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Laïcité, que de trahisons on commet en ton nom !

Jean-Louis Auduc, Rue de Seine éditions, 2023

L’auteur, après avoir été professeur d’Histoire a été directeur adjoint  de l’IUFM de Créteil jusqu’en 2010 et a toujours eu un engagement syndical et politique. Spécialiste du système éducatif français, il a écrit de nombreux ouvrages tant pour la formation que pour l’enseignement. Son parcours est marqué par une préoccupation première : la défense de la laïcité, qui, pour lui, est le principe premier de l’organisation de notre société.

Dans ce dernier ouvrage que l’éditeur catalogue parmi les « coups de gueule » − des essais courts, percutants qui interpellent et qui crient − Jean-Louis Auduc dénonce l’instrumentalisation que l’on peut constater actuellement des principes de la laïcité et cherche à alerter la jeune génération des dérives qui peuvent nuire à leurs libertés. Si les jeunes y trouveront des éléments factuels et des rappels historiques indispensables à la compréhension des enjeux de la laïcité dans la construction de notre société, les futurs enseignants pourront utilement y trouver des repères pour aborder cette question avec les élèves, voir même des pistes d’activités à mener en classe. Tous, jeunes et moins jeunes, enseignants ou non, pourront être sensibles aux prises de position, réactions à l’actualité et interprétations de débats actuels qui secouent notre société. Le texte est accompagné de dessins de presse de Alain Faillat, dit Alf, qui illustre régulièrement le thème de la laïcité.

L’introduction se termine par une définition de la laïcité telle que la conçoit Jean-Louis Auduc : « Faire vivre la laïcité c’est défendre la liberté de conscience, c’est promouvoir l’universalisme et les droits de la personne humaine, c’est construire un projet collectif approprié par tous, mettant en avant les valeurs, les savoirs faire, les savoirs qui réunissent et on ce qui peut diviser, qui ne nie d’où on vient et ce qu’on est, mais qui sache où l’on va et avec quelles valeurs pour pouvoir construire du lien social. » Le livre va donc, chapitre après chapitre, resituer cette construction collective.

L’auteur va tout d’abord montrer comment la laïcité détermine différents espaces que sont l’espace intime, privé, personnel, privé, celui de l’espace public partagé, l’espace du particulier collectif et celui d’intérêt général, de service public. Très factuel, reprenant les textes et les débats qui ont amené à les écrire, ce chapitre permet de mieux comprendre les différentes manières dont se vit la laïcité dans chaque espace et en quoi, notre époque tend à rendre floues les frontières, du fait par exemple du développement des réseaux sociaux mais aussi d’une tendance à l’individualisme.

Le second chapitre explique les avantages d’une république laïque en précisant certains aspects parfois peu connus comme par exemple la mise en place de notre État civil, les raisons de l’instauration de la minute de silence, l’autorisation d’absence des élèves pour les fêtes religieuses autres que les catholiques romaines, ou le développement des aumôneries dans les collèges et lycées ayant un internat.

Le troisième chapitre s’intéresse à l’application inégale de la loi de 1905 sur les territoires français. L’occasion de mieux comprendre le rôle de la laïcité dans les enjeux de pouvoir et de colonialisation, amenant naturellement à discuter dans le chapitre IV de la séparation entre le culturel et le cultuel, à travers un long développement de la protection des monuments historiques.

Jean-Louis Auduc défend ensuite l’enseignement laïque des faits religieux inscrit dans le socle commun de connaissances de compétences et de culture en précisant cinq principes, « cinq P », pour éviter le sixième « P » qui est la peur de faire : programmes, patrimoine, pluralité, personne, projet interdisciplinaire. Des exemples d’approches en classe peuvent utilement outiller les enseignants. On comprend comment ces principes peuvent aider à faire des choix et à les justifier, que ce soit auprès des collègues, des parents ou des élèves.

Le chapitre VI s’intéresse à l’histoire de la laïcité à l’école, au collège et au lycée. L’approche historienne permet de fixer des repères utiles à la compréhension des problèmes actuels comme par exemple la laïcisation du personnel, le respect des programmes, les menus des repas à la cantine.

Suit un chapitre sur l’analyse de certains discours qui se disent laïques mais derrière lesquels l’auteur repère le « spectre du racisme » et un autre sur les incohérences françaises. C’est ici que s’exprime son plus gros « coup de gueule », dénonçant des inégalités d’application des principes de la laïcité suivant les établissements publics/privés, les territoires, le niveau social… pour conclure à la nécessité d’une cohérence laïque dans les discours, les pratiques, les décisions. Rappelant le cadre de la constitution de 1958, il précise : « Il faut donc plus que jamais avoir une vision dynamique et non figée dans le marbre des valeurs de la République afin de leur donner du sens. »

Jean-Louis Auduc est membre du « Conseil des sages de la laïcité » mis en place par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer. Son ouvrage sort juste avant l’installation du Conseil renommé par Pap Ndiaye « Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République » le 14 avril 2023, avec l’arrivée de nouveaux membres. Pour l’auteur, les différentes approches et sensibilités des membres du conseil peuvent amener à orienter le travail pour mener de pair la défense de la laïcité et la lutte contre les discriminations. Nous avons sans doute à nous inspirer de cette double approche pour nos classes et de cette ouverture aux débats.

L’important reste de montrer une cohérence entre le dire et le faire. Notre plus gros travail est de faire vivre la laïcité et les valeurs de la République dans nos classes et surtout d’éviter de l’enseigner à vide, voire en totale incohérence avec nos pratiques. Ce qui n’est pas toujours simple dans une institution qui manque parfois elle-même de cohérence.

Sylvie Grau