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La philosophie saisie par l’éducation
En ces temps pressés qui nous font vivre sous le règne de l’urgence perpétuelle, il est bon que soit donné à lire un ouvrage qui accepte les plus longs détours.
Aux alentours de 420 avant J.-C., Platon alertait ceux qui voulaient bien l’entendre, de l’erreur qu’il y a, en matière d’éducation, à s’interroger sur les moyens sans s’être interrogé sur la fin. Il invitait ceux qui se souciaient, en vérité, d’éducation d’accepter de prendre le loisir de le faire loin des rumeurs de la foule. Quelque 2500 ans plus tard, où en sommes-nous ?
Aucun philosophe n’aurait sans doute l’idée de considérer l’éducation comme un fait humain sans intérêt ou mineur. Il faut toutefois admettre que rares sont ceux qui en font l’objet central de leur réflexion, certes « la plupart des philosophies contiennent de quoi méditer sur l’éducation » mais c’est bien souvent au détour d’analyses dont l’enjeu principal est autre. Soyons honnêtes, les philosophes ont, de fait, délaissé le fait éducatif. Que Rousseau ait composé L’Émile ou que Kant ait consacré quelques cours aux questions pédagogiques, n’infirme pas cette appréciation générale. La rareté d’un examen systématique et explicite de la question éducative, dans la tradition philosophique occidentale, est en soi un problème pour la philosophie qui n’a pourtant jamais cessé de déclarer l’importance de droit de ce thème. Quiconque est amené à élaborer un cours intitulé « philosophie de l’éducation » et souhaite n’appuyer son enseignement que sur des textes philosophiques, sait bien que la liste des ouvrages de philosophes, consacrés exclusivement à l’éducation, est, somme toute, assez réduite. Un autre indice de cette inattention à l’éducation de la part de notre tradition philosophique se repère dans les programmes du baccalauréat ; qu’on considère la liste des notions proposées à l’étude : cette liste varie au fil des réformes, des notions apparaissent, d’autres disparaissent mais une se signale par son absence constante, l’éducation. Comment interpréter cette timidité ? L’ensemble des textes ici rassemblés amorce un examen philosophique du contraste patent entre cette discrétion effective et le statut de thème majeur reconnu de droit à l’éducation. Il apporte aussi – et c’est essentiel – un début de démenti à cette idée que les philosophes se détourneraient de la question, l’abandonnant aux sciences humaines…
La lecture du présent ouvrage montre avec bonheur que les philosophes se sont ressaisis et osent une parole. Ils contribuent ainsi à dégager les questions, non seulement du mirage de l’urgence immédiate mais encore de l’illusion que seul un discours positif serait apte à les résoudre.
Il faut saluer l’impressionnant travail que représentent ces deux volumes, qui réunissent et mettent en dialogue celles et ceux qui travaillent à faire de l’éducation un objet philosophique et de la philosophie une discipline concernée par l’éducation.
Le lecteur aura pu être parfois pris de vertige devant le foisonnement des interventions (une cinquantaine), et avoir craint de se perdre dans un réseau si dense ; le temps de « pause réflexive » et de loisir n’est pas un temps de repos ni de récréation. Ce n’est que lorsqu’on a péniblement frotté les uns contre les autres, noms, définitions, perceptions de la vue et perceptions des sens, quand on a discuté dans des « discussions bienveillantes où l’envie ne dicte ni les questions ni les réponses, que, sur l’objet étudié, vient luire la lumière de la sagesse et de l’intelligence avec toute l’intensité que peuvent supporter les forces humaines » (Platon, Lettres). Gageons que le lecteur aura abondamment trouvé dans cet ouvrage matière à frotter ses représentations, ses certitudes peut-être, ses convictions sans doute, à celles des auteurs et qu’il fermera le livre, éclairé.
Cette lumière de l’intelligence qui jaillit du débat ne lui aura certainement pas apporté réponses à toutes ses questions, elle aura même probablement fait surgir des questions qu’il n’entrevoyait pas. Elle l’aura du moins convaincu qu’en matière d’éducation, rien ne va de soi et que ceux qui veulent des solutions rapidement efficaces, se leurrent. Elle l’aura convaincu aussi qu’une approche philosophique, sans avoir à se substituer au traitement scientifique, apporte une contribution non négligeable à l’effort de « perfectionnement » de l’éducation et donc de l’humanité.
Sylvie Queval
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