Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

La construction de protocole expérimental : objet et moyen d’apprentissage

Le protocole expérimental reste un objet problématique dans le cadre de l’enseignement. Il est rarement considéré en tant qu’objet d’apprentissage ; on peut d’ailleurs remarquer que l’on ne trouve pas de savoir de référence qui en proposerait une définition[[Voici la définition que nous proposons : un protocole expérimental est un objet qui décrit une expérimentation. Il définit, selon une organisation temporelle et/ou logique, la liste des tâches expérimentales à exécuter. Chaque tâche est caractérisée par un objectif, une procédure et un ensemble de paramètres dont les valeurs doivent être fixées. Le niveau de détail de description du protocole est lié au niveau de connaissance de la personne qui l’exécute.]]. Lors des travaux pratiques, le protocole est généralement transmis à l’élève qui exécute alors la manipulation. Dans un tel cadre, des études ont montré que le sens de l’activité expérimentale échappe bien souvent à l’élève. Ce dernier exécute la manipulation en atomisant le protocole en actions élémentaires, son « cadre de lecture » se déplaçant d’action en action. Cette stratégie (par ailleurs gagnante vis-à-vis de l’exécution de la manipulation) ne lui permet pas d’appréhender la cohérence qui existe dans l’enchaînement des actions du protocole, en lien avec le problème à résoudre et avec les concepts théoriques justifiant le protocole. Ceci rejoint notre expérience quotidienne en travaux pratiques lorsqu’à la question « Pourquoi fais-tu cela ? », un élève répond : « Parce que c’est indiqué dans la fiche ! ». S’il y a construction de sens lors des travaux pratiques, cela est souvent effectué après la phase d’expérimentation, au moment du traitement des résultats et de la rédaction du compte-rendu.

Ce tableau ne dépeint pas toutes les situations de travaux pratiques mises en œuvre dans les classes. Mais on peut se demander si certaines démarches, telle la démarche d’investigation, changent cet état de fait. C’est en partie le cas, puisque l’élève doit être actif en amont de l’expérimentation, ce qui le force à mobiliser des modèles scientifiques pouvant l’aider à comprendre le sens des actions expérimentales. Cependant, dans la plupart des cas, le travail effectué par les élèves se fait principalement au niveau de la compréhension du problème et de la proposition d’hypothèses en réponse au problème ; le protocole est fourni, ou construit en groupe avec/par l’enseignant. L’élève saura alors dans quel but il fait l’expérimentation mais la phase de manipulation expérimentale gardera un caractère uniquement opératoire, ce qui ne favorisera pas la construction de sens pour lui.

Faire construire des protocoles

Notre équipe de recherche travaille sur l’idée que le protocole expérimental peut être construit – au moins en partie – par l’élève avant la phase de manipulation. Nous pensons que cette activité, parmi toutes les activités effectuées au cours d’un travail d’investigation, est celle qui nécessite le plus fortement de mettre en relation le monde des théories et modèles avec le monde des objets et des phénomènes, ce qui est un des buts affichés des travaux expérimentaux. Pour construire un protocole il faut s’appuyer sur la connaissance (1) du problème scientifique à résoudre, (2) des hypothèses formulées en réponse à ce problème à partir de la mise en œuvre de modèles scientifiques pertinents, (3) des conditions matérielles dans lesquelles s’inscrit la manipulation expérimentale et (4) du niveau de détail requis pour l’écriture du protocole. Cette activité est donc centrale dans la démarche expérimentale. Elle est pourtant peu étudiée en tant que telle dans le domaine de la didactique.

La tâche de construction de protocole fait partie de la famille des tâches de design, en ce sens qu’elle produit un objet (le protocole) qui décrit un autre objet (l’expérimentation). Sa complexité pour l’élève provient essentiellement des caractéristiques que possèdent les tâches de design :
– Création : il n’y a pas d’algorithme prédéterminé pour mener à bien la tâche.
– Anticipation : l’objet produit par la tâche de design n’est pas l’objet final mais une représentation de l’objet final. Il est donc nécessaire de s’assurer :

  • de l’utilisation d’un format de représentation adapté (le protocole),
  • du respect des fonctionnalités de l’objet final (l’expérimentation), sans que l’objet produit (le protocole) ne fournisse de rétroaction immédiate au concepteur.

Afin de caractériser de façon plus précise la tâche de construction de protocole, nous avons conduit une étude avec des élèves de terminale scientifique. Nous leur avons proposé quatre séances de travaux pratiques en géologie, biologie, physique et chimie, adaptées à partir de travaux pratiques existants afin d’inclure une tâche de construction de protocole. Pour chacune de ces séances, nous avons effectué le travail de modification suivant :
– découpage du protocole en actions expérimentales (sous la forme d’un arbre de tâches),
– analyse des savoirs nécessaires à la conception de ces actions,
– identification des actions dont la conception met en jeu des savoirs cibles pour l’apprentissage,
– analyse de la difficulté de la tâche de conception pour chaque action du protocole,
– en fonction des deux points précédents, choix des actions dont la conception est à la charge de l’enseignant (actions indiquées sur la fiche TP) ou à la charge de l’élève,
– choix des éléments d’aide mis à la disposition de l’élève et qui seront sources de rétroactions sur l’activité de conception (ressources et matériels, aides sous certaines conditions, situations de communication entre élèves…).

L’idée n’est donc pas de faire intégralement construire le protocole aux élèves, mais de laisser à leur charge uniquement les parties qui leur sont accessibles et/ou qui sont les plus importantes en termes d’apprentissage.
Après analyse de leur activité, nous proposons une liste des principaux points de difficulté rencontrés par les élèves lors de la tâche de construction de protocole :
– Imaginer la structure générale de l’expérimentation à partir des modèles scientifiques mobilisés, de leurs représentations personnelles du matériel à utiliser, de leurs connaissances sur les stratégies d’expérimentation.
– Prendre en charge la multitude des paramètres décrivant l’expérimentation.
– Écrire le protocole en utilisant un format de représentation adapté.
– Évaluer le protocole produit.

Dans la liste ci-dessus, une des difficultés majeures est l’évaluation du protocole produit. En effet, l’expérimentation étant exécutée ultérieurement, cela prive l’élève de sa principale source de rétroactions : les données expérimentales obtenues. Nous avons donc proposé une liste de critères afin que l’élève puisse évaluer sa production. Cette évaluation se fait à deux niveaux : évaluation du protocole en tant qu’objet de représentation et évaluation de l’expérimentation décrite par le protocole (aspect fonctionnel) :

Évaluation du protocole d’expérimentation en tant qu’objet de représentation :
– Le protocole est exécutable : les paramètres des actions sont définis, le protocole est structuré et il respecte les contraintes matérielles et temporelles du TP.
– Le protocole est communicable : il est adapté au niveau de l’exécutant, il prend une forme facilement lisible, et il contient les types d’information adaptés.
Evaluation de l’expérimentation décrite par le protocole :
– L’expérimentation est pertinente : elle permet de répondre à la question posée.
– La réponse à la question est fiable : l’exactitude des résultats obtenus (justesse & reproductibilité) est contrôlée.

Des logiciels pour aider les élèves

Les expériences que nous avons menées en classe montrent que la tâche de construction de protocole est une tâche difficile pour les élèves mais qu’elle les amène à interroger le sens de leur activité expérimentale. Une aide logicielle peut être apportée pour rendre ce type de tâche plus accessible. Il existe un premier prototype fonctionnel conçu par notre équipe : Copex-chimie (accessible librement sur http://copex-chimie.imag.fr). Ce logiciel est utilisé depuis deux ans dans le cadre d’un module de Licence 1 à Grenoble. Il propose aux étudiants de déterminer par spectrophotométrie, la concentration du colorant contenu dans un sirop de grenadine[[La spectrophotométrie est une technique qui consiste à mesurer la perte d’énergie d’un faisceau lumineux traversant une substance. A partir de cette mesure on peut déterminer certaines caractéristiques de la substance, comme, par exemple, la concentration d’une espèce en solution.]]. Plusieurs aides sont fournies par le logiciel au niveau des différents points de difficultés évoqués précédemment.

Afin d’aider les élèves à imaginer la structure générale de l’expérimentation, Copex-chimie fournit la liste des actions pouvant être effectuées à partir du matériel fourni. Par exemple, parce qu’il dispose d’un spectrophotomètre, l’élève peut inclure trois types d’actions dans son protocole : enregistrer le spectre de référence, réaliser un spectre et mesurer une absorbance.

Le choix des paramètres décrivant l’expérimentation n’est plus à la charge de l’élève, il est imposé par le format des actions du protocole. En effet, les actions sont décrites dans le logiciel avec un certain nombre de paramètres et seul le choix des valeurs de ces paramètres est à la charge de l’élève. Par exemple, si l’élève choisit de faire une mesure d’absorbance, il doit obligatoirement spécifier deux paramètres : solution à mesurer et longueur d’onde de mesure.

La tâche d’écriture qui pose problème aux élèves est, elle aussi, grandement simplifiée. Ainsi, lorsqu’une action est sélectionnée et paramétrée par l’élève, une phrase descriptive est automatiquement ajoutée au protocole sans que l’élève n’ait à se préoccuper de sa formulation. De plus, la modification du protocole se fait beaucoup plus aisément avec le logiciel qu’en papier-crayon, et notamment lorsque l’élève souhaite déplacer ou ajouter des actions à l’intérieur du protocole.

La dernière aide apportée par le logiciel se situe au niveau de l’évaluation des productions. Dans Copex-chimie, l’élève a deux moyens d’obtenir un retour sur le protocole qu’il a défini. Tout d’abord, un tuteur artificiel évalue le protocole à partir d’une liste de 57 erreurs classiques. Un second type de rétroaction est donné par un simulateur de spectrophotomètre qui fournit à l’élève les résultats pouvant être obtenus à partir du protocole spécifié.

Par rapport aux critères d’évaluation proposés au paragraphe précédent, Copex-chimie, de par la structure qu’il impose, prend en charge ce qui est du domaine de la représentation du protocole. Il reste donc à l’élève la charge de vérifier que son protocole décrit une expérimentation pertinente et que les résultats obtenus sont exacts. Pour cela, il est aidé par les deux outils d’évaluation qui lui sont proposés.

L’objectif de notre équipe est maintenant de proposer un nouveau logiciel, Copex, qui prenne en charge l’édition de tout protocole de sciences expérimentales (physique, chimie, biologie et géologie). Par rapport au prototype présenté, il comportera donc un outil enseignant afin de pouvoir définir l’environnement d’édition du protocole (question initiale, matériel disponible, actions constitutives du protocole). Une nouvelle fonctionnalité sera ajoutée : la possibilité de construire les protocoles de façon collaborative. En effet, une des caractéristiques du protocole, à la différence d’une expérimentation, c’est qu’il peut être partagé. Les résultats que nous avons obtenus lors de nos études en classe montrent l’importance de ce partage entre élèves, au niveau de l’écriture et de l’évaluation des protocoles. Il sera donc très intéressant que ce futur logiciel fournisse une interface de travail collaboratif.

Cédric d’Ham, Maître de conférences Environnement Informatique pour l’Apprentissage Humain LIG – Université de Grenoble.