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La constante toujours macabre

Le 21 janvier 2010, nous avons eu le plaisir d’entendre André Antibi, professeur à l’université Paul Sabatier de Toulouse et auteur du livre La constante macabre (éd. Math’aurore, 2003). Il intervenait, avec d’autres invités, à l’occasion d’une formation programmée dans le cadre du centenaire du Centre d’enseignement Notre-Dame des Champs et organisée en partenariat avec l’Institut de coaching scolaire de Bruxelles.
Lors de sa conférence suivie par une centaine d’enseignants, ce docteur en mathématiques et en sciences de l’éducation a d’abord démonté les mécanismes de ce qu’il appelle la « constante macabre » : sous la pression de la société, des parents, dans l’idée souvent de rester crédibles, les professeurs se sentent plus ou moins consciemment obligés de mettre une proportion constante de mauvaises notes indépendamment de la réussite effective des élèves. Ce qui fait qu’on retrouve dans toutes les classes, bon an mal an, un tiers de « bons » élèves, un tiers de « moyens » et un dernier tiers de « mauvais ». Pendant plus de vingt ans, André Antibi lui-même était persuadé d’avoir donné un bon sujet d’examen lorsque la moyenne de sa classe tournait autour de 10/20, c’est-à-dire avec une moitié d’élèves en échec. Nous sommes encore trop souvent, a martelé l’orateur, dans une logique de classement et de sélection, alors que notre rôle d’enseignants est de former. Tout élève qui a compris, étudié et intégré un cours doit normalement réussir les tests et les examens. Or les professeurs – par tradition, fidélité à la courbe de Gauss, préjugés, etc. — perpétuent ce dysfonctionnement qui pourrit le système éducatif. La plupart des enseignants reconnaissent d’ailleurs le phénomène et veulent que ça change. Mais cela ne sera possible qu’avec l’aide des parents et des élèves qui doivent accepter qu’une évaluation crédible ne génère pas ce tiers d’échecs artificiels.
C’est pourquoi André Antibi a fait de cette lutte contre cette constante macabre un combat permanent et un engagement militant[[Le mouvement contre la constante macabre (MCLCM) est soutenu par trente-sept associations, dont Les Cahiers pédagogiques, et est reconnu par le ministère de l’Éducation nationale depuis mars 2009. Plus d’infos : http://mclcm.free.fr/.]].

Comment en sortir ?

Ne pas piéger les élèves, accepter la transparence et instaurer un climat de confiance, tels sont les grands principes du système évaluation par contrat de confiance (EPCC) proposé par le conférencier. Cette procédure, qui ne prétend pas être révolutionnaire, consiste à donner aux élèves une semaine à l’avance une liste de questions parmi lesquelles l’enseignant puisera celles de l’examen. Avec l’aide du professeur, les élèves répondent à ces questions et peuvent demander toutes les explications qu’ils veulent. Les 4/5e de l’examen porteront alors sur une douzaine de questions que les élèves auront déjà corrigées en classe. Les élèves savent d’emblée que s’ils travaillent ces sujets, ils réussiront. L’avantage de ce système est de limiter l’échec injuste, celui qui engendre précisément une perte de confiance en soi. Les élèves, remis en confiance, travaillent beaucoup plus. Les premières expérimentations françaises font apparaitre très clairement les points suivants : la constante macabre est supprimée, les échecs artificiels disparaissent, les élèves font leur révision, ils reprennent confiance en eux, les moyennes de classe augmentent de deux à trois points et les élèves qui n’obtiennent toujours pas de bons résultats sont mis devant leur propre responsabilité (manque de travail, poids des lacunes antérieures, etc.).

De nombreuses questions dans le débat

Beaucoup d’interrogations ont porté sur la compatibilité du système EPCC avec une approche par compétences inscrite dans les programmes officiels belges. Si on voit bien l’intérêt de l’EPCC pour des sujets délimités (exercices sur un chapitre, orthographe, vocabulaire, etc.), cela devient plus délicat pour des questions sur des compétences qui demandent une mobilisation des savoirs pour faire face à des situations plus ou moins inédites, avec manipulation de documents par exemple. Une autre question intéressante concernait la progression des apprentissages et la façon dont le système en tient compte.
André Antibi a consacré du temps à chacun et répondu avec un enthousiasme communicatif à toutes les questions. On retiendra que ce qu’il préconise a l’avantage de braquer le projecteur sur les élèves, de les faire travailler, de leur donner des méthodes de travail en classe et de leur redonner confiance en eux, ce qui est un élément moteur pour grandir. Quant aux enseignants, ils retiendront peut-être que si la réussite dépend de nombreux paramètres il en existe certains qui dépendent d’eux, de ce qu’ils mettent réellement en place au cœur de la classe pour faire réussir un maximum d’élève. Parmi ces dispositifs, l’évaluation doit devenir un levier pour aider les élèves en difficulté à réussir, et non un moyen de les sélectionner.
En théorisant tout cela, le professeur Antibi a donné du sens et une cohérence à un ensemble de pratiques visant à lutter contre l’échec scolaire qui était la thématique de l’ensemble de cette journée de formation.

Xavier Dejemeppe
Enseignant en lycée et formateur