans sa relation aux élèves sur le mode de la réciprocité.

Marie Gaussel
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

Pour aller plus loin

Marie Gaussel, « Au cœur de l’éthique enseignante », Dossier de veille de l’IFÉ n° 145, novembre 2023, ENS de Lyon.

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Notes
  1. Bruno Robbes, « L’autorité ne se décrète pas, et les enseignants le savent bien », interview au Monde, 19 septembre 2023.
  2. Gwenola Réto, « La bienveillance dans le champ scolaire, Caractérisation des pratiques et actualisation selon des membres du personnel enseignant de collège, des chefs d’établissement et des experts du monde de l’éducation », thèse de doctorat, université de Sherbrooke et université catholique de l’Ouest, 2018.
  3. Camille Roelens, « L’autorité éducative : bienveillance envers l’autre, vigilance envers soi. Éducation et socialisation », Les Cahiers du Cerfee n° 51, 2019.
  4. Erick Prairat, « L’autorité éducative au risque de la modernité », Recherche & formation n° 71(3), 2012, p. 13‑28.