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La crise environnementale n’aura pas lieu

Mathieu Farina, Belin, 2024

Le titre, où sur la couverture « n’ » et « pas » sont coloriés différemment, fait allusion à la célèbre pièce de Giraudoux (La guerre de Troie…) et ce n’est pas forcément réjouissant, puisque, malgré les efforts des protagonistes, cette guerre a bien lieu à la fin. Mais peut-être dans notre contexte environnemental si menacé, Cassandre sera-t-elle un peu plus écoutée et qu’on pourra « changer l’avenir » (sous-titre du livre) ?

Il n’est question directement d’éducation que dans la dernière partie du livre, où l’auteur interpelle l’école et ce qui l’entoure : « le monde de l’éducation estime peut-être qu’il n’est pas tout à fait de son devoir d’assurer la promotion des comportements pro-environnementaux, mais notre société a-t-elle de meilleures options à sa disposition ? ». Mais, et cela justifie sa recension ici même, tout le livre peut être conçu comme un ensemble de données et de réflexions qui sont autant de moyens pour les enseignants de s’informer de manière approfondie sur la complexité des questions en jeu, et en particulier concernant la défense de la biodiversité. Et cela correspond bien à la mission qu’accomplit Mathieu Farina au sein de La Main à la pâte : diffuser des connaissances, proposer des manières de faire qui impliquent les enfants et qui soient efficaces.

Tout le long du livre, on découvre combien il est important de dépasser le simplisme et de combattre les idées reçues ou toutes faites dès qu’on évoque la biodiversité.

Je retiens quelques points forts, qui s’appuient sur une documentation solide et de nombreux travaux de recherches (45 pages de notes bibliographiques !) qui bousculent les certitudes et n’éludent pas les contradictions et les tensions existantes.

Un « effondrement » des espèces a bien lieu, sur un temps long, mais qui s’accélère. Mais attention de ne pas focaliser sur les vertébrés et les espèces « sympathiques » (le cas de l’ours polaire est étudié en détail, on connait tous l’image symbolique de l’animal esseulé sur une banquise qui va fondre). « L’érosion biologique est un phénomène global : la disparition des oiseaux révèle celle des insectes qui elle-même trahit un dérèglement de nombreux écosystèmes. »

L’auteur qui a travaillé dans un précédent ouvrage sur la nécessaire confiance dans la science, condition du développement de l’esprit critique, nous propose donc de « comprendre les rouages du déclin pour pouvoir agir » tout en précisant bien que les scientifiques ne peuvent pas et ne doivent pas aller au-delà d’une description du réel et devenir des prescripteurs. Les débats entre chercheurs, les hypothèses avancées pour expliquer tel ou tel phénomène et parfois démenties ou du moins contestées, sont présents tout le long du livre et peuvent inspirer les pédagogues, selon le niveau d’enseignement sans doute. L’empathie pour certaines espèces, les considérations morales peuvent constituer des biais et entrainer des effets pervers. L’étude du cas de la condamnation de la « chasse au trophée » des grands fauves en Afrique surprend et nous présente une réalité très contre-intuitive, où il faut prendre en considération les ravages dont ils sont responsables et donc savoir se placer aussi du point de vue des populations locales. D’ailleurs, Mathieu Farina reprend les reproches qu’on fait aujourd’hui à un certain « colonialisme vert » (voir les travaux d’un Guillaume Blanc). Il combat également l’idée d’une « bonne Nature » qui aurait été abimée par les méchants occidentaux, montrant bien que cette Nature a été façonnée par les hommes depuis très longtemps.

Loin des « y a qu’à », l’auteur fait l’éloge de la « tempérance » et des compromis nécessaires afin de relever « le défi d’une collaboration vertueuse et durable avec le vivant ». Et bien sûr, cela ne peut résulter de simples comportements individuels, mais doit être une œuvre collective, impulsée par des « rêveurs ambitieux mais pragmatiques, riches de normes solidaires et de connaissances éclairées, […] soucieux de faire vivre les intérêts des plus démunis et des plus silencieux ». Il serait bon que les enseignants fassent partie de ces artisans d’un futur qui ne soit pas désespérant.

Jean-Michel Zakhartchouk