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La lecture d’œuvres complètes au collège
Un premier objectif consiste à inciter à la lecture d’œuvres complètes, certes de qualité, mais pas forcément inscrites dans le patrimoine littéraire : « développer le goût de la lecture » figure comme premier objectif en classe de 6e [[Programmes de la classe de 6e, 1995, p. 10]] . C’est sans doute la poursuite de cet objectif qui a conduit à faire entrer à l’école « la littérature pour la jeunesse » ; le plaisir de la lecture que nous devons développer chez l’élève est ici fondé sur l’intérêt pris à l’intrigue et sur l’identification ; c’est ce que D. Pennac appelle dans ses droits fondamentaux du lecteur, le droit au bovarysme [[Comme un roman, Gallimard, 1992]] . Les propositions de lectures de l’enseignant seront, dans ce cas, les plus variées possibles, et choisies en fonction des préoccupations des élèves ; il s’agira d’une approche thématique : adolescence, sports, quotidien ou dépaysement…
Mais l’on demande aussi à l’enseignant de former l’élève à des démarches intellectuelles méthodiques fondées sur des connaissances littéraires, d’apprendre à l’élève à parler de ses lectures afin de former le jugement et d’éveiller la sensibilité esthétique [[Programmes de la classe de 6e, 1995, p. 7]] ; initiés à observer les textes, les élèves doivent mettre peu à peu en œuvre un métalangage simple, portant notamment sur l’énonciation, les formes de discours, la structuration textuelle… [[Accompagnement des programmes du cycle central, p. 13]] Si l’objectif est d’améliorer le « discours sur… » (que ce soit à l’écrit ou à l’oral), les conseils de lecture peuvent davantage être formulés en fonction d’impératifs génériques, afin d’aider les élèves à catégoriser et à justifier leurs points de vue : pour apprécier une lecture, les élèves doivent pouvoir mesurer en quoi le texte répond à certains codes et en quoi il en joue [[Cf. à ce sujet, Accompagnement des programmes du cycle central, p. 14, et J.-M. ADAM, Les Textes : Types et prototypes, Nathan, 1992.]] . Le plaisir visé est ici celui de la distanciation et de l’interprétation.
Enfin, le collège doit être le lieu où les élèves « s’approprient les éléments clefs d’une culture commune » [[Programmes de la classe de 6e, 1995, p. 10]] . Il s’agit donc de favoriser la fréquentation de « textes représentatifs de références culturelles » [[Programme du cycle central, 1997, p. 10]] . Outre l’approche générique, cet objectif nécessite des prescriptions de lecture fondées sur des considérations d’histoire littéraire. Le plaisir est alors celui de partager une culture légitime ; on peut comprendre qu’il ne soit pas immédiat chez des adolescents qui pensent au contraire qu’en termes de culture, tout se vaut, et qui rejettent tout ce qui est ancien… C’est donc la notion de patrimoine qui doit être travaillée.
Les diverses lectures proposées sont donc à différencier en fonction du support : littérature pour la jeunesse ou œuvres plus littéraires, mais aussi en fonction des modalités de lecture : on distingue la lecture autonome, « cursive », d’une lecture savante, guidée par l’enseignant, que l’on peut appeler « analytique ». Le croisement de ces deux facteurs de différenciation permet de créer le tableau suivant :
Littérature pour la jeunesse | Oeuvres littéraires | |
Lecture cursive | ||
Lecture analytique |
Cette simple formalisation permet de s’interroger sur ses pratiques : s’il est assez fréquent de proposer en lecture cursive des œuvres de littérature pour la jeunesse et d’analyser des œuvres littéraires, il est plus rare d’analyser des œuvres de littérature pour la jeunesse, ou de proposer en lecture cursive des œuvres littéraires… Cet état de fait peut se justifier aisément, mais doit-on en conclure que ces activités sont soit sans intérêt, soit trop difficiles pour nos élèves ?
