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L’instruction en famille. Une liberté qui inquiète.

École obligatoire, obligation scolaire, combien d’expressions impropres sont utilisées par les personnels politiques et les administrations de notre pays ? C’est, à juste titre, par une étude de ces inexactitudes que commence le livre rédigé par Michèle Guigue et Rébecca Sirmons avec les contributions de Laetitia Branciard et Aleksandra Pawlowska. Elles rappellent que l’article 4 de la loi Ferry n’instaure que l’instruction primaire obligatoire et que la décision de la forme et du lieu appartient de nos jours à « l’autorité parentale ». C’est même par un retournement assez inattendu que cette obligation va s’inscrire dans les droits de l’enfant qui peut être instruit dans une école publique, privée ou par toute personne désignée par cette autorité qui a remplacé en 1985 celle du « père de famille » (1882).

Dès lors, surgit une autre question bien plus difficile à traiter : comment contrôler cette instruction qui échappe à l’État ? Voire même, est-il légitime de le faire ? Philippe Meirieu avait détecté cette menace pour l’école de la république dans le livre de 1987, co-rédigé avec Philippe Guiraud, où il proposait de faire de l’école obligatoire la solution alternative à la guerre civile. Il voulait en finir avec l’hypocrisie d’une instruction obligatoire réalisée sans moyen de contrôle indiscutable et indiscuté. Il s’agissait déjà de penser l’éducation à la citoyenneté en réunissant l’ensemble des élèves dans une même école.

À l’inverse, l’enfant roi et la famille cellule suprême de la vie en société fournissent-ils une alternative crédible à l’école rationnelle inventée par les frères des écoles chrétiennes et perfectionnée par un siècle et demi de laïcité ? C’est la question que pose L’instruction en famille, une liberté qui inquiète. Son principal mérite est de se fixer une ligne scientifique, là où, trop souvent, les prosélytes du libéralisme éducatif entonnent un double discours de propagande pour l’instruction en famille et de critique outrancière de l’école, publique ou privée ; ainsi, Michèle Guigue établit-elle un état des lieux qui ne montre aucune complaisance à l’égard d’un système qu’il ne faut pas confondre avec le refus d’instruction (le unschooling). On ne retrouve pas toujours ce souci d’éviter les biais chez Rébecca Sirmons qui a bénéficié d’un tel système et qui en a fait le choix pour ses enfants. Le plaidoyer pour la liberté que procurerait l’instruction en famille (mais quelles familles ? le sujet est abordé sans être vraiment traité malgré une omniprésence maternelle dans la conduite des enseignements) se double d’un discours parfois repris sans la distance critique nécessaire. Ainsi, à la page 197 est-il affirmé : « Les parents considèrent que la socialisation scolaire empêche une bonne socialisation, c’est-à-dire confiante et respectueuse ». Or, ce paradoxe n’est pas discuté : il ne serait de bonne socialisation que familiale. Comment comprendre alors le cri d’André Gide : « Familles, je vous hais » ?

Voilà un livre dont le premier intérêt est d’attirer l’attention sur une tendance dont il est urgent de comprendre les tenants et les aboutissants avant qu’elle ne prenne en France la vigueur qu’elle peut avoir aux États-Unis où l’on peut aller jusqu’à un quart d’enfants « scolarisés en famille », si l’expression veut dire quelque chose. Un autre intérêt réside dans la perception d’une école qui ne parvient pas à personnaliser son accompagnement des élèves, ce qui peut aboutir à une décision négative justifiant le retrait des enfants de l’école et leur instruction en famille.

Richard Étienne