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Quels usages de Pisa ?

Indicateurs, tests, standards, comparaisons internationales, classements, bonnes pratiques : difficile d’échapper à une série de notions et de termes qui envahissent le débat éducatif depuis une quinzaine d’années.

Une confusion s’opère parfois au niveau national entre ces instruments et les politiques suivies qui nourrit une vision critique et récurrente de ce qui apparait comme une « nouvelle gestion publique ». Globalisation, OCDE, Commission européenne, Pisa[[Olivier Rey, « Pisa : ce que l’on en sait et ce que l’on en fait », Dossier d’actualité Veille et Analyses, n° 66, octobre 2011.]], indicateurs de performance de la LOLF, RGPP, tests d’évaluation en primaire : tout est amalgamé comme une seule et même politique qui aurait sa cohérence et sa finalité. Pourtant, l’examen des différentes politiques nationales et des usages qui sont faits d’instruments supranationaux tels que Pisa montre, au contraire, la diversité des usages et des politiques à partir d’instruments communs[[Voir par exemple les nombreux documents en ligne du réseau de recherche européen Knowledge and Policy : www.knowandpol.eu/+-Francais-+.html]].

des réceptions différentes

Ainsi, il y a un monde entre le « choc Pisa » en Allemagne au début des années 2000, qui a justifié une centralisation inédite des programmes éducatifs dans ce pays, et l’indifférence complète aux résultats, plutôt médiocres, de cette même enquête aux États-Unis. Aux Pays-Bas, le ministère a fixé l’objectif de permettre au pays de figurer dans le top 5 de Pisa et, pour ce faire, encourage notamment un cadrage plus détaillé du curriculum, dans un pays qui n’avait pas cette tradition de programmes nationaux très précis. Au Portugal, les résultats ont été abondamment utilisés pour légitimer des réformes déjà engagées en matière d’évaluation des enseignants ou de plan national de la lecture.

Accueillis d’abord dans l’indifférence au début des années 2000, les résultats Pisa ont été de plus en plus invoqués par les différents ministères des gouvernements Sarkozy, en particulier pour dénoncer des résultats d’apprentissages jugés insuffisants, et surtout des méthodes pédagogiques suspectées d’être insuffisamment axées sur les savoirs dits fondamentaux. Loin de provoquer des mesures de fond, les enseignements de Pisa ont rarement été utilisés au-delà d’un élément circonstanciel de discours.

C’est en revanche du côté des observateurs, des experts et des chercheurs en éducation qu’on trouve les utilisations les plus intéressantes de Pisa dans l’Hexagone.

Plusieurs didacticiens se sont penchés sur les réponses des élèves à l’évaluation internationale, pour identifier les atouts et les lacunes propres des jeunes Français. Des traits étonnamment convergents ont ainsi été dégagés, dont on peut retenir par exemple la difficulté de nos élèves à passer d’une posture strictement scolaire d’utilisation des connaissances à une situation de mobilisation de ces dernières dans des contextes plus proches de la vie réelle. Autrement dit, une autre façon de poser la question de la place des compétences par rapport aux savoirs, que la mise en place du socle commun a soulevée, sans donner les moyens aux enseignants de la traiter véritablement.

L’enquête internationale a également souligné une tendance à l’inhibition des élèves français, dès qu’il s’agissait de répondre à des questions faisant plus appel à l’engagement personnel ou à la prise de risques qu’à la répétition de connaissances balisées, ce qui interpelle la France sur la place réservée à la créativité et à l’innovation dans le curriculum de la scolarité obligatoire.

inégal et inefficace

Des travaux d’inspiration sociologique ont aussi décortiqué Pisa, pour voir dans quelle mesure l’école française parvenait à réduire les inégalités et à maximiser ses performances, au regard de ce que faisaient des systèmes éducatifs voisins comparables. C’est ici que la leçon a été la plus rude : non seulement notre système éducatif est profondément inégalitaire, mais il est en plus inefficace.

D’une part l’école ne réduit pas les inégalités sociales existantes (et tend même parfois à les aggraver), d’autre part elle ne produit pas des élites, ni à un niveau ni dans une proportion qui pourrait expliquer, sinon excuser, sa faible équité.

Des chercheurs comme Nathalie Mons ont largement montré que les systèmes à base de tronc commun de la scolarité obligatoire, et pas seulement en Finlande, étaient plus efficaces et équitables que ceux qui trient et différencient précocement les élèves.

On voit donc qu’un programme comme Pisa, même issu d’une organisation parfois perçue comme néolibérale, peut aussi mettre en lumière les carences d’une école qui n’est finalement ni très républicaine, ni très exceptionnelle.

Olivier Rey
Ingénieur de recherche, veille et analyses, Institut français de l’éducation (ENS Lyon)