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Monique Royer, ou les mots qui réconcilient

Pendant dix ans, Monique Royer a écrit des éditos, des articles et raconté ses rencontres pour le Café pédagogique, notamment autour du forum de l’innovation. Et depuis 2013, elle propose sur le site des Cahiers pédagogiques des portraits d’acteurs de l’éducation, bulles d’oxygène et de créativité à chaque fois. Mais cette semaine, le portrait, c’est le sien. Enfin.

Rassurez-vous. La photo de Monique Royer entourée d’ors, de miroirs où elle se contemple et d’angelots qui parlent à son oreille est bien un antiportrait. Son décor à elle, c’est un établissement agricole à Carcassonne, où elle est directrice adjointe. Les miroirs, elle les tourne vers les autres, à qui elle raconte ce qu’elle voit d’eux. Et ce ne sont pas des anges qui lui parlent, mais sans doute quand même une voix intérieure qui la pousse, depuis qu’elle est petite fille : la curiosité. Mais pas de ces curiosités vilains défauts, non. De celles qui font qu’à l’école primaire déjà elle avait la voix pleine de pourquoi. Ses parents ouvriers, l’école ils y croyaient, pour Monique comme pour ses sept soeurs. Plus important pour eux que l’argent, il y avait le savoir. Et l’envie d’apprendre tout le temps, elle voyait ça à la maison aussi, avec son père qui à 50 ans a même appris à réparer une voiture.

Seulement voilà, cette curiosité et cette soif d’apprendre, l’école ne les apaisait pas et elle restait sur la berge, avec son doigt toujours prêt à se lever et ses questions en cortège, puis avec ses révoltes adolescentes. Alors on l’imagine bien s’être plantée sur ses pointes de pieds, avoir lancé un « Puisque c’est comme ça ! » et s’être mise en chemin avec son sac à dos bourré de questions. Les réponses, si on ne les lui apportait pas, elle irait les chercher elle-même. Elle irait les chercher en marchant, en faisant, et puis en rencontrant les gens, qui sont toujours pour elle, et aujourd’hui encore, des continents et des réponses en mouvement.

Lors d'une animation dans une médiathèque sur le thème

Lors d’une animation dans une médiathèque sur le thème

Ainsi a commencé un périple fait d’études et d’autoformation en continu, toujours en travaillant, parfois en alternance ; un continu qui semble sans fin, tant elle n’est jamais tout à fait assurée de sa légimité, malgré son parcours, ses connaissances, ses diplômes. Sur le chemin, Monique Royer a connu des expériences professionnelles variées, secrétaire, ingénieur d’études dans un service informatique du ministère de l’éducation, professeure d’informatique ou formatrice en communication et vie sociale et professionnelle, et s’est trouvée responsable de formation professionnelle.

Assez vite, elle a bien vu les points communs de ce qui l’intéressait : la nécessité de se sentir utile, comme auprès de personnes illettrées, ou en prison ; la transmission aussi, mais souvent en faisant apprendre autrement, comme les dix ans où elle a été animatrice d’un centre de ressources dans l’enseignement agricole. Et puis toujours, elle se trouvait à croiser le savoir et les pratiques et à travailler avec d’autres personnes, puis enfin à aider les autres à travailler ensemble. Elle a continué ses études, avec un DU Conception et animation de formations ouvertes et à distance, puis un master 2 d’ingienierie de formation. Elle a expérimenté par elle-même la VAE, la formation à distance aussi, elle connait donc ce qu’on l’on ressent dans ces conditions d’apprentissage, pour mieux accompagner ceux qui se retrouvent dans cette situation.

En 2009, elle est devenue « comme ça » directrice d’un centre de formation pour adultes dans l’enseignement agricole. Non sans être impressionnée au début par la représentation du rôle de direction, par la nécessité parfois d’installer une distance qui permet l’autorité. Monique Royer, avec son sac-à-dos à questions et ses rencontres à réponses, est très sociable et très sociale. Comme cet aspect lui est d’abord apparu encombrant, elle l’a retenu bien serré. Et puis elle l’a utilisé. Et aujourd’hui elle sait que le temps passé en pause, à rire, à échanger, est du temps gagné. Elle sait que l’humour met à distance de ce qui deviendrait trop pesant. Car le poids des responsabilités, le souci qui écrase soudain l’esprit, elle le connait. Elle sait les appels d’offre, les contrats que l’on peut perdre et l’inconcevable : les postes qu’il faudrait alors fermer.

Lors d'une réunion des CIVAM (Centres d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et le Milieu rural)

Lors d’une réunion des Civam (Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural)

Mais en parallèle de son parcours professionnel, Monique Royer qui faisait une veille sur l’enseignement agricole en tant qu’animatrice de centre de ressources est repérée par le Café pédagogique en 2002 et sollicitée pour faire des articles sur le domaine agricole. C’est dans le cadre des forums de l’innovation qu’elle rencontre ses premiers enseignants, qu’elle les interviewe, parle de ce qu’ils font de tellement bien que l’école s’en trouve grandie. C’est ensuite pour les Cahiers pédagogiques qu’elle publie chaque semaine les portraits que l’on peut lire sur notre site et dans une publication qui rassemble une vingtaine de ces portraits.

Ce qui la touche à chaque fois ? La confiance qui s’installe, les personnes qui racontent, à bâtons rompus, leurs années de cheminement professionnel, leurs doutes, leurs enthousiasmes aussi. Il n’est jamais facile de parler ainsi de soi, pas toujours bien vu de se montrer, et de se montrer différent. Différent… C’est bien pourtant ce qui intéresse le plus Monique Royer : elle cherche à montrer en quoi la singularité permet à la communauté enseignante de grandir. A chaque fois, elle voit apparaitre l’ingéniosité pédagogique, les questions que se posent les enseignants sans y répondre de manière fermée. A chaque fois, ces réponses elle les met dans son sac-à-dos, enrichissantes pour son propre travail. Ce qui la frappe toujours chez ceux qu’elle écoute, c’est la modestie : ils sont nombreux à lui dire « Je ne fais rien de particulier. » Et puis, aussi, la marquent leurs manières à chacun de se retrouver dans les interstices du système, « comme des plantes qui prolongent leurs racines et trouvent la lumière. ».

Monique Royer voit-elle en elle l’ingéniosité, la modestie, la singularité qui la surprennent chez ceux qu’elle interroge ? Sent-elle ses qualités de cœur et de plume qui font que chacun de ses portraits révèle la personne sans la caricaturer ? Sans doute que non et il ne faudra pas lui dire. Car c’est pour cela qu’elle peut continuer à avancer sans prétention vers de nouvelles questions et de nouveaux projets, portée par sa curiosité de petite fille, son gout pour les idées qui germent et la générosité de ses mots qui réconcilient.

Christine Vallin