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Que dire au nouveau président ?

Trois axes pour changer de cap

Bien entendu, il faut d’abord mettre l’accent sur la formation des enseignants, professionnelle et professionnalisante. Avec quelques clés pour réussir celle-ci :
– mettre en valeur l’interdisciplinaire et l’interdegrés, les aspects méthodologiques, l’apprendre à apprendre ;
– favoriser tout ce qui est échange de pratiques et surtout constitution d’une ingénierie pédagogique à travers des « ateliers » où l’on se forge des outils pour la classe ;
– valoriser l’expérience auprès des jeunes de nouveaux recrutés (ce doit être un critère pour le recrutement).
La formation, initiale et continue, doit permettre l’expérimentation et doit avoir un aspect « laboratoire », sans injonctions trop importantes de l’institution. Et tout cela plutôt en coopération, dans le travail en équipe qui est à développer ensuite dans les pratiques.
Il faut aussi inciter les enseignants à faire appel au monde extérieur, aux professionnels qui sont autour des établissements et peuvent aider à mieux apprendre, à relier les savoirs et la vie. L’enseignant ne doit plus être la source unique du savoir, mais bien plutôt un chef d’orchestre.

Un second axe de travail doit prendre en compte le nécessaire respect du principe de diversité. Si un cadre général est nécessaire, il faut laisser chacun trouve sa propre voie. J’ai mené depuis des années le combat contre le « mythe identitaire » : tous au même rythme, au même moment, avec les mêmes contenus. Il faudra introduire de la diversification, de la différenciation. Bien sûr, je défends aussi l’idée d’un socle commun de l’indispensable, mais il ne doit pas entrer en contradiction avec la nécessaire diversification. Les élèves devraient pouvoir choisir très tôt des options, des approfondissements dans tel domaine de prédilection, ce qui permet d’utiliser leurs « talents ». Étant entendu qu’il faut combattre les hiérarchisations abusives qui mettent toujours au second plan les activités manuelles et techniques.

Troisième grand axe : changer complètement l’évaluation. Il faudrait en finir avec les absurdes « moyennes » et considérer l’évaluation comme un acte personnel qui donne à chaque élève des repères en matière de progrès possibles. L’évaluation ne doit pas être publique et continuer à être cet élément de sélection obsessionnelle qui informe peu sur les possibilités de chaque élève. Cela va de pair d’ailleurs avec une réflexion sur l’orientation, qui est à revoir complètement.

Les obstacles seront grands sur la voie du changement. Il faudra cependant éviter les comportements autoritaires et trop globaux. Il faut faire toute sa place au niveau local et accepter les exceptions à la règle générale.

Je suis prêt pour ma part, compte tenu de tout le travail qui a été fait dans les années Savary notamment, des nombreuses propositions qui ont alors émergé sur des sujets tels que l’évaluation ou le remplacement des enseignants en formation, à apporter ma pierre à cet édifice à reconstruire.

André de Peretti


Monsieur le Président,

Vous avez fait de la jeunesse et donc de l’éducation, votre première priorité. C’est pourtant déjà, et de loin, le premier budget de la nation. Pendant des années les progrès du système éducatif ont été financés par la création de dizaines de milliers de postes, avant que ses résultats ne stagnent, puis régressent sous l’effet des coupes sombres opérées par la droite. Avec la crise économique actuelle, l’approche quantitative ne peut suffire si elle n’est mise au service d’un grand projet national. Un choix doit être fait : à quels élèves l’école de la nation doit-elle s’adresser en priorité ? La réponse de la gauche me semble devoir être : à ceux qui ont absolument besoin d’elle pour réussir, les enfants des classes populaires, au premier rang desquels les enfants issus de l’immigration, qui cumulent handicaps sociaux et culturels, et dont la nation a tellement besoin pour s’enrichir et affermir son unité.
Deux leviers sont à votre disposition : les structures et les hommes. L’école primaire doit certes être renforcée, mais surtout le collège devenir son prolongement naturel et cesser d’être l’antichambre du lycée général. La formation des maitres doit certes être rétablie, mais cela restera insuffisant si les concours continuent de produire des professeurs recrutés sur leurs seules qualifications académiques et non sur leurs compétences pédagogiques et leur éthique sociale.

Avec mon profond respect, je vous souhaite, monsieur le Président, très bon courage.

Jean-Pierre Obin
Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale


À l’école, le changement, c’est maintenant et… pour longtemps !

Le nouveau président et son futur ministre de l’Éducation devront s’appuyer sur l’expérience du passé pour réformer l’école en ne commettant pas les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs sachant que les risques d’échec relèvent de deux stratégies politiques opposées : faire le minimum pour ne pas être exposé à une impopularité ou agir avec des mesures faiblement consensuelles génératrices de blocage.

Notre système éducatif a besoin d’une réforme en profondeur qui mérite plus qu’un quinquennat : prévenir la difficulté scolaire, améliorer les conditions de scolarisation des élèves et de travail des enseignants par une organisation du temps différente, repenser la formation des maitres, mieux préparer les jeunes à l’université et au monde du travail sont autant de chantiers qui nécessitent à la fois du temps et un certain consensus parmi les acteurs. Pour réussir, l’action politique devra prendre en compte ses deux dimensions.

Bruno Suchaut
Chercheur à l’Iredu


D’abord ? Du temps et du souffle !

