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La fabrique des croyances chez l’enfant
Un ouvrage précieux, bien structuré, rempli d’exemples très parlants, sur un sujet essentiel aujourd’hui, à l’heure des « vérités alternatives », des emprises religieuses ou sectaires sur certains individus, de la remise en cause de la science et des savoirs institués.
L’auteur, professeur à l’Institue des sciences de la communication et de la cognition de l’Université de Neuchâtel, nous propose une exploration de la notion très plurielle de « croyance » : de quoi sont faites les croyances, d’où viennent-elles, comment se « fabriquent »-elles ?
Rien de dogmatique ni de fermé dans une approche qui se réclame de Piaget, mais s’ouvre à la sociologie, à la philosophie ou à l’anthropologie, car déclarant « partir de l’idée que chaque partie comporte une part de vérité ». Pour l’auteur, il s’agit de « comprendre pourquoi certaines représentations prennent mieux que d’autres au sein des collectifs humains » et font que l’on « croit » ou non. Et même si les mécanismes socio-culturels sont à l’œuvre dès le plus jeune âge et restent essentiels, ils s’inscrivent cependant dans un cadre « naturaliste », tout cela s’appuyant sur des nombreuses recherches faites sur les enfants notamment, mais aussi chez les animaux. On découvrira dans le livre maint récits d’expériences faites avec les bébés ou les jeunes enfants qui sont pleine d’enseignements…et de saveur.
Si on doit définir l’idée de croyance, on peut énoncer qu’il s’agit d’une représentation qu’on tient pour vrai. Ces croyances peuvent être « réflexives », liées à un raisonnement ou reposant davantage sur un « sentiment », très utile dans la vie quotidienne.
Les croyances peuvent être bien sûr collectives. Elles peuvent être transmises et avoir une force telle qu’elles défient la raison et font passer le symbolique pour plus « vrai » que la réalité perçue.
Dans la seconde partie du livre, l’auteur analyse la genèse des croyances à partir de « théories naïves » qui « forment le cœur de notre système cognitif effectué de manière automatique et transmis de génération en génération ». Et l’on peut distinguer des théories naïves de la biologie, de la physique, de la psychologie ou encore de la morale. Dans ce dernier cas par exemple, quelque chose qui nous fait distinguer le juste de l’injuste, au-delà des différences d’une culture à l’autre. Il existerait des « attentes naturelles » propres à tous les humains. Ces attentes se conjuguent avec celles liées à la socialisation qui, sans mise à distance, conduisent au conformisme et à la reproduction de préjugés et de comportements stéréotypés.
Quand il y a « représentation de la représentation », attitude « méta », on entre dans les croyances réflexives. La croyance va reposer sur les sens (« croire, c’est voir ») ou sur la confiance envers une autorité qui va jusqu’à transformer la croyance en certitude. Au fond, celui qu’on appelle un « croyant » ne peut-il pas penser que le postulat selon lequel Dieu existe est une vérité et non une croyance. Ceci dit, le sens du mot croyance n’est pas le même selon qu’il s’agit d’affirmer que les bactéries ou les vitamines existent (car cela est attesté par de nombreuses « autorités ») ou d’évoquer des entités « équivoques » comme les fantômes ou les miracles.
La troisième partie aborde un sujet traité par de nombreuses publications : comment se fabriquent les croyances, y compris les plus aberrantes. Il est question des fameux « biais cognitifs » qui perturbent notre raisonnement et nous font penser que Linda a plus de chances d’être une militante féministe que bibliothécaire et féministe (un exemple célèbre de « piège »). Sont évoqués les divers « filtres » qui nous font percevoir la réalité d’une certaine façon : filtres émotionnels ou sociaux
Au passage, une question troublante est posée : peut-on se mentir à soi-même ? autrement dit « se laisser aller à croire », comme le renard de la fable qui se persuade qu’au fond, il n’avait pas vraiment envie de ces raisins qu’il n’arrive pas à atteindre. Et après tout, n’est-ce pas parfois une nécessité sociale pour coopérer avec autrui ? On favorise alors des représentations moins fiables, mais plus facilement assimilables au sien d’un groupe.
Ces « filtres » sont étudiés à travers trois cas : la croyance au père Noël (mais au final, elle reste mystérieuse quand tout pourtant montre à l’enfant qu’il n’existe pas !), le drame du suicide collectif d’une secte américaine (exemple limite, bien sûr, mais révélateur de ce que peut être ce type d’embrigadement )et les choix politiques très conservateurs des électeurs de Louisiane, malgré les bonnes raisons qui les conduiraient à d’autres votes (mais leur choix n’est pas social ou économique).
L’auteur conclut sur l’importance du « récit » et nous invite à nous demander « pourquoi certains récits vont « prendre » avec certains individus alors que d’autres personnes y resteront imperméables ».
S’il est peu question d’école dans ce livre, celui-ci est cependant plein d’enseignements pour qui veut agir pour faire s’approprier des savoirs solides , pour aider les élèves à prendre de la distance avec leurs croyances, tout en comprenant « les bonnes raisons qu’ils ont de croire » et pour bâtir avec eux des récits qui ne mènent pas au complotisme ou au pur individualisme où on écrase les autres. Et se dire à la fin qu’il n’est pas si simple de distinguer « croire » et « savoir »…