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La méthode heuristique

L’année n’est pas finie, mais c’est l’heure du bilan. Celui d’une expérimentation menée sur l’enseignement des mathématiques en CP avec trois professeurs des écoles.

Juin 2015 : bilan

Elles ont été invitées à mettre par écrit ce bilan, et la lecture est intéressante. Une collègue est très enthousiaste : « Le bilan est super positif, cela m’a permis de progresser sur ma pédagogie, de remettre en cause mes pratiques qui ne permettaient pas à mes élèves de progresser suffisamment. Il m’était difficile de transmettre, de faire comprendre des notions dans une matière qui me semble simple. »

Les autres la suivent : «J’ai une licence de maths et pourtant je crois que je ne savais pas très bien enseigner les maths. La satisfaction de réussite en maths est là.  », « Je n’ai jamais utilisé de méthode de maths ni de fichier en tant que tel… Super satisfaite ».

Septembre 2014 : retour en arrière

Intéressé par l’enseignement des mathématiques depuis longtemps, je m’interrogeais sur les difficultés rencontrées sur le terrain. Une certitude : le début de la scolarisation est fondamental pour construire ses connaissances mathématiques, ce qui nécessite un enseignement efficace à l’école primaire. Je décide donc de tester une méthode d’enseignement avec des classes de CP. Il s’agit d’une expérimentation. Une méthode basée sur quelques principes fondamentaux et redonnant toute sa place au calcul mental et à la résolution de problèmes. Je la nomme alors méthode heuristique, mot polysémique qui illustre l’idée de chercher et de trouver.

Cette méthode s’est construite sur la base de nombreuses lectures. Faire la synthèse des écrits mathématiques, didactiques existant sur le sujet est quasi impossible, mais je construis « ma » méthode. Je trouve trois collègues prêtes à se lancer dans cette aventure. Elles me font confiance. L’enjeu est important.

Octobre 2014 : visites

Première visite dans les classes. Les activités de calcul mental s’enchaînent. Rien d’innovant, juste des mathématiques. L’enseignante est enthousiaste et bienveillante et rythme le travail. Les élèves ont des habitudes, cherchent et sont dynamiques. Chez l’une des collègues, je prends la classe pour tester un peu. J’enchaine quelques jeux sur les désignations des nombres à l’ardoise. Je les fais jongler entre les différentes écritures : décompositions additives (toutes les façons d’écrire 8 : 4+4,5+3…), dessins sous forme d’une barre de dix et de cubes unités, représentations dans le tableau D/U, etc. J’accélère le rythme. Ils suivent et sont intéressés. La résolution de problème puis les situations d’apprentissage s’enchainent sous forme d’ateliers. Pendant qu’ils travaillent, avec la maîtresse, on a même le temps de discuter un peu, d’analyser ce qui se passe. Les élèves manipulent, discutent (de ce qu’ils font), essaient et (souvent) trouvent ! Les élèves en difficulté se remarquent rapidement mais même s’ils bloquent sur la tâche demandée ils cherchent et essaient de trouver la solution aux problèmes posés.

La méthode semble fonctionner.
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Pourtant, les classes choisies ne sont pas « favorisées » : une GS/CP en milieu rural, un CP/CE1 en zep, un CP en milieu urbain. Les profils choisis sont volontairement très variés. Dans chaque classe, un ou plusieurs élèves en grande difficulté, connus depuis la maternelle. Dans la classe de GS/CP, la collègue est satisfaite et surprise : les GS arrivent à suivre aisément la plupart des activités orales et de calcul mental proposées.

Janvier 2015

Bilan périodique. A chaque période, on se rencontre une ou deux fois. On fait le point sur l’avancée dans la programmation, en éclaircissant les points didactiques importants, les difficultés rencontrées, en analysant quelques erreurs d’élèves. Ces informations m’aident à affiner les contenus de la méthode.

Ces échanges sont importants ;

«C’est aussi ce que j’ai aimé dans l’expérience : Nos rencontres et nos échanges. On a toutes les trois des parcours différents, c’est ce qui fait que ça a fonctionné. On apprend aussi des autres. Les moments de rencontre, même brefs, nous aident à mettre correctement les choses en place dans notre classe. »

Avec les trois collègues, nous communiquons par mail tous les weekends. Elles s’interrogent et n’hésitent pas à me questionner. Je leur envoie des liens vers des vidéos didactiques, elles y vont et s’approprient les contenus pour mieux mener les séances en classe. Je touche alors à un aspect que je n’avais pas inscrit dans mes objectifs initiaux : cette expérimentation devient un outil de formation qui s’avère particulièrement efficace.

Mars 2015

Depuis des années, une évaluation est proposée à toutes les classes de CP de la circonscription. Les collègues qui expérimentent passent l’évaluation comme les autres. Les résultats sont plutôt positifs, particulièrement en numération et résolution de problèmes. Mais surtout, au fur et à mesure de l’année, le taux d’élèves en difficultés en mathématiques a baissé. Un résultat encourageant. Certains élèves partaient avec peu d’acquis en maternelle et l’écart entre eux et les autres élèves ne s’est pas accentué et au contraire se réduit.

