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Un diner entre amis

Ce diner vient de l’idée de faire de cette suite de portraits un lien humain, pour voir ce que nous rassemble, ce qui nous différencie et parler, parler encore de la passion simple qui nous anime : faire de l’éducation un enjeu fondamental mais joyeux.

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Tous n’ont pu être là, Paris pour la plupart est loin. Florence est venue de Picardie, Christine de Privas et les autres de plus près. A première vue, ils se connaissent depuis toujours, à rire ainsi sur la photo. Autour de la table, des enseignants en lycée, de physique-chimie, de sciences économiques et sociales, des profs de collège, en français et en mathématiques, une professeure des école, deux chefs d’établissement, Christine, la rédactrice en chef et moi, l’auteure des portraits. La plupart d’entre eux étaient avant pour moi des inconnus, avant que je ne leur téléphone pour qu’ils me parlent d’eux, et de les raconter sur le site des Cahiers Pédagogiques. Dans cette rencontre amicale, le tour de table s’est avéré superflu, les portraits ont servi de cartes de visite. Ce sont les personnalités qui affleurent dans une alchimie spontanée exempte de timidité ou de flagornerie, sans « moi je », avec beaucoup de curiosité, envers l’autre, son univers, le quotidien de son métier. Ils sont si différents, dans leur approche de leur métier, dans leur vie, leur regard. Cette diversité attise la curiosité de tous et rapidement les échanges fusent autour de récits d’expérience. Qu’est ce qui rapproche Erick Bureau du projet « globe reporters » de Florence Aulanier et son approche zen de l’enseignement ? La radio scolaire. Jérémie Fontanieu, le benjamin de l’assemblée, écoute les histoires de ces émissions pas comme les autres souvent réalisées sur les temps de loisirs comme le jour où Eric Tabarly, lui si taiseux, a répondu à l’interview de collégiens avec moult expressions fleuries. De ci de là, les conversations naissent, s’animent, les rires se déploient et entre les mots s’impose une idée en forme de déclaration : l’amour d’un métier et une évidence, celle de l’engagement, pour l’Éducation avec une majuscule. On feuillette le conte dessiné réalisé par Christine Hainaut sur Haroun Tazieff, on se baigne dans le rouge du tableau créé par Freddy Minc et on rit encore de ces anecdotes nées d’un impromptu, d’une rencontre entre des intentions de profs et l’interprétation des élèves.


Un chemin un peu différent

Oui, le métier est beau, d’une beauté indispensable pour une société humaine, lorsqu’il est raconté ainsi avec ses failles, ses pépites et ses recherches incessantes ; un métier de bricoleurs géniaux qui ne se lassent jamais ou si peu. Le sérieux s’invite dans les échanges, par intermittences. Le sujet de la discipline émerge entre l’entrée et le plat de résistance lorsque l’on évoque la sonnerie des portables. La difficulté de proposer un chemin un peu différent dans un système peu prompt à accepter la singularité effleure avant le dessert. Les idées, les refuges, les biais et les solutions construites se partagent. Pascal Gbahodé raconte sa classe où le respect mutuel structuré par la communication non violente s’impose. Anne Panvier témoigne du lien qu’elle tisse entre les enseignants, avec les parents, avec les élèves pour que son lycée soit un lieu où il est bon d’apprendre. Et dans les différences, des points communs s’imposent : l’humilité de ne pas imposer ce que l’on élabore, de convaincre sans heurter et de croire encore et toujours que le savoir est un bien universel, accessible à chacun. Autour de la table, nulle révolution ne s’élabore si ce n’est celle de l’optimisme et du plaisir. Dans les récits, on picore des bribes qui nourriront sa propre réflexion, on capte des éclairages auxquels on n’avait pas songé.

Et l’on se régale à partager l’instant, à songer qu’il serait si simple de multiplier ainsi les rencontres sans enjeux éphémères, avec pour seul but de laisser les conversations se déployer et découvrir ensemble un sens commun à l’urgence de réinventer sans cesse l’école. Les palmarès, le poids des injonctions sont loin de la table. Charlie s’invite, et de la gravité née des échanges autour de l’après, s’impose encore plus fort la nécessité de tout mettre en œuvre pour n’oublier personne sur le chemin des apprentissages. L’imagination est au coin des cours de récréation, des salles de classe, des salles des profs, des bureaux des proviseurs, pour peu qu’on accorde un peu, beaucoup, de liberté pédagogique.


Un peu d’oxygène

florence Aulanier, Monique Royer, Freddy Minc

florence Aulanier, Monique Royer, Freddy Minc

Les portraits nous racontent aussi cela : partout dans l’école et dans sa périphérie, des acteurs de terrain font grandir l’éducation, sans bruit, avec les moyens du bord, au rythme des palpitations de l’évolution de la société qui l’environne, la nourrit et l’ébranle. Ont-ils soif de reconnaissance ? Non, sans nul doute, mais besoin d’un peu d’oxygène pour que la créativité ne s’émousse pas contre les murailles d’un système encore trop vertical. Alors oui, en plein débat sur le numérique, on aimerait conseiller l’organisation de repas, de banquets, pour qu’au milieu des rires se partage le plaisir d’enseigner et de réinventer au quotidien son métier, en se débarrassant des formalités.

Sur le trottoir, le temps de l’au-revoir s’est prolongé avec une dernière anecdote, une dernière rigolade. Dans le froid hivernal, nous nous sommes dit à bientôt, en espérant que cette première verra à sa suite d’autres rencontres pour tisser la toile d’une école ouverte. A peine repartie vers ma lointaine province, je songeais déjà avec gourmandise aux conversations futures entre des enseignants qui ne se connaissent pas mais qui ont en commun le gout de balayer les effluves de fatalisme.

Monique Royer