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Quelle culture sur le socle ?

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Le socle commun de connaissances et de compétences s’est vu complété dans la loi de refondation par le terme de « culture ». Le Conseil supérieur des programmes a tenté de donner une substance à cette nouveauté, en mettant au centre de ses recommandations le concept de « culture commune ».

On peut penser qu’il ne s’agit en l’occurrence que de concessions faites à ceux qui pensent, pour des raisons diverses, que le principe même de socle commun pose problème. On peut aussi avancer que la difficulté de l’exercice même du socle commun consiste à répondre de façon unique à des questions différentes.

En trois dimensions

Le curriculum, dans chaque pays, possède en effet plusieurs dimensions. Il contient en premier lieu, évidemment, une dimension disciplinaire, articulée autour de contenus qui privilégient des savoirs avec leurs logiques internes. Il comprend aussi une dimension moins visible liée au développement cognitif d’habiletés intellectuelles, telles que la résolution de problèmes et la capacité de raisonnement. Il intègre enfin souvent une dimension liée à l’expérience citoyenne, professionnelle et culturelle, recouvrant des acquisitions destinées à favoriser l’intégration dans la société.

Chaque pays, selon ses traditions, organise son curriculum en insistant plutôt sur telle ou telle dimension. On voit bien que la France se situe plutôt dans un modèle qui confiait une place centrale aux disciplines scolaires, pendant que d’autres pays, l’Angleterre ou les pays nordiques, privilégiaient un modèle d’éducation globale de la personne.

Les acteurs éducatifs eux-mêmes, en fonction de leur trajectoire ou de leur place dans le système, peuvent être plus sensibles à une école qui transmet un corps de savoirs disciplinaires ou à une école qui favorise une intégration sociale.

Certains chercheurs soulignent aussi la tension récurrente entre des cultures scolaires centrées sur l’expérience de la personne et d’autres plus centrées sur l’entrée dans les savoirs organisés.

On peut imaginer que l’une des interrogations actuelles sur le socle en France réside dans le fait que l’on est dans un mouvement, très progressif, d’ouverture de notre curriculum vers d’autres dimensions ou plutôt d’hybridation de notre tradition avec d’autres modèles curriculaires.

Culture et disciplines scolaires

Ce débat n’en reste pas moins très difficile à mener, car chacun tend à organiser l’amnésie des origines sociohistoriques de « son » modèle, pour le naturaliser. Ainsi beaucoup, en France, au lieu de reconnaitre la dimension normative et politique de tout curriculum, font comme si les programmes d’enseignement pouvaient se résumer à une transposition scolaire mécanique de savoirs objectifs et dont la liste fait consensus.

Quand on définit la spécificité de la culture scolaire, on glisse en effet facilement d’une reconnaissance du regard particulier que l’école doit organiser sur le monde, souvent via un travail disciplinaire, à une sacralisation des cadres disciplinaires existants comme seuls vecteurs d’éducation. Au lieu d’être mobilisés pour l’action, comme dans la théorie des compétences, les savoirs semblent alors se suffire à eux-mêmes dans une éducation qui organise leur contemplation respectueuse.

De même, la culture dont tout un chacun se réclame comme élément central de l’éducation est très ambigüe : dans une acception anthropologique du terme, cela peut désigner une socialisation qui donne une place centrale aux attitudes et aux valeurs. Dans une acception plus académique, c’est surtout l’ensemble des réalisations qui permettent de se réapproprier l’héritage de la civilisation.

À cela se rajoute le fait que le curriculum est intégré dans des processus sociaux redoutables. Rappelons par exemple que la fabrication des élites françaises est adossée à un système de tri par l’excellence scolaire qui n’apparait de plus en plus ni efficace ni équitable.

Dès lors, on peut se demander parfois comment le regard critique sur le monde, qui parait si important pour de nombreux contempteurs du socle, a pu avoir si peu d’effets en matière de démocratisation de notre curriculum.

Olivier Rey
Chargé d’étude et de recherche, service Veille et analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon)