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La « sanction éducative » dans la gestion des conflits : réalité ou utopie ?

Négociation, coercition

Les enseignants usent fréquemment de la négociation au cours de leurs leçons, y compris lors des moments consacrés à la régulation disciplinaire. En effet, l’ordre négocié de la classe, jamais totalement abouti, est sans cesse redéfini conjointement par les professeurs et les élèves. Ces négociations aboutissent parfois à l’énoncé de sanctions en direction d’un ou plusieurs élèves sans que cela occasionne de perturbation particulière dans le déroulement de la leçon. Cependant, dès lors que les incivilités des élèves prennent des proportions plus importantes au point de remettre en cause l’équilibre d’une dynamique favorable au travail scolaire, les enseignants abandonnent ce recours volontaire à la négociation et s’engagent dans des actions au caractère coercitif plus affirmé (Flavier, 2001). Les interactions professeur-élève(s) qui se développent alors dans un climat de conflit (situation d’opposition interpersonnelle entre un enseignant et un élève au cours de la leçon) s’apparentent à un cercle vicieux marqué par une dynamique d’affrontement. Nous observons alors un changement en profondeur des intentions de chacun des protagonistes. En effet, la volonté de « sauver la face » devient leur préoccupation prioritaire, si bien que professeurs et élèves développent et mettent en œuvre des stratégies diverses afin de faire admettre et imposer leur point de vue à l’autre.
L’élève s’oppose à la sanction, tente de négocier un dernier avertissement et/ou une réduction de la sanction encourue, joue sur le caractère public de la scène et enfin cherche à décaler l’enjeu de l’opposition sur une dimension personnelle en s’attachant à démontrer que l’enseignant le sanctionne plus durement qu’il ne l’aurait fait avec ses camarades. Pour Defrance (2003), « aucune action d’enseignement ne peut avoir d’efficacité si l’élève ne peut pas manifester qu’il comprend ou non ». Nous considérons ici l’opposition de l’élève comme la marque d’une incompréhension de la sanction, soit dans sa forme, soit dans sa nature, soit dans sa sévérité.
De son côté l’enseignant, perturbé par le dilemme qui lui impose de choisir entre le règlement en aparté du conflit et la poursuite de la leçon avec les autres élèves de la classe, s’engage dans des actions punitives pour mettre un terme rapide à cette situation particulièrement inconfortable (Flavier, 2001).
Dans ce contexte la sanction devient pour l’enseignant un outil de pouvoir au détriment de son usage initialement à vocation éducative. En effet, l’enseignant, s’appuyant sur l’autorité naturelle inhérente à son statut dans la classe s’engage dans un crescendo des menaces de sanction à l’encontre de l’élève pour tenter de le contraindre à obéir. Plus la réaction d’opposition de l’élève est prononcée, plus la menace d’une sanction s’alourdit. Dans la grande majorité des conflits, le poids de la sanction et la crainte de ses conséquences sont les éléments qui participent à la reddition de l’élève et à sa soumission à la décision de l’enseignant (Flavier et al, 2002 ; Flavier & Méard, 2003). Néanmoins, il nous semble que nous sommes ici bien loin des enjeux de la sanction scolaire tels que les conçoit Prairat (2003), nous incitant ainsi à développer une double réflexion portant sur a) le caractère judicatoire de l’action de l’enseignant, et b) la dimension démocratique de l’école.

Juge et partie

L’acte judicatoire vise à prendre des décisions de justice dans le déroulement de la leçon conformément aux règles établies, notamment par le biais de la négociation avec les élèves. Or, dans les situations de conflits, et plus largement dans toute situation opposant un élève à l’enseignant, ce dernier occupe une position ambiguë tenant simultanément les rôles de juge et partie. Juge parce qu’il est le responsable légal et institutionnel du bon déroulement de la leçon ; l’enseignant est à ce titre chargé de faire respecter les règles de la classe. Partie parce qu’il est directement impliqué dans l’interaction qui l’oppose à un ou plusieurs de ses élèves. Cette situation ne manque pas de nous interpeller sur la justesse avec laquelle le jugement peut être rendu eu égard à la forte tonalité émotionnelle liée au rapport de force de l’affrontement. Il n’en demeure pas moins que l’usage de la sanction par les enseignants conserve son caractère éducatif dans la grande majorité des situations de classe ; seules les situations de conflits présentent cet usage plus coercitif.
Par ailleurs, prendre des décisions de justice implique d’en respecter les principes élémentaires, à savoir :
– une enquête préalable : l’enseignant en a-t-il seulement le temps et la possibilité ou doit-il s’en donner les moyens ?
– l’éventuel recours à des tierces personnes comme témoins : que peuvent dire les autres élèves de la classe qui ne sont pas impliqués ?
– un droit de défense et de réponse (alors même que la « négociation » est, dans ces moments de conflits, systématiquement refusée) : l’élève doit-il accepter sans réagir ce qu’il considère comme une injustice ?
Nous pensons que l’ensemble de ces questions peut trouver des réponses positives au travers de méthodologies de résolution des conflits ou de pistes de remédiation aux situations conflictuelles reposant sur l’analyse de ces dernières (Flavier, à paraître ; Flavier et Méard, 2003).

Ajuster et hiérarchiser

La sanction dans l’urgence est destructrice de toute démarche éducative. Parce qu’elle refuse l’enquête, elle est injuste. Elle exacerbe les sentiments et émotions de chacun, les décisions qui en découlent sont également disproportionnées, contribuant ainsi à une personnalisation du conflit. Ne pas se précipiter, rester calme ou au contraire se calmer avant d’énoncer une sanction évite bien souvent de se retrouver « dos au mur ». En effet, une fois énoncée, la sanction (ou menace de sanction) doit être effective pour éviter le risque de faire perdre tout crédit aux interventions disciplinaires futures. Néanmoins, si le fait d’être sanctionné n’est bien souvent pas négociable, les conditions de mise en œuvre, à l’instar de la justice civile, le sont aisément. Ainsi, donner la parole à l’élève (ou bien interroger les autres élèves de la classe, témoins des faits), ne fût-ce que brièvement, revient à lui accorder le temps et l’intérêt nécessaires à l’acceptation de cet état de fait ; c’est aussi permettre à l’enseignant d’ajuster et de hiérarchiser ses interventions. Par ces propos, nous tenons à affirmer et montrer que la négociation et le dialogue avec l’élève ne sont pas incompatibles avec la fermeté inhérente et incontournable à toute gestion des situations conflictuelles en classe. C’est en ce sens que la référence à la règle commune, dans l’étayage de la sanction, se révèle indispensable en raison de sa force au regard de l’exception locale décidée isolément par l’enseignant.

L’école, lieu de démocratie ?

Comme le souligne le rapport Prost (2001), la fin des années 1990 est marquée par un intérêt grandissant des instances dirigeantes du système éducatif pour la question de la citoyenneté et de son exercice à l’école. Au-delà, nous ajoutons celle du caractère démocratique de l’école dont les faits d’actualité ne cessent d’en rappeler l’importance. Ainsi, si l’école s’inspire et s’appuie sur le fonctionnement de la société civile dans le but de permettre et favoriser l’intégration harmonieuse des élèves en son sein, elle n’en est pas pour autant le strict reflet. En effet, pour certains auteurs l’école n’est pas un lieu du plein exercice de la démocratie. Après Montesquieu, Defrance (2003) considère que dans la séparation des pouvoirs entre législatif, exécutif et judiciaire réside la définition de toute démocratie. Or, notre réflexion précédente a démontré le contraire : en chargeant l’enseignant de nombreuses responsabilités, l’institution scolaire le place en difficulté face à ses élèves dans l’apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie. Les règles sont proposées, créées, adoptées, mises en œuvre et appliquées par les mêmes personnes. Parmi elles, les enseignants et les élèves. Ces derniers n’ont qu’une participation mineure dans leur processus d’élaboration. Ainsi, poser la question du rôle participatif des élèves dans la construction des règles de la classe représente à nos yeux un enjeu essentiel pour faire de la sanction un acte éducatif. En effet, le passage d’une règle-contrainte (subie sous le contrôle d’une autorité) à une règle-nécessité (suivie volontairement dans le respect de soi et d’autrui) apparaît comme le vecteur de l’attribution de sens par l’élève. En lui donnant les moyens de saisir les motifs et raisons d’exister d’une règle l’enseignant permet à l’élève d’accéder progressivement à l’autonomie (Méard et Bertone, 1998). Dans le même sens, pour Prairat (2003), « la sanction rend possible en l’enfant l’émergence de sa responsabilité subjective ». La gestion des conflits en classe offre ainsi à l’enseignant diverses opportunités de donner des responsabilités aux élèves. En donnant la parole à l’élève mis en cause, il lui permet de revenir sur les faits, éventuellement, les reconnaître, s’en excuser, les réparer, etc. En d’autres termes, c’est l’occasion pour l’élève d’assumer les conséquences de ses actes antérieurs. En privilégiant le caractère public de la gestion des conflits dans la classe, le professeur permet aussi aux autres acteurs de la leçon de s’impliquer éventuellement dans les actions judicatoires de l’école ; en ce sens ils se forment à l’exercice de la citoyenneté.

Dès lors, la sanction éducative ne reste plus de l’ordre de l’utopie mais devient une réalité accessible à tout enseignant quelles que soient les situations dans lesquelles il se trouve engagé. Ainsi, la question de la sanction comme un outil à disposition des enseignants ne se pose plus, c’est désormais celle de son usage qui devient l’enjeu prioritaire des formations professionnelles. Si les réponses commencent à venir pour les situations usuelles d’enseignement, le travail reste encore important pour les situations dans lesquelles l’enseignant se trouve plus exposé comme les situations de conflits (Flavier et Méard, 2003).

Eric Flavier, Equipe GRIFEN, IUFM de Nice et STAPS -IUFM d’Alsace.


Références

Defrance, B. (2003). Sanctions et discipline à l’école. Paris : La découverte.
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Flavier, E. (2001). Les conflits lors des leçons d’EPS : Dynamique et signification des actions en classe des professeurs et des élèves. Thèse de doctorat. Université Montpellier I, UFR STAPS.
Flavier, E. (dir.) (à paraître). Conflits professeur-élèves : les comprendre pour les maîtriser. L’exemple de l’EPS. Strasbourg : CRDP.
Flavier, E., Bertone, S., Méard, J.A., Durand, M. (2002). Les préoccupations des professeurs d’Education Physique lors de la genèse et la régulation des conflits en classe. Revue Française de Pédagogie, 139, 107-119.
Flavier, E., Méard, J.A. (2003). Comprendre les Conflits Professeur – Elève(s) en EPS. EPS, 303 (sept-oct), 25-28.
Méard, J.A., Bertone, S. (1998). L’autonomie de l’élève et l’intégration des règles en Education Physique. Paris : Presses Universitaires de France.
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Prairat, E. (2003). La Sanction en éducation. Paris : PUF, collection « Que sais-je ? ».
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– Texte officiel (2005). Loi 2005-380. Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. Encart au Bulletin Officiel de l’Education Nationale, 18.
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