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ATD Quart Monde, un entredeux

Régis Félix, ©François Phliponeau, ATD Quart Monde

Régis Félix, quel a été votre parcours professionnel et au sein d’ATD Quart Monde ?
Régis Félix : Les deux ont été effectivement très liés, il serait bien difficile de ne pas mettre en cohérence son engagement militant et sa vie personnelle. J’ai été professeur de lycée, de classes préparatoires et principal de collège pendant mes sept dernières années. J’avais en tête à ce moment-là que le rôle d’un chef d’établissement était de permettre aux enseignants d’aller au bout de leurs projets. J’ai été très agréablement surpris par des jeunes enseignants sortis d’IUFM (institut universitaire de formation des maitres), prêts à travailler en équipe, allant se voir les uns les autres dans leurs classes.
ATD Quart Monde et moi, voilà trente ans que ça dure. Il me semble que j’ai retrouvé dans la fonction de chef d’établissement des choses que je connaissais et avais cultivé dans l’association : écouter, accompagner. Accepter les silences de l’enfant avant qu’il ose parler, et, éventuellement, critiquer. Être patient.

Régis Félix, ©François Phliponeau, ATD Quart Monde

Régis Félix, ©François Phliponeau, ATD Quart Monde


Vous avez très bien raconté ces silences et ces dialogues dans Le principal, il nous aime pas. Puis vient de sortir Tous peuvent réussir, rédigé avec onze autres enseignants. Comment écrit-on collectivement ?
R. F. : Les récits sont individuels, mais la grande partie sur les savoirs d’action a pris forme lors de deux séminaires. Ce qui nous portait tous, c’était de transmettre l’idée que tout le monde a à gagner de la coopération. Et nous allons même plus loin, puisque le plus important c’est le sous-titre Partir des élèves dont on n’attend rien. La posture humaine de l’enseignant fait que dans une classe, la réflexion pédagogique sur un projet se portera toujours vers : « Comment cet élève-là, dont plus personne n’attend rien, va-t-il pouvoir devenir acteur ? »

Régis Félix, qu’est-ce qui vous a porté et vous porte toujours, vous ?
R. F. : Difficile de répondre en deux mots. L’engagement fait, je crois, partie de mon existence. La rencontre avec les personnes issues de la grande pauvreté, la vraie rencontre je veux dire, celle qui prend le temps, qui amène à se connaitre, à découvrir les richesses de l’autre, fait très vite se rendre compte du gâchis humain lié à nos fonctionnements, tant à l’école que dans la société. Des personnes méprisées, une société qui se construit sans elles, ce n’est pas acceptable. Je connais la valeur fondamentale de tout être humain. Alors, arrêter maintenant ? Impossible.

Marie Verkindt, ©DR

Marie Verkindt, ©DR


Marie Verkindt, à quand remonte votre rencontre avec ATD Quart Monde ?
Marie Verkindt : Cela s’est fait en même temps que mon entrée dans le métier (oui, j’ai été professeure d’histoire-géographie en collège jusqu’à septembre 2012 ; je suis en retraite désormais). À cette époque-là, j’ai accompagné des enfants trois semaines en vacances et découvert qu’aucun ne pouvait écrire à ses parents. Je les voyais pourtant pleins de curiosité devant moi. C’est comme ça que j’ai accroché au mouvement. Que j’ai fait partie d’une bibliothèque de rue, que je suis beaucoup allée à la rencontre des parents et suis entrée dans le mouvement Tapori, un courant mondial d’amitié entre les enfants animé par ATD Quart Monde. Des enfants de différents milieux y disent leurs souhaits et les actes qu’ils posent pour qu’aucun ne reste à l’écart. J’y ai vu naitre des aspirations profondes et des idées qui avaient besoin simplement d’être accompagnées.

Métier et mouvement se sont donc croisés parfois ?
M. V. : Souvent même. Les occasions d’interactions entre mon métier et le mouvement ne manquaient pas : parents comme enfants issus de la grande pauvreté se sentaient loin de l’école, il fallait donc que nos projets soient d’autant plus ambitieux, pour la fierté des enfants et de leurs parents. C’est ce qui s’est passé dans un projet à Roubaix, avec une classe d’enfants en échec scolaire, une classe de Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté), un autre enseignant et un documentaliste. Il s’agissait de découvrir d’abord la ville, puis de devenir des guides, pour d’autres élèves du collège. Avec pour objectifs de leur montrer qu’ils en étaient capables, de lutter contre leurs peurs et que les autres élèves changent leur regard sur eux. Eh bien ils ont appris leur texte, ils ont eu plaisir à expliquer et l’on a vu ces élèves parler avec les autres au collège. D’où l’importance du regard de l’autre et de la cultiver. C’est ce genre de travail exigeant pour tout le monde qui peut aider à sortir du fatalisme de l’échec. Certains enfants n’y croient plus, ils ne se sentent pas chez eux à l’école, ils pensent que le savoir c’est pour les autres. Je ne connais pas de meilleur remède contre ces maux-là que la réussite. C’est même un remède à dilution lente, puisque j’ai croisé une élève qui avait participé à ce projet de Roubaix. Elle m’a dit : « Vous savez, le dossier qu’on avait fait, je l’ai donné à mon frère quand il est arrivé au collège. »

Et avec les familles, à quoi avez-vous participé ?
M. V. : Nous sommes dans une action-recherche sur le quartier de Fives à Lille, comme on en fait souvent à ATD Quart Monde. Une chose est sûre : les familles croient en l’école, comptent sur elle pour que cela change. Mais les relations sont pourtant parfois difficiles. On ne se comprend pas toujours. Nous nous demandions comment faire pour impliquer les familles en grande pauvreté dans la vie du quartier. Pour que cette idée avance, nous savions qu’il fallait que ces familles soient actrices des solutions. Et que le moteur, ce pouvait être les enfants. C’est ce qui s’est passé, et nous avons évalué avec ces familles et les professionnels du quartier toute une série d’actions menées par les uns ou les autres, actions qui visaient à ce que l’école et les familles soient plus proches : des sorties pédagogiques accompagnées par des parents, un atelier de relaxation parents-enfants mis en place par une association, l’action « Les petits mots » avec une question déposée devant l’école et des réponses sur Post-it, questions comme « Quels conseils donnez-vous à vos enfants en cas de bagarre ? » (ATD était dans ce cas-là sur le trottoir et notait les réponses), de l’éveil musical à la maternelle en présence des parents, une campagne autour des droits de l’enfant au cours de laquelle on avait collecté idées, dessins, pour réaliser un grand livre collectif. Avec une grande fête de quartier en fin de campagne autour des enfants et de leurs parents et autres éducateurs.

Propos recueillis par Christine Vallin