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La mémoire courte
Faisons un rêve, ou plutôt un cauchemar. Imaginons que Nicolas Sarkozy ait été vainqueur le 6 mai dernier. Imaginons que, par exemple, Nadine Morano ait été nommée ministre de l’Éducation nationale. Nous serions en ce moment en train de subir la pire rentrée, en attendant la prochaine encore pire. Nous aurions appris par ailleurs le projet du secrétaire d’État Guillaume Peltier de supprimer le droit de grève des enseignants. Devant cette accumulation déprimante, les manifestations rituelles ne rassembleraient que quelques milliers de personnes et les salles des professeurs résonneraient de lamentations et de déplorations sans fin !
Heureusement ce n’est qu’un cauchemar uchronique et c’est un Président (et un gouvernement) qui a bâti sa campagne sur la priorité à la jeunesse et l’éducation qui a été élu. Mais la déploration dans les salles des professeurs et les salles des maitres est là et bien là, et plus forte qu’avant. Et on vient quelquefois à se demander si les enseignants n’ont pas la mémoire courte. Plus grave encore, on peut se demander si l’intérêt des élèves n’est pas oublié et passé au second plan devant les intérêts catégoriels. « Oui à une vraie refondation, mais pas celle-là, pas comme ça », nous rétorquera-t-on. « Nous voulons être consultés ! Nous, nous savons ce qui est bon pour les élèves », pourra-t-on ajouter.
Le rapport de la concertation pour la refondation de l’école constatait un « diagnostic partagé ». On en vient à en douter. Les enseignants et, au-delà, la société française sont-ils vraiment persuadés de la nécessité de réformer l’école ? N’est-on pas en train de s’accommoder de l’exclusion des élèves les plus en difficulté, pour ne pas avoir à remettre en question les pratiques et l’organisation actuelle de l’école ?
Bien sûr, l’action menée par le ministère et le Gouvernement n’est pas exempte de critiques. Les retards pris laissent penser alors qu’on aurait pu organiser une consultation des personnels plutôt qu’une concertation menée pendant l’été auprès des corps intermédiaires et donnent prise à une partie des critiques portant sur la méthode. La volonté de traiter la question des rythmes en premier parce que le sujet avait déjà été largement balisé par des travaux préalables s’est heurtée à des résistances imprévues de tous ordres, et ce ralentissement risque de peser sur la suite de la refondation. Le terme lui-même de « refondation » peut avoir aussi des effets pervers, puisqu’il est très ambitieux et qu’il expose à des critiques sur la modestie des évolutions mises en œuvre.
Le projet de loi tel qu’il existe aujourd’hui a aussi des lacunes. Elles sont pour une bonne part le résultat de compromis et de concessions. Le danger est de perdre de vue l’ambition majeure qui est celle de la lutte prioritaire contre l’échec scolaire. Et de transformer la refondation en une simple réparation. Mais, en France, nous sommes prompts à juger d’une politique avant même qu’elle soit mise en œuvre. Face à cet enjeu majeur, plutôt que l’esprit de critique, il nous semble essentiel de faire le pari d’une démarche constructive.
Nous n’avons pas la mémoire courte. Nous avions intitulé nos premières Assises de la pédagogie, en 2007 (!), « Résister et proposer ». Aujourd’hui dans un contexte différent, nous voulons « proposer et agir », pour changer l’école. Et ne pas oublier l’essentiel : les élèves.