L’introduction de la littérature pour la jeunesse à l’école, et plus encore au collège, a paru à certains relever de la démagogie : est-ce au monde scolaire de proposer des lectures sans intérêt littéraire ni culturel particulier ? Nous réservant le droit de défendre la littérature pour la jeunesse pour un peu plus tard, nous leur concéderons que cette lecture ne saurait être une fin en soi, mais qu’il s’agit plutôt d’un préalable aux autres activités de lecture. À l’autre bout de la chaîne, si « l’enseignement du français au collège a pour finalités de permettre à chacun de former sa personnalité et de devenir un citoyen conscient, autonome et responsable » [[Programmes de la classe de 6e, 1995, p. 7]] , alors l’aboutissement en matière de lecture d’œuvres complètes consiste bien à lire cursivement des œuvres littéraires. Les documents d’accompagnement des programmes de 3e sont particulièrement explicites à cet égard :
« La lecture cursive est l’enjeu capital. […] Les pratiques de lecture analytique, l’examen méthodique de textes, ont pour but de développer une lecture cursive efficace et non l’inverse : la lecture cursive n’est pas au service de la glose d’une œuvre, mais au contraire, les lectures détaillées sur une œuvre ou un extrait doivent enrichir ce qu’une lecture cursive en a saisi, développer l’aptitude des élèves à en lire d’autres, et surtout leur donner le désir d’en lire d’autres. » [[p. 16]]
En termes de progression, nous pourrions donc schématiser les choses de la manière suivante :
Littérature pour la jeunesse | Oeuvres littéraires | |
Lecture cursive | 1 | 4 |
Lecture analytique | 2 | 3 |
Nous verrons sur quelques exemples non exhaustifs comment les activités pratiquées en 1, 2 et 3 peuvent développer des compétences nécessaires à la lecture cursive d’œuvres littéraires. Si l’on s’interroge sur les obstacles qui empêchent nos élèves de lire cursivement des œuvres littéraires, les réponses foisonnent :
– le manque de motivation, cette lecture leur apparaissant très loin de leurs propres préoccupations ; dans ce cas, il peut être habile de s’appuyer sur des lectures qui ont plu aux élèves pour introduire un ouvrage plus difficile : je citerai l’exemple d’une classe de 3e dans laquelle un grand nombre de filles avaient lu et adoré Love Story d’Erich SEGAL ; il a été possible, à partir de cet exemple, d’évoquer lors de lectures analytiques de cet ouvrage, mais également d’autres romans d’amour plus littéraires, les thèmes de la première rencontre, de l’amour fatal, de la mort…, pour finalement proposer en lecture cursive des œuvres telles que Le Blé en herbe, Fermina Marques, Le Diable au corps, mais aussi Roméo et Juliette, Tristan et Iseut et même pour deux élèves La Princesse de Clèves…
– La sacro-sainte excuse de la longueur, qui, si elle exaspère le professeur, n’en révèle pas moins des difficultés réelles.
– Une faible vitesse de lecture peut constituer un véritable obstacle ; l’enquête menée par C. Baudelot, Et pourtant ils lisent [[Le Seuil, 1999]] , apporte à cet égard des indications intéressantes : quatre ans après leur entrée au collège, 18 % des adolescents déclarent qu’il leur arrive de suivre la ligne avec le doigt, 37 % de lire tout haut, et 55 % de relire plusieurs fois la même phrase. Cela les ralentit considérablement. Or, la vitesse de lecture est une condition du passage de la lecture de magazines à celle des livres. Comme en course à pied, seuls l’entraînement, la pratique régulière permettent de l’améliorer : c’est en lisant des livres courts, « faciles », qui rencontrent leurs préoccupations (case 1 du tableau), que les élèves parviendront à une vitesse de lecture suffisante pour envisager des ouvrages plus complexes.
– Le problème de la longueur est lié aussi à celui de la mémorisation, qui handicape la compréhension. Or, comment savoir que retenir ? En anticipant, c’est-à-dire en faisant des hypothèses sur ce qui va être important pour la suite… Dans son ouvrage Ces héros qui font lire, L. Decreau [[Hachette Éducation, 1994]] a bien montré l’intérêt pédagogique des séries de romans policiers qui ont marqué la jeunesse de bon nombre de professeurs de français (Fantômette, Club des cinq, Clan des Sept…). Le caractère stéréotypé de ces ouvrages permet au jeune lecteur de prédire facilement la suite de l’intrigue ou l’attitude d’un personnage ; le fait d’être conforté dans son hypothèse le gratifie et l’encourage à continuer : il découvre ainsi le plaisir de lire… Ce n’est qu’une fois plus aguerri qu’il goûtera le plaisir d’être surpris dans ces attentes de lecture… Là encore, l’entraînement (case 1) est à favoriser, mais aussi l’analyse : comprendre comment cela fonctionne lorsque c’est facile (case 2), pour envisager ensuite un exemple plus subtil (case 3) ; on peut ensuite demander aux élèves de rédiger la suite d’un extrait du texte littéraire que l’on veut leur faire lire : faire écrire pour faire lire ; la lecture répondra ainsi à une attente.
