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L’inspection pédagogique aux risques de l’évaluation
« Inspecteur, un métier ? Telle est la question que nous ne cessons de poser, depuis longtemps. Et la réponse est assurée : oui, l’inspection est un métier. » Telle est la conclusion (p. 213) à laquelle parvient Jean-Pol Rocquet au terme du passionnant parcours auquel il nous convie dans son dernier ouvrage. Il est significatif qu’il soit le deuxième publié dans la nouvelle collection Évaluer dirigée par l’ami Jean Aubégny. Selon la distinction faite par André de Peretti, l’inspection au sens traditionnel du terme serait de l’ordre du regard, de l’observation et des observations, du contrôle en un mot, tandis que l’audit appartiendrait à la mouvance, au mouvement, à l’accompagnement, à l’entretien pour faire bref. Ce livre montre comment l’on peut passer de l’un à l’autre tout en gardant le même terme générique.
L’auteur qui nous rapporte quelques-unes de ses pratiques sous la forme opportune de récits analysés réussit l’exploit de nous entraîner dans cet univers où l’inspecteur se dépouille de son habit de lumières et de certitudes pour revêtir celui du compagnon, du passeur, de tisseur du lien social. Quelques pointes corporatistes vis-à-vis de ses collègues du secondaire, qui ne sont certes pas meilleurs que ceux du primaire mais sans doute pas pires, auraient pu être émoussées. À l’exception de cette broutille, l’ouvrage se lit avec plaisir tant il est bien écrit, et se délecte à la réflexion car il s’appuie sur une culture de l’éducation qui se met au service d’une expérience nourrie et transmise d’inspecteur et de formateur. Sans que cela prenne la forme d’une déclaration solennelle, le métier est visiblement réinventé au profit du système et de ses acteurs. En effet, l’un des meilleurs historiques de la formation (p. 161-171) que j’aie lu nous permet de comprendre comment le passage de la standardisation des écoles normales à la reconnaissance de la singularité de toute intervention éducative peut se traduire dans cette nouvelle conception du métier d’inspecteur plus aidante que contraignante.
« Qu’est-ce que vous faites donc, vous les inspecteurs ? » Cette question (p. 181), reprise à un inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale, que nous sommes nombreux à nous poser, sert de fil directeur à l’ouvrage : au travail prescrit (l’inspection et le contrôle), Jean-Pol Rocquet préfère l’activité réelle, activité certes chiffrable (son bilan d’une année en heures et en caractères est un délice d’autodérision raisonnable et raisonnée), mais surtout ensemble de petits pas qui permettent d’aller vers une réduction de la fracture sociale. L’irruption d’un père dans la classe d’une enseignante donne lieu à une médiation longuement décrite et détaillée dans ses attendus (p. 137-160), un entretien sur la lecture développe les représentations de cet acte chez un enseignant, une réflexion sur l’enseignement du catalan sert de prélude à une méditation sur le rapport entre les valeurs républicaines et les devoirs du fonctionnaire.
La place manque ici pour évoquer la méthode suivie par l’auteur mais elle repose toujours sur le dialogue et l’écoute. Le sens n’est pas donné, il se construit, selon le principe de Philippe Perrenoud, et c’est le récit oral ou écrit qui permet de le faire émerger. D’où quelques énoncés paradoxaux (p. 204) qui confirment les propos souvent énoncés dans nos colonnes : « Ce qu’il convient de ne jamais oublier en évaluation, c’est qu’elle lie deux personnes (ou plusieurs personnes en animation), ce sont ces sujets qui sont en évaluation, ce ne sont pas les objets. L’évaluation n’a pas la préoccupation de la véracité, elle se développe dans l’imaginaire des fictions. En évaluation, s’il y a une vérité, ce n’est pas la vérité des faits, c’est celle des sujets. » Nous ne sommes pas loin de l’analyse des situations éducatives qui sont entièrement vraies puisqu’elles sont totalement inventées par leur narrateur, à l’instar de la déclaration liminaire de Boris Vian dans l’Écume des jours. L’inspecteur se transforme en médiateur, en gestionnaire de conflits et en accompagnateur de projets.
Encore faut-il qu’il soit formé pour cela et Jean-Pol Rocquet s’efforce d’énoncer quelques principes, que devrait suivre l’École supérieure de l’Éducation nationale (ESEN), en même temps qu’il livre avec précision les références sur lesquelles il s’appuie. Visiblement isolé dans sa pratique du métier et remonté contre les dérives managériales et le pilotage que l’on voudrait imposer à sa corporation, il nous propose une version renouvelée de l’inspection. La priorité n’est plus au seul respect des procédures mais à l’amélioration de l’action et à sa personnalisation dont la trace la plus visible se lit dans les pratiques évaluatives. Cet ouvrage a le mérite de nous les présenter concrètement et de les analyser même si, parfois, et c’est un hommage à son auteur, le lecteur se surprend à douter de leur mise en œuvre tant la mariée est trop belle. Il souhaiterait vérifier la véracité des propos par la confrontation avec les enseignants et directeurs de la circonscription dont Jean-Pol Rocquet a la responsabilité ! C’est dire si la prise de risques évoquée dans le titre a parfaitement rempli son office.
Richard Étienne