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La vision des inclus. Ethnographie d’un dispositif pour l’inclusion scolaire

Godefroy Lansade, NSHEA/Champ Social, 2021

Godefroy Lansade est mon collègue au département des sciences de l’éducation de l’université Paul-Valéry à Montpellier. Sa spécialité est l’anthropologie. En 2016, il a soutenu une thèse de doctorat sur l’ethnographie d’un dispositif d’inclusion scolaire à destination d’adolescents et jeunes adultes désignés handicapés mentaux. En 2021, il publie aux éditions de l’INSHEA (Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés) et de Champ Social un ouvrage qui reprend le cœur de cette thèse. Quelle est-elle ? Celle de montrer que les jeunes dits « handicapés », bien qu’accueillis au sein des collèges et des lycées à travers les dispositifs d’Unité localisée d’inclusion scolaire (ULIS), rencontrent une série d’obstacles qui rend quasiment impossible leur réussite scolaire. Quels sont ces obstacles ? Quelles sont les conditions de la scolarisation de ces jeunes dans ces établissements ? Quelle place occupe le dispositif ULIS dans les expériences de l’inclusion scolaire des élèves qui y sont inscrits ?

Il convient tout d’abord d’expliquer comment Godefroy Lansade a travaillé. Son enquête a duré trois ans. Il s’est immiscé dans le quotidien d’une ULIS collège et d’une ULIS lycée et a côtoyé élèves et professionnels : des enseignants, les coordonnateurs ULIS, une accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), la proviseure, etc.  Sa posture d’anthropologue l’a conduit à « faire avec » toutes ces personnes. Outre les temps de présence lors des cours, il a longuement marché avec les adolescents (entre le lycée et chez eux ou entre le lycée et le centre-ville), les a aidés dans diverses démarches, il les a même accompagnés à Paris à l’occasion d’une semaine de sortie scolaire avec une classe de terminale. De plus, pour éviter un phénomène  d’« enclivage » (qui consiste à être associé à une clique locale, p. 56), il a pris soin de passer beaucoup de temps à déambuler dans les différents espaces du lycée et de discuter avec les différents professionnels qui s’y trouvent.

Il a ainsi collecté une foison de données, par l’intermédiaire d’un carnet de recherche et d’entretiens. Il a réalisé soixante-six entretiens auprès des vingt-quatre adolescents et jeunes adultes rattachés au dispositif ULIS collège et lycée. Vingt-neuf entretiens supplémentaires ont été conduits avec des professionnels de ces contextes (p. 94).

Que retenir de tout cela ?

Tout d’abord, une série de dérives du système. Il apparait que ces jeunes, comme l’avaient souligné auparavant Marie-Aleth Grard et Jean-Paul Delahaye dans leurs rapports sur la grande pauvreté (2015), sont principalement issus de familles populaires, comme si les difficultés économiques induisaient, de fait, des troubles mentaux. Il ressort aussi un problème de places limitées dans les structures de l’enseignement spécialisé. Les familles de ces adolescents sont confrontées à un dilemme : soit elles acceptent cette éventualité d’orientation, soit elles s’y opposent fermement avec le risque que leur enfant ne puisse obtenir une place en lycée. Les enseignants des cours de CAP (certificat d’aptitude professionnelle), quant à eux, font face à un problème de statistiques de réussite aux épreuves parce qu’ils doivent atteindre des pourcentages au-delà de 90 % et que cela devient beaucoup plus difficile avec des élèves dits « handicapés ». Ils n’ont pas d’autre choix que de procéder à des évaluations complaisantes, ce qui se montre triplement préjudiciables. D’abord pour les élèves qui ne sont pas totalement dupes. Ensuite au niveau de la valeur du diplôme avec des compétences des élèves qui sont mises en doute. Enfin pour eux, vivant de manière assez douloureuse le fait de contribuer à une dévalorisation du diplôme (p. 326). La conséquence de cette situation est que ces jeunes sont fiers d’avoir réussi quelque chose, mais que malheureusement le milieu ordinaire du travail, qui impose de s’adapter plutôt qu’il ne s’adapte, se présente comme un environnement peu favorable à leur insertion professionnelle (p. 347).

Ensuite, le travail de Godefroy Lansade donne à voir des « maladresses relationnelles » dans le contact avec ces jeunes. Il parle de « situations de désinterlocution » lorsque des adultes échangent sur un élève en sa présence, comme s’il était absent. Les temps de réunions semblent également terribles pour eux et leurs familles, souvent associés à des tribunaux : « Je comprends rien à ce qu’ils disent. La MDPH (Maison départementale pour les adultes handicapés), le contrat de je sais pas quoi, je comprends rien. La demande de ci, le projet, les inclusions, le CAP, c’est des malades. C’est eux qui décident, le projet, tout ça. Moi j’arrive pas à expliquer bien les choses » (p. 80). La stratégie qui se présente alors à eux est de se taire, de reconsidérer leur orientation avec une forme de « résignation lucide » (p. 160), les conduisant à accepter des projets professionnels ne correspondant pas à leurs envies. Ces maladresses se traduisent aussi par diverses réticences de la part de certains enseignants à accueillir ces élèves : création de filières spécifiques, refus de formations ou peur du handicap mental (p. 186). S’ajoute à tout ceci une réalité de marquage institutionnel de ces élèves, l’ULIS étant très souvent associée à une classe alors que ce devrait plutôt être un dispositif de repli ponctuel. « C’est l’étiquette ULIS qui fait qu’on dit “c’est des mongols !” C’est un peu tout le monde dans le lycée qui a cette image-là. Ils ont fait de leur classe une identité » (p. 194).

Dans la troisième partie de son ouvrage, Godefroy Lansade évoque un sujet important pour les Cahiers pédagogiques : l’accompagnement vers les apprentissages et la différenciation pédagogique. Il explique que les élèves rattachés à un dispositif ULIS sont confrontés à une « ubiquité impossible » (p. 265), partagés entre une présence en classe de CAP et dans l’espace ULIS. Les enseignants des disciplines en CAP doivent gérer en même temps leur volonté d’accueil de la diversité et la mise en place d’organisations ad hoc. Alors, ils en viennent à accepter que des élèves « trichent » ou que leur accompagnement se fasse essentiellement par l’intermédiaire de l’enseignant coordonnateur ou de l’AESH.

La lecture passionnante de cet ouvrage pousse à penser l’école bien plus largement que pour le seul accueil de ces élèves dits « handicapés ». La prise en compte de l’hétérogénéité des élèves concerne toutes les singularités. C’est pour cela que nos engagements vers des pédagogies personnalisées, coopératives et inclusives est un enjeu central pour notre école.

Sylvain Connac