Mai 2015

L’année se finit. Les élèves ont des habitudes mais surtout leur rapport aux mathématiques est très positif. Comme le dit une collègue : «des élèves acteurs, volontaires pour faire des mathématiques, chercheurs, en réussite et complémentaires les uns pour les autres».

Et en effet, aucune réticence à résoudre des problèmes. Les élèves sont rentrés dans la partie difficile de la numération, les fameuses familles « soixante à quatre-vingt-dix » de façon naturelle. L’utilisation des cartons montessori et du matériel de manipulation ont permis cette appropriation sans blocages majeurs. La technique de l’addition a presque coulé de source, le plus dur étant finalement l’aspect « posé et aligné » proprement dans le cahier, et pas l’aspect mathématique ! En effet, poser l’addition demande de savoir écrire, aligner les chiffres verticalement, proprement, ce qui en CP n’est pas si simple.
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Juin 2015 – retour sur le bilan final

Au terme de cette année, cette expérimentation semble très positive même si encore beaucoup de choses méritent des ajustements.

Un autre objectif de la méthode, et pas le moindre, semble atteint : « On peut aussi facilement mettre en place la différenciation pédagogique. Souvent on avance au rythme de chacun. »

Pour en savoir plus sur la méthode…

La méthode se veut avant tout pragmatique. Elle ambitionne (utopie !) d’être utilisable, praticable par tout enseignant, face à tout public, dans tout type de classe. Pour cela, elle laisse une certaine liberté dans la mise en œuvre et fait appel aux capacités d’analyse des enseignants.

Elle est construite sur cinq principes fondamentaux :

  • Développer une culture mathématique positive
    Il faut donner une place à la culture mathématique, quel que soit le niveau d’enseignement. L’image de la discipline doit être repensée, particulièrement par l’enseignant.
  • Répondre aux besoins des élèves
    L’enseignement des mathématiques doit se faire pour répondre aux besoins des élèves et respecter leur rythme naturel. Il faut développer la confiance en soi des élèves et faire en sorte que la réussite devienne le moteur de leur motivation intrinsèque.
  • Offrir un environnement adapté
    L’environnement d’apprentissage est stimulant et permet à l’élève de s’exprimer sans crainte. La classe, l’école, doivent donner envie d’apprendre et de comprendre les mathématiques en mettant la réflexion et la recherche au cœur du fonctionnement de la classe. Les nouvelles technologies côtoient le matériel de manipulation le plus basique.
  • Concrétiser pour conceptualiser
    Les apprentissages proposés doivent faire preuve d’ambition mathématique.
    En repensant le rôle de la manipulation, la modélisation, la résolution de problèmes, l’élève doit accéder aux concepts qui font la base des mathématiques.
  • Connecter les apprentissages
    L’idée est de connecter, de multiples façons, les apprentissages faits par les élèves et surtout de rendre explicites ces connections. Il faut aider les élèves à catégoriser, modéliser, user des exemples et contrexemples, dans une progression très cyclique.

Ces cinq principes prennent cœur dans la mise en œuvre de la méthode.
Celle-ci est construite sur un schéma quotidien explicite : activités orales, calcul mental, résolution de problèmes et situations d’apprentissage. Une place importante est ainsi consacrée à la résolution de problèmes et au calcul mental.

Ces temps peuvent être pensés en parallèle lorsque la classe est en cours double. Dans ce déroulé de schéma, une place importante est donnée à la manipulation. Par exemple, les élèves utilisent massivement des jetons, des abaques, les cartons montessori, des bandes numériques puis des droites graduées, des jeux etc. Chacun peut trouver l’outil, la modélisation qui lui parlera le plus.

Les situations d’apprentissage prennent des formes variées, en passant des séances dirigées, aux ateliers, aux exercices d’entrainement sur des fichiers autonomes.

Enfin, l’année est ponctuée par différents temps forts mathématiques : création d’un cahier des nombres, rallye mathématiques autour de problèmes ouverts, mise en exergue de la semaine des mathématiques, etc.
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Septembre 2015 : Nouveau départ

Après avoir fait le bilan, l’expérimentation est relancée. Une vingtaine de collègues se lancent dans l’aventure. Venues de trois circonscriptions différentes, la méthode est aussi étendue jusqu’au CE2, ainsi qu’en ULIS. Le cours double est désormais pris en charge et pensé directement dans la méthode pour que tous les élèves fassent mathématiques en même temps.

Au terme des dix premières séances, les collègues – et encore plus les élèves – sont enthousiastes !
Il faut enfin souligner que ce n’est qu’une expérimentation, avec un accompagnement. Des chercheurs trouveraient évidemment à redire sur les contenus. D’autres critiqueraient la démarche. Cette méthode n’a rien de miraculeux mais elle a deux qualités : elle est pragmatique et présente a priori un intérêt indéniable pour les élèves en difficulté.

Elle démontre qu’on peut enseigner les mathématiques pour tous et par tous.

Nicolas Pinel
Conseiller pédagogique, circonscription d’Yvetot (76), membre de la mission départementale mathématiques 76