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La technologie, passerelle pour le réel

Autrefois tout était simple. Une vie, un métier, une habitation, un milieu social, la destinée inéluctable s’égrenait, très linéaire, très convenue, sans grandes surprises. Une technique apprise permettait de subvenir à ses besoins et s’intégrer dans la société pour toute l’existence.
C’est en forgeant qu’on devenait…

La vie n’est plus un long fleuve tranquille…

Ces dernières décennies, les évolutions se sont accélérées, et aujourd’hui, si les moyens de déplacements et de communications ont aboli les distances, le déferlement des innovations et changements techniques disqualifient rapidement les plus fragiles et mettent à la marge ceux qui peinent à suivre. Avec une moindre résignation qu’autrefois et des révoltes de plus en plus violentes de ceux qui sont abandonnés au bord du chemin.

Je sais lire, je sais compter, je sais m’exprimer,(mises en avant par certains), manier le présent de l’indicatif (et même l’imparfait du subjonctif) comme Jean d’Ormesson. Les tables de multiplication (pourquoi pas les dérivées et intégrales) comme Jean Paul Brighelli, sont insuffisantes à assurer une reconnaissance sociale et surtout des moyens pour exister. Alors que l’ouverture sur le monde est plus grande (télévision, Internet, communication…), le cloisonnement dans les cités, dans les groupes sociaux est de plus en plus fort… Alors que le zapping et le flux tendu sont entrés dans les mœurs, on voudrait s’en tenir à un enseignement linéaire et cloisonné… Alors que le virtuel devient la règle générale, on voudrait oublier que c’est dans la réalité et la confrontation avec l’entourage immédiat que l’individu se construit…

La technologie, moins soumise aux injonctions des gardiens des temples du passé, autorise des écarts que l’on pourrait souhaiter précurseur de nouvelles pratiques d’enseignement. Fille de la révolution industrielle, cette discipline récente, par sa proximité avec la vie réelle et son refus d’un académisme de bonne convenance, a toujours eu une obligation d’humilité. Plus que toute autre, elle a réussi à s’affranchir des ukases de la culture dominante, celle de l’écrit. Les intelligences manuelles, visuelles, sonores, reléguées au second plan, trouvent avec la technologie une valorisation et une reconnaissance qui redonne confiance en soi… Rétive au cours magistral, cette matière est dans l’obligation d’une relativité de sa vérité du jour, remise en cause dès le lendemain. Pour toutes ces raisons, dans ses pratiques et ses contenus, même si cela provoque tangages et roulis en son sein, elle a du s’affranchir des déroulements linéaires, de la virtualité des apprentissages et de la sclérose des démonstrations théoriques assénées comme des vérités incontestables.

La culture technologique, à quoi ça sert et comment l’acquérir ?

C’est au travers trois exemples concrets que je vous propose des éléments personnels de réponse …

L’Itinéraire de Découverte « les pliages »
Pendant trois courtes années, dans mon collège de ZEP, nous avons mis en œuvre des Itinéraires De Découvertes.

Cela a été l’occasion de croisements de compétences et d’enrichissements collectifs étonnants (pour les profs et les élèves). Ainsi, avec mon collègue d’art plastiques, nous sommes partis sur la piste des pliages avec des élèves de 5ème. J’étais loin d’imaginer, pris dans mes routines, à quel point, avec aussi peu de moyens (des feuilles de toutes natures et de récupération…), en douze séances de 2h, des pistes allaient pouvoir s’ouvrir et les compétences de technologies être travaillées.
Lecture de croquis, motricité fine, précision, rigueur (même un brin de fantaisie et d’esthétique) les premiers pas étaient sans surprise, mais avec un entrain surprenant et des progrès rapides, sources de plaisirs pour tous les élèves.
Les esprits chagrins s’offusqueront, nous ne sommes plus en maternelles et notre standing réclame mieux…
En explorant les pliages plus compliqués (animaux, fleurs…) c’est de la géométrie que nous avons abordé, et les différents types de papiers ou feuilles (matériaux en nappes) de la vie quotidienne, avec leurs caractéristiques, qualités, origine, histoire, fabrication et recyclage (de la technologie si je ne m’abuse ?).
Plier pour présenter et contenir (examinez les emballages, c’est parfois tellement ingénieux !!), plier pour filtrer de l’air ou des liquides (filtres de voitures), augmenter les surfaces d’échange (dans le corps humain…). Plier pour alléger, économiser les matériaux (structures alvéolaires), augmenter la résistance, améliorer la portance ou l’aérodynamisme (sur ces aspects, le thème des transport, c’est une mine de découvertes…), plier pour économiser l’espace et assurer des mouvements (linge, volets roulants…). Plier pour créer des formes et des volumes (c’est presque trop banal et déjà mathématique) pour organiser des espaces (maquettes d’architecture…). Plier pour s’amuser et se distraire (chapeaux, guirlandes, masques…) et découvrir les richesses et la diversité du monde (origami…).
Il s’agissait, non plus de savoirs livresques ou encyclopédiques, mais d’une application directe de notions technologiques avec un attrait formidable pour les élèves, la proximité avec leur vie de tous les jours. Ils ne partaient pas de rien, ils étaient déjà un peu savant… c’était encourageant.