Sortons d’abord nos agendas ! Il faut dire au politique que le calendrier de l’éducation, tourné vers le long terme, n’étant pas le sien, il doit renoncer à l’activisme de l’immédiateté qui fit tellement de dégâts, mais que nous allons nous donner tout de suite un rendez-vous ferme pour dans quatre ou cinq ans ! Un temps raisonnable pour que le paysage commence à changer et que nous puissions alors ensemble convenir qu’une grande œuvre est en route !

Acteurs de l’éducation, disons ensuite au « politique » qu’il lui revient de faire que l’école de France retrouve d’abord un souffle, car c’est ce dont nos élèves nous demandent par-dessus tout d’être porteurs, comme la société le demande à l’école, et que ce souffle s’exprime en valeurs dont il faut faire en sorte que l’école certes les diffuse, mais d’abord les respecte dans ses propres fonctionnements à tous les niveaux !
Par exemple en interdisant du verbe « s’orienter » tout autre usage que pronominal ! Par exemple en vérifiant que sous les pavés des bonnes intentions de décisions scolaires nos élèves ne se retrouvent pas marqués de stigmates infernaux !

Ce souffle, vigoureusement opposé à la langue de bois des cynismes et des technocraties, il doit avoir la simplicité d’un matin, et la confiance d’une journée qui commence, contre les vents mauvais, qui soufflèrent si fort, de l’angoisse compétitive et de l’école de la distillation fractionnée : l’école étant d’abord productrice de sens, il faut d’abord reprendre confiance dans ce qu’elle doit enseigner ! Définir cela d’une façon ambitieusement cohérente ! Tirer de la réponse à cette question l’essentiel d’une politique éducative ! Convier tous les enfants à la table d’une culture qui les aide avant tout à comprendre le monde et à y agir !

Roger-François Gauthier
Professeur associé à Paris-Descartes et Inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche


Si j’avais à écrire sur un registre sérieux :

Monsieur le nouveau ministre de l’Éducation, je me permets de vous suggérer trois registres d’actions à propos desquelles engager la réflexion :

1) La classe et les pratiques d’apprentissage-enseignement qui impliquent un éclairage à propos :
– des contenus d’enseignement (à envisager en terme de curriculum et non de programme) :

  • quel lien entre épistémologie des disciplines (quels concepts clés par niveau de classe) et compétences du socle commun ?
  • quelle place accorder aux « éducations à… » et aux activités de projet (10 à 15 % de l’horaire annuel) ?

– des situations d’apprentissage-enseignement, pour proposer :

  • un panel de pratiques alternatives,
  • une banque de situations d’évaluation à propos des contenus.

2) La formation :
– en pré recrutant au niveau de la licence et en organisant des masters bidisciplinaires pour le second degré sur le modèle des PEGC d’antan envisagés non pas sous la forme de deux années disjointes (la première académique, la seconde professionnalisante), mais de deux années couplées ;
– en faisant exister durant les deux années des temps suffisants de contact avec des lieux d’éducation formelle et non formelle pris en compte dans le curriculum ;
– en organisant des activités de formation collectives et des temps d’analyse de la pratique.

3) la gouvernance générale du système :
– en déconcentrant (de façon à répondre à la question qu’est-ce qui relève du niveau central et qu’est-ce qui peut être dévolu au niveau territorial) à propos du recrutement et de la gestion des personnels,
– en jouant au niveau des établissements et des enseignants sur le couple autonomie-responsabilisation,
– en revenant sur la fonction d’inspection.

Si j’avais à écrire une pochade :

Monsieur le ministre de l’Éducation, parce que la première des utopies serait de croire qu’on puisse se passer d’utopie, permettez-moi de vous suggérer de ne pas rabattre l’éducation sur l’enseignement. Ainsi pourrait-on envisager le service des professeurs par une activité enseignante dans des établissements scolaires et par une activité d’éducateur ou de vulgarisateur dans des institutions relevant de l’éducation non formelle.
Permettez-moi encore de vous inviter à passer au tamis du couple autonomie-responsabilité les décisions que vous prendrez en matière de gouvernance et de pilotage du système éducatif.
Enfin, ne craignez pas de suggérer de développer « le philosopher », à tous les niveaux d’enseignement et dans toutes les disciplines pour donner davantage sens aux enseignements dispensés.

Michel Develay
Professeur des universités en sciences de l’éducation


Voici sept mesures d’importance inégale.

Absolument prioritaires :
– Mettre fin à la semaine de quatre jours et la remplacer par une semaine de cinq jours, à cinq heures de classe par jour.
– Organiser la formation de tous les nouveaux maitres à partir de stages préparés, accompagnés, suivis et exploités.
– Relancer la formation continue et donner aux enseignants l’occasion de parler entre eux de leur métier.
– Rétablir une inspection spéciale pour les écoles maternelles afin d’empêcher qu’elles ne soient régies par la hantise des résultats scolaires.

Seconde priorité :
– Créer un véritable outil de pilotage, de statistique et d’études, en affranchissant la direction de l’évaluation et de la prospective de la tutelle du cabinet ou par tout autre moyen.
– Faire des rectorats des établissements publics dotés d’un conseil d’administration qui en vote le budget. Il n’est pas normal qu’un haut fonctionnaire décide seul de l’emploi de plusieurs milliards.
– Casser la DGESCO et rétablir les directions des écoles, des collèges et des lycées pour éviter l’alignement des pédagogies sur l’enseignement des classes de baccalauréat.

Antoine Prost
Historien