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L’inclusion comme levier de changement

Scolariser tous les élèves à l’école n’est pas seulement un devoir imposé par la loi, ou un idéal, c’est une nécessité. L’école inclusive se justifie pour trois raisons.

Elle est d’abord l’affirmation d’une école exigeante pour tous, quand la plus grande partie de la scolarité se passe en classe ordinaire. L’inclusion est alors conçue comme transitoire. Sa mission est de réintégrer les élèves dans le système ordinaire. Elle est aussi l’affirmation que chaque élève est capable d’apprendre, d’acquérir les compétences du socle commun.

Ensuite, elle permet la construction d’une véritable société ouverte sur l’altérité. Les élèves apprennent à vivre ensemble.

Enfin, et c’est sans doute son principal enjeu, l’école inclusive permet à des adolescents qui se vivent différents, de construire leur identité dans la norme, et dans la norme de leur classe d’âge. C’est selon moi, un élément essentiel pour développer sa confiance en soi, et donc s’engager sur la voie de la réussite.

Des élèves différents toujours plus nombreux

Selon ces principes, la logique inclusive va au-delà de l’école inclusive. Elle concerne toutes les structures et dispositifs destinés à des élèves qui ont besoin d’aménagements particuliers, mais dont la scolarité se déroule majoritairement en classe ordinaire. Or, les profils de ces élèves se multiplient. Les enseignants se sentent alors dépassés par des difficultés toujours différentes, avec des élèves toujours plus nombreux. Ils ne se sentent ni compétents, ni formés, ni accompagnés. Ils estiment, à juste titre, que c’est un changement radical de leur métier, et un changement auquel ils s’opposent souvent. La logique inclusive aboutit en effet à des classes très hétérogènes, où la gestion de classe et la dynamique de groupe sont de plus en plus problématiques. Pourtant, quand elle réussit, l’école inclusive n’est plus un obstacle à l’accomplissement des missions pédagogiques, mais un formidable levier de questionnement de ses pratiques, une occasion de développer des compétences utiles ensuite à tous les élèves. En construisant le travail des équipes non pas à partir des profils des élèves, mais de leurs besoins éducatifs particuliers, les chefs d’établissements peuvent en effet plus facilement répondre aux besoins des enseignants face aux inquiétudes naturellement générées par ce changement. Quand les équipes se sont approprié la logique inclusive, les compétences développées collectivement sont alors l’occasion de construire ensemble de nouveaux dispositifs à destination des décrocheurs ou des élèves en grande difficulté.

Des aménagements pédagogiques pour la classe

C’est le défi où s’est lancé le collège César Franck, sous l’impulsion du Principal, Alain Dubois. S’appuyant sur le travail fait avec l’ULIS[[Unité locale d’inclusion scolaire.]] et l’UPE2A[[Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants.]], le collège accueille depuis 2012 des élèves intellectuellement précoces, qui s’ajoutent à la longue liste des élèves bénéficiant d’un PPS[[Projet personnel de scolarisation.]] ou d’un PAI[[Projet d’accueil individualisé.]]. L’hétérogénéité ainsi générée a obligé la communauté pédagogique à chercher les points communs entre les différents profils. Volontairement, la généralisation de l’expression « élève à besoin éducatif particulier » pour tous ces types d’élèves a été encouragée pour faciliter cette démarche et éviter les cloisonnements restrictifs.

L’ensemble des réunions des équipes éducatives ont mis en avant que quel que soit le profil de ces élèves, leurs difficultés sont principalement de trois ordres :

  1. Un manque d’estime et de confiance en soi. Ils ne trouvent pas leur place dans un système, qui ne les a pas compris, qui les a parfois rejetés. Ils sont entrés dans une spirale d’échec et de méfiance.
  2. Un rythme d’apprentissage inadapté. Il est trop rapide, ou trop lent dans le cas des élèves précoces. Cela engendre du découragement, ou de l’ennui, et donc un décrochage plus ou moins passif, et bien sûr un comportement perturbateur.
  3. Une difficulté à s’approprier les consignes, surtout quand elles contiennent de l’implicite ou de l’abstrait. Souvent, ces élèves pourraient exécuter des tâches ou réussir, mais ils ne comprennent tout simplement pas ce qu’on attend d’eux.

Il y a une réponse pédagogique adaptée simple qui répond à chacun de ces besoins, et résout la majorité des difficultés.

  • Pour regagner progressivement la confiance des élèves, sans compromis à la fermeté du cadre, ni à la sincérité sur les difficultés, la bienveillance est la règle, particulièrement dans les appréciations, dans le rapport à la sanction, dans l’évaluation.
  • Les aménagements du temps scolaires sont facilités : temps supplémentaire pour les évaluations, allégement du travail à la maison parfois ; ou exercices supplémentaires, de difficultés graduées, possibilité de suivre un cours dans un niveau d’enseignement supérieur. Mettre à la disposition une trace écrite est souvent profitable, ce qui est facilité par le numérique.
  • Un travail sur la formulation, et la compréhension des consignes.

Pourquoi les enseignants résistent au travail en équipe…

Ces aménagements relèvent tout à fait de la compétence pédagogique des enseignants. Un accompagnement complémentaire peut être prévu à l’extérieur de la classe, mais toujours sur le temps scolaire pour ne pas ajouter des heures de présences supplémentaires. Cette externalisation se fait soit dans le cadre d’une structure adaptée avec des personnels formés : ULIS, UPE2A, soit par d’autres membres de la communauté éducative : tutorat, soutien, approfondissement par un autre enseignant, un assistant pédagogique, un AVS…

Cette manière de travailler a trouvé ses partisans au sein du collège, et elle se généralise peu à peu. Elle a aussi trouvé ses opposants. Il est manifeste que la culture enseignante en France se fonde en grande partie sur l’autonomie pédagogique. L’enseignant est seul dans sa classe, seul face à la classe. Il est le garant de la transmission des savoirs. Il tire sa légitimité de ses connaissances académiques, dont l’acquisition est garantie par un concours essentiellement disciplinaire. Par ailleurs, la sociologue Anne Barrère[[Anne Barrère, «  Pourquoi les enseignants ne travaillent-ils pas en équipe? », Sociologie du travail, 44(4), 481-497, 2002.]] insiste sur l’enjeu que représente la gestion de classe dans l’image de l’enseignant face au groupe.

Le travail mené au collège a des conséquences sur ces deux dimensions. Il repose sur la mise en place d’une pédagogie différenciée, dont les meilleures réussites s’appuient sur la pédagogie en îlot, ou de projets interdisciplinaires. La construction pédagogique du cours prend alors plus de temps et d’importance que le contenu disciplinaire lui-même, alors même que ces pédagogies nécessitent des compétences disciplinaires et didactiques très élevées. Les enseignants peuvent être sollicités à n’importe quel moment par les élèves sur des questions annexes. Le cours peut prendre une direction inattendue. C’est une prise de risque pour l’enseignant. Par ailleurs, l’hétérogénéité des groupes rend très coûteuse en énergie la gestion de classe. Là encore, il y a risque. Il est naturel que les enseignants soient prudents avant de s’engager dans cette voie. Le conflit est probable, souvent inévitable.

Le pédagogue et le manager

Selon mon expérience de principale adjointe, pour faire réussir l’école inclusive, les chefs d’établissement doivent oser assumer deux identités : celle de pilote pédagogique, et celle de manager. La première a déjà été largement discutée. Pour la seconde, il existe par exemple un master de management des organisations scolaires[[MADOS, en distanciel à l’ESEN ; GEDOS en présentiel à l’Université UPEMLV.]] où il est question de management du changement. On y apprend que le changement fait peur, qu’il prend du temps. On y enseigne des méthodes managériales parfaitement adaptées à notre métier pour s’y confronter : comprendre la nature des oppositions, faire confiance, s’appuyer sur les initiatives, associer. Ces outils constituent un guide nécessaire pour l’action. Au cœur de la tempête, ce sont la solidarité de l’équipe de direction et la détermination qui font la différence. Au collège, les conflits ont duré deux ans et demi. Le Principal a gardé le cap. Les élèves à besoins éducatifs particuliers décrochent moins, réussissent mieux, sont plus épanouis. Une partie des équipes enseignantes reconnaît que l’expérimentation a eu un impact positif sur leurs pratiques. Naturellement, ils utilisent désormais ces compétences à destination de tous les élèves.

L’école inclusive présente un réel défi. Elle suppose un renouvellement des pratiques, et rend la gestion de classe plus subtile. Ces changements impactent l’identité professionnelle des acteurs, et engendrent des peurs légitimes. Il est intéressant de dépasser ces peurs. L’école inclusive rend en effet facilement manifestes et explicites les besoins éducatifs particuliers. Tous constatent vite alors que les différents profils d’élèves ont plus de points communs que de différences et que les enseignants ont les compétences professionnelles nécessaires à leur accompagnement. La logique inclusive devient un puissant levier de changement, et une véritable occasion de faire naître une réflexion collective sur les enjeux de l’école de demain. Le collège César-Franck a ainsi sur plusieurs points anticipé la réforme du collège (travail en équipe, personnalisation des parcours, évaluation). C’est par un double mouvement de réflexion sur les besoins des élèves et des inquiétudes des enseignants que l’école trouvera le chemin de sa réussite.

Séverine Cheinet
Principale-adjointe du collège César-Franck, Palaiseau