Le défi scientifique « l’eau »
Proposé par « la main à la pâte » et soutenu par l’inspection académique et le conseil général des Côtes d’Armor, Le défi scientifique vise à mettre des élèves en situation de réflexion, de questionnement, d’expérimentation, d’observation et de synthèse, face à un problème de leur quotidien. Le défi de l’année scolaire 2006 avait pour thème « l’eau, source de vie ».
Confrontés à une eau souillée (cailloux, argiles, huiles, terre et sable) mes élèves ont, en quelques séances, en relation avec leur vécu quotidien et dans leur espace immédiat, approché et découvert la démarche expérimentale, les phénomènes naturels et le monde industriel.

En s’intéressant aux raisons, conséquences, dangers et traitements de l’eau souillée, nous avons abordé divers points du programme de technologie :
– les matériaux : pour expérimenter la décantation et les effets de filtration.
– les énergies : le solaire en particulier, pour renforcer l’action du soleil, chauffer l’eau et détruire les bactéries
– la recherche scientifique : bâtir des hypothèses, expérimenter, comparer, mesurer, analyser, tirer un bilan et des conclusions
– les incidences quotidiennes et de proximité de la consommation, du traitement et de la qualité de l’eau avec la visite de station d’épuration.
– les solidarités à l’échelle de la planète : avec l’utilisation de sites Internet comme ceux de l’Unicef et du Développement durable de Yann Arthus-Bertrand. Ce sont les enjeux de développement durable auxquels les élèves sont sensibilisés.

Des écrits et des photos tout au long des recherches et expérimentations et une présentation (panneaux et diaporamas) devant un jury, ont permis de témoigner des travaux réalisés. Et quand il s’est agit d’expliquer et défendre son travail devant le public réunit lors de la rencontre départementale, le plaisir et la fierté qui brillaient dans le regard des élèves témoignaient alors que l’envie d’apprendre et le goût de l’effort existent toujours. Cette année, le thème de recherche est le vent. Ça va souffler.

http://www.lamap22.net/le-dispositif-de-la-classe-de-6a.html
http://www.lamap22.net/defi-scientifique-le-dispositif-de.html

La randonnée technologique dans le quartier
J’avais (re)découvert, lors d’un IDD avec un collègue d’Histoire Géographie les richesses à vocation pédagogiques ignorées qui se trouvent à la porte de notre collège ; j’avais aussi constaté à l’époque, que nombre de nos élèves, quittaient rarement leur cité et pour certains n’avaient même jamais vu l’écluse du port, distante de moins de 2 km !!

J’ai depuis remis l’ouvrage sur le métier pour en décliner une version à vocation technologique que j’annonce avec un diaporama d’échange interactif sur les points à découvrir, et qui rappelle les notions déjà travaillées en classe.
L’attention est immédiate, chaque élève reconnaît des lieux, peut anticiper des explications, se rappelle des leçons déjà vues.

Nous quittons le collège, avec chacun une carte du quartier et après un rapide trajet en bus, nous cheminons 2 heures en apprenant à ouvrir les yeux sur :
– l’évolution des techniques et des besoins (avec les habitations de différents styles, tour fortifiée de 1500, cité des castors, maison de pécheur, ferme des années 1900, manoir, pavillon, HLM…).
– les fonctions d’usage et d’estime, avec les engins nautiques au port, de l’annexe au chalutier en passant par les voiliers, trimarans, cargos, hors bords…
– les énergies (véhicules terrestres et maritimes, automobiles, chemin de fer…)
– les principes de fonctionnement (écluse du port, grue de déchargement des bateaux, portiques de levages, grues, aiguillages…), les ports de commerce et de pêche sont une véritable mine.
– les questions environnementales, quand on longe la station d’épuration (avec des notions qui relèvent de la SVT)
– les réponses à un besoin et l’évolution des techniques avec les moyens de franchissement des obstacles (les ponts, pont tournant du port, viaduc, pont mixte, pont pierré…).