– Les problèmes de compréhension littérale peuvent être traités avec la même stratégie : si la lecture permet d’accroître son vocabulaire, c’est surtout par la compétence qu’elle développe à inférer le sens d’un mot d’après le contexte ; or, si cette opération est facile lorsqu’elle concerne un mot par page (case 1), elle devient impossible lorsqu’il s’agit d’un mot par ligne (case 4)… Afin de ne pas renforcer les inégalités face au lexique, on aura tout intérêt lors des explications de textes (case 2 et 3) à expliciter ou à faire expliciter les stratégies mises en œuvre : formation des mots, référence aux champs lexicaux… Il en va de même avec les substituts des noms ; l’évaluation de début de 6e a bien montré comment certains élèves rechignaient à voir dans « le couteau » et « sa trouvaille » le même référent, tout simplement parce que les deux termes ne sont pas de même genre… L’exemple de cette petite fille, surnommée « le petit chaperon rouge » et qui est désignée tantôt par « elle » tantôt par « il » n’est pas sans poser problème non plus…
– Si les textes littéraires sont plus difficiles d’accès, c’est aussi parce qu’ils font davantage appel à l’implicite. Là encore, la lecture cursive d’un ouvrage de littérature pour la jeunesse peut permettre de construire chez l’élève un référentiel culturel. Des explications de texte seront également nécessaires, ne serait-ce que pour montrer la présence d’un implicite : voulant travailler sur la spécificité du romanesque avec une classe de 2nde, j’ai proposé la lecture comparée de l’article « Rouen » d’un dictionnaire et la scène du fiacre de Madame Bovary : il a vraiment fallu mes questions insistantes pour que mes élèves commencent à percevoir l’implicite derrière la description de Rouen…
D’une manière générale, la lecture cursive de littérature pour la jeunesse permet de développer spontanément des compétences de lecture, qu’elles soient physiques (habileté visuelle à distinguer rapidement les mots, empan visuel, perception de la mise en page…) ou intellectuelles (comprendre le déroulement logique et chronologique d’un texte, mettre en relation des éléments plus ou moins éloignés du texte, mettre en relation des éléments du texte avec son univers référentiel de lecteur, anticiper, formuler des hypothèses et écarter celles qui se révèlent non pertinentes, garder en mémoire les informations du texte jusqu’à lecture complète…) ; le travail d’explication de textes, en ce qu’il consiste à interroger des impressions de lecture [[« La lecture analytique (ou méthodique) invite les élèves « à formuler des hypothèses que l’étude du texte permet d’infirmer ou de confirmer, dans un processus de construction du sens. », Accompagnement des programmes du cycle central, p. 17]] , invite à expliciter les procédures ou stratégies mises en œuvre, et par là même à les rendre plus efficaces, et à distinguer ce qui est transposable de ce qui est spécifique : l’apprenti-lecteur peut ainsi prendre conscience de la manière dont il construit le sens d’un texte, et accéder ainsi au plaisir de découvrir comment le texte fonctionne et pourquoi il l’émeut ; le texte prévisible, explicite, perdra alors sans doute de l’intérêt à ses yeux, au profit d’un texte qui « résiste » davantage, mais dont il sait désormais « qu’il peut en tirer des voluptés plus grandes encore [que celles dues aux seules histoires] et des secrets bien gardés » [[Jérôme GARCIN, La chute de cheval, Folio, 2000, p. 13.]] Guidé d’abord, puis de manière autonome, il pourra se lancer dans la lecture des chefs d’œuvre de la littérature… [[Si, par commodité de présentation, nous avons adopté des numéros et des adverbes de temps laissant à penser que ces étapes étaient successives, nous tenons à préciser qu’il ne s’agit aucunement de réserver la littérature pour la jeunesse à la classe de 6e et les œuvres littéraires à la 3e ; il s’agit davantage d’une progression logique que l’on peut retrouver de manière spiralaire dans chaque séquence didactique ou presque…]]
Sophie Savage, Professeur de français en collège et en lycée, Formatrice associée à l’IUFM de Créteil.
