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La diffusion des croyances populaires. Le cas de l’effet Mozart

Écouter Mozart dans sa toute prime enfance, et mieux quand on est encore dans le ventre de sa mère, rend intelligent !
Voilà le genre d’information relayée à un certain moment, aux États-Unis, surtout par des médias grand public. Ce qui est au départ n’était qu’un résultat de recherche très provisoire, au champ beaucoup plus circonscrit (avoir écouté une sonate de Mozart, pour des étudiants, produisait un effet léger sur des performances liées à l’intelligence spatiale, sans que cela soit forcément durable) s’est répandu avec de multiples déformations, avant de retomber (l’effet Mozart est aujourd’hui largement remis en cause). Mais ce qui est intéressant est bien d’analyser pourquoi ça a marché, à quelles demandes et surtout à quelles angoisses du corps social cela a répondu.
Cette histoire en rejoint bien d’autres, qu’on pourrait regrouper sous le nom de « croyances populaires » en distinguant les légendes urbaines, les rumeurs, les mythologies modernes, et tout ce qui est en lien avec les théories du complot (les Américains n’ont jamais marché sur la Lune et le bien connu : il n’y a pas eu d’avion écrasé sur le Pentagone), le tout étant analysé avec finesse et rigueur dans cet ouvrage d’un chercheur suisse, psychologue du travail à Neuchâtel, et de façon très lisible et attrayante, ce qui ne gâte rien.
Pourquoi une chronique sur ce livre apparemment éloigné des préoccupations scolaires ? Eh bien, il nous paraît essentiel à l’heure d’Internet notamment d’être mieux outillé sur ces questions. Ne voyons-nous pas se diffuser des croyances ne reposant sur aucune étude sérieuse : la plupart des élèves entrant au collège ne sauraient plus lire, les professeurs ne sanctionneraient pas les élèves incorrects, de dangereux « pédagogistes » enseigneraient le rap plutôt que Molière ? D’autre part, il existe bien des emballements à partir d’études plus ou moins rigoureuses, mais qu’on déforme, en abandonnant toute prudence méthodologique. L’auteur du livre évoque d’ailleurs le cas des « deux cerveaux » où on utilise abusivement les recherches cognitives sur les deux hémisphères. N’oublions pas non plus la manipulation des chiffres de divers sondages et pour prendre un exemple, on a vu il y a peu une lecture fausse d’un chiffre tiré d’une étude pour l’Afev indiquant que près de la moitié des élèves allait à l’école la peur au ventre alors qu’il ne s’agissait que la moitié des élèves bénéficiant d’un accompagnement particulier d’étudiants de cette (sympathique) association. La lutte pour la rigueur, pour l’objectivité est un combat permanent, difficile à l’ère médiatique. Mais aider les élèves à acquérir l’esprit critique, s’il s’agit bien d’un des objectifs du socle commun ne semble pas vraiment au centre de nos responsables au plus haut niveau qui d’ailleurs ne dédaignent pas la « diffusion de croyances populaires ».

Jean-Michel Zakhartchouk