On rentre au collège les bottes pleines, mais avec un vent iodé et technologique qui a soufflé sur les esprits, une ouverture sur l’extérieur qui attise (qui réveille) la curiosité intellectuelle. Cette randonnée permet aussi de quitter le chemin habituel de l’élève, de la maison au collège, et le « territoire » connu. Un grand nombre de familles, aussi étrange que cela puisse paraître, vivent « recluses » dans un espace très confiné, et ne s’aventurent que très rarement en dehors. On peut découvrir le monde avec les programmes télévision, on peut aussi parcourir les quartiers de son espace de proximité.

La technologie sert à prendre contact et se préparer au monde réel

Ces trois exemples de pratiques diversifiées d’apprentissages, qui ne remplacent pas mais complètent les enseignements disciplinaires et leur donnent du sens, attestent que la technologie, est une discipline indispensable et d’avant garde.

L’enseignement de la technologie est un enseignement qui fait mettre un pied dans son futur d’adulte. La virtualité des apprentissages, même si elle permet des simulations intéressantes, n’aura jamais le goût et l’odeur du fait main… Fabrications, manipulations, découvertes, expérimentations, réalisations, l’application concrète et le lien « physique » avec les objets, les matériaux, les outils restent ce que d’autres appelleraient « des détours pédagogiques » incontournables. L’appétit de savoir et comprendre ne demande qu’à être encouragé, l’ouverture et la curiosité, qui sont naturelles, ne doivent pas être brimées par un formalisme et des rituels hérités d’époques révolues. Les élèves ne sont pas tous issus d’un milieu homogène, la civilisation majoritaire « au pouvoir », celle de l’esprit et de l’écrit doit accepter ce rééquilibrage et apprendre à cohabiter avec les autres, de l’oral, de l’image, du manuel… Ces allers/retours de la théorie à la pratique, du monde de l’imaginaire au monde du réel, qui sont initiées en technologie, mais aussi à d’autres moments (IDD, périodes interdisciplinaires…) doivent trouver leur place naturelle dans la formation initiale. C’est le passage du monde de l’enfance au monde adulte qui s’opère. Avec l’obligation de formation tout au long de la vie et de mobilité, la diversité des cultures et des savoirs sont des atouts essentiels. Frottée en permanence au monde du travail et à ses mutations, la technologie y puise les tendances futures du monde pour en irriguer le monde éducatif (c’est ce qui s’est passé avec l’outil informatique).

Dommages collatéraux, la technologie permet de faire le deuil des formes d’enseignement du passé

Le cours magistral, pour des disciples sagement assis, ingurgitant chapitre après chapitre un contenu immuable et incontestable n’est plus adapté, ni suffisant. L’accélération du temps et des évènements ne peuvent plus se satisfaire de processus linéaire et de cloisonnement étanche des raisonnements. Le rapprochement des disciplines scientifiques, tellement imbriquées dans les démarches expérimentales est devenu une obligation. Zapping, croisements, demi-tours, parcours en zig-zag, la réalité des processus de recherche, de la vie active et du monde du travail rattrape la formation initiale. L’enseignement disciplinaire doit laisser une place aux formes collectives et diversifiées de travail (IDD et TPE sont de bonnes avancées), le sacro-saint emploi du temps saucissonné hebdomadaire doit faire une place à des formes d’organisations plus souples (annualisation ?) et collectives, décidées par les équipes d’établissements… L’enseignement n’est plus une profession libérale qui s’exerce en solitaire. Ce qui implique nécessairement du travail collectif et un temps de présence plus important dans l’établissement, une redéfinition du temps et des modalités de travail, une réflexion sur les formes d’évaluation du niveau et des progrès des élèves. Mais c’est un vaste sujet, qui dépasse la technologie.

Philippe COLAS, Professeur de Technologie, Collège Racine 22000 Saint-Brieuc.