Une année de lecture en ZEP
Dans le dossier N° 420 de janvier 2004, Sophie Savage décrit la manière dont elle a organisé l’enseignement du français en classe de 5°. Comment en particulier, les faire lire ?
Voici la liste des ouvrages dont elle a recommandé la lecture à ses élèves.
Séquences | Lectures cursives (Tous les titres sont au CDI, la plupart en plusieurs exemplaires) | Études d’œuvres complètes | Études d’œuvres abordées par le biais d’extraits significatifs (Extraits du manuel ou photocopies) |
1 Faire connaissance pour travailler ensemble | Au choix : – BEGAG A, Le Gône du Chaaba – CAMARA LAYE, L’Enfant noir – DAHL R., Moi Boy – DAKIA, Dakia fille d’Alger – DAUDET A, Le Petit Chose – MAUFFRET Y, Une amitié bleu outremer – PAGNOL Marcel, La Gloire de mon Père | ||
2 S’informer sur les Droits de l’Enfant | Au choix : – BENAMEUR J. : Pourquoi pas moi – BYARS B. : Balles de flipper – DEBORDES J. : Akmal et Djami sur les routes d’Asie centrale – HELGERSON M-C. : Claudine de Lyon JACQUES P. : Samia la rebelle – KOUROUMA A. : Yacouba chasseur africain – MANKELL H. : Le Secret du feu – MAZARD C. : Le Redoublant – PENNAC D. : L’œil du loup – WINTREBERT J. : Le Vin de la colère | Convention internationale des Droits de l’Enfant Tahar Ben Jelloun : | |
3 Étudier un roman pour y ajouter un épisode | Jules Renard : Poil de Carotte (Série du CDI) | ||
Préparer et prolonger la visite du Salon du Livre de Jeunesse | Au choix : Un des livres présentés au CDI ayant un rapport avec le monde arabe : auteur, lieu, personnages… | Sarah Cohen-Scali : Mauvais Sangs Étude de la première et de la quatrième de couverture et d’une nouvelle : « The End » | |
4 Découvrir un type culturel du Moyen Age : le chevalier | Au choix : – BRISOU-PELLEN E : L’Inconnu du donjon – HELGERSON M-C : Dans l’officine de Maître Arnaud – MIRANDE J : Contes et légendes du Moyen-Age – Double meurtre à l’abbaye – MORPUGO M. : Le Roi Arthur – NOGUES JC : Le Faucon déniché – Le Vœu du Paon – POUCHIN M. : Meurtres à la cathédrale, – SOLET B. : Jehan de loin – SURGET A : Le Renard de Morlange – TOURNIER M. : La Couleuvrine | Chrétien de Troyes : Yvain, chevalier au lion (Achat par les familles : 3 euros) | |
5 Lire des récits de voyage : décrire l’ailleurs, découvrir l’Autre |
– R. BOUDET : Objectif Terre ! – M. de HALLEUX : L’Inconnu du Pacifique – D. MARTINIGOL : Les Oubliés de Vulcain – M. MORPUGO : Le Royaume de Kensuké – M. PIQUEMAL : Le Pionnier du Nouveau Monde – M. TOURNIER : Vendredi ou la vie sauvage – J. VERNE : Le Tour du Monde en 80 jours | Marco Polo : Les Merveilles de l’Orient (Extraits) | |
6 Se familiariser avec le genre théâtral : autour des Fourberies de Scapin |
– A la poursuite d’Olympe, A. JAY – Complot à Versailles, A. JAY – Le Secret du maître luthier, P. FAVARO – Meurtre au palais royal, M. PINEAU – Louison et M. Molière, MC HELGERSON – La Jeunesse de Molière, P. LEPERE – Dossier Okapi sur Molière | Molière : Les Fourberies de Scapin (Achat par les familles) | |
7 Étudier la dérision à travers la satire et la parodie | Le Roman de Renart (Extraits) (Série du CDI) J. de La Fontaine : Fables (une dizaine) |