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Pédagogie et numérique

Le fossé social lié aux outils numériques se résorbe petit à petit, notamment depuis l’arrivée de terminaux mobiles, mais le fossé culturel est réellement problématique : si tous les élèves ont des usages numériques pour le divertissement, ceux qui sont issus de familles culturellement favorisées en ont aussi un usage éducatif. Il faut donc que l’école rééquilibre. Pourtant, lorsque les enseignants parlent des nouvelles technologies, c’est encore souvent pour mettre en avant le fait qu’ils ne les maitrisent pas, qu’il faut être un expert pour cela, pas « un prof de base ». Des raisons objectives expliquent cette situation : le rythme rapide des innovations, les questions de formation initiale et continue, ou encore l’absence de maintenance du matériel qui met en situation d’incertitude. On peut citer aussi la peur de voir remise en question la posture professionnelle de l’enseignant, la crainte d’envisager sa pédagogie différemment ou de se retrouver seul ou peu nombreux dans l’établissement à fonctionner différemment. Et l’on s’aperçoit que le numérique ne favorise pas mécaniquement la pédagogie.

Numérique et innovation dans le même bateau

D’abord, on constate que malgré l’arrivée massive du numérique, les pratiques pédagogiques ne changent qu’à la marge. La Grande-Bretagne a longtemps fait figure d’eldorado en la matière, et pourtant, même là-bas la relation pédagogique n’a pas particulièrement évolué, malgré les discours sur le travail collaboratif développé par les usages nouveaux. Le numérique s’accommode même très bien du mode transmissif et contribue parfois à fossiliser les pratiques pédagogiques en relation frontale et cours magistral.

Ensuite, on constate que les usages du numérique restent plus administratifs que pédagogiques, comme le montrent les débats sur les espaces numériques de travail (ENT), où ce qui est mis en avant relève du contrôle (des notes, absences, emploi du temps) plus que du pédagogique. Pourtant les ENT pourraient favoriser et simplifier le travail de groupe, les échanges ou le partage.

D’autre part, certains outils ou usages peuvent être théoriquement intéressants, mais pas forcément pertinents. Des outils numériques tels les baladeurs s’avèrent de précieux atouts en compréhension orale, mais pour les élèves les plus en difficulté, l’activité menée directement par l’enseignant est plus accessible. Sinon, s’ajoutent des difficultés liées à l’utilisation de l’outil.

Enfin, on s’aperçoit que les comptes rendus d’expériences de séquences pédagogiques utilisant des outils numériques sont toujours délicats à interpréter : on ne distingue pas toujours clairement ce qui relève de l’outil ou de la pédagogie de l’enseignant. Ainsi, ce qui fonctionne bien avec un professeur peut ne pas fonctionner avec un autre. Clairement, l’outil, le logiciel ne sont pas les seuls responsables, ils sont pris dans un contexte.

Au niveau de l’établissement, des études ont mis en avant des conditions pour que le numérique soit intégré de manière positive et efficace aux pratiques. Tout d’abord, il est bon de l’intégrer au projet d’établissement, pour que cet aspect fasse partie de la culture de l’établissement. Ensuite, il faut qu’il aille dans le sens d’une pédagogique davantage centrée sur les apprenants, qui favorise la participation et l’autonomie. À ce titre, les pédagogies dites « nouvelles » ou « actives », les approches socioconstructivistes sont des atouts. Une plus grande autonomie laissée au niveau des établissements s’avère une piste intéressante. On constate également qu’il est important de communiquer à destination des parents et de la communauté. Enfin, comme toujours, on retrouve pour gage de réussite un leadeurship qui accompagne, encourage et soutient les enseignants engagés dans l’utilisation du numérique, et une implication forte des personnels avec une culture du partage et du travail d’équipe.

Au niveau des usages, on note un bénéfice particulier lorsque le numérique est utilisé à des fins de création et de partage par les élèves. On est dans ce cas loin de la vidéoprojection ou des tableaux blancs numériques dans leur utilisation basique. D‘autre part, il faut que l’objectif visé reste la tâche que les élèves doivent réaliser et ce qu’ils doivent en apprendre. Enfin, le numérique apporte une dimension supplémentaire intéressante, en rendant aisés la publication, l’échange, la participation à un projet plus large, en collaboration avec d’autres classes ou personnes. Mais dans toutes ces dimensions, le rôle de l’enseignant reste primordial dans l’organisation de l’activité ou du scénario pédagogique.

Rémi Thibert, chargé d’étude et de recherche, service Veille et Analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon)


Pour en savoir plus
Rémi Thibert, « Pédagogie + numérique = apprentissages 2.0 », Dossier de veille de l’IFÉ, n° 79, ENS de Lyon, http://bit.ly/Qlsx2f, novembre 2012.