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L’expérience de l’accompagnement simultané de deux langues
Il nous parait important, dans un premier temps, de montrer que le dispositif AS2L vient en réponse à une problématique locale et donc de préciser les circonstances qui sont à l’origine de cette démarche pédagogique nouvelle.
De nombreux projets en langue étaient menés dans l’établissement : échanges linguistiques, films en version originale dans le cadre de Collège au cinéma, projets culturels avec la médiathèque, livres, documentaires en lien avec une autre langue, une autre culture. Il y avait aussi une forte demande de la part des élèves et des familles pour entrer en classe bilangue (trois demandes pour une place).
De plus, l’espagnol LV1 a été supprimé en 2010 dans notre département, malgré les nombreuses écoles qui avaient fait le choix de cet enseignement. Toutefois, les enseignants avaient la volonté et le devoir d’assurer la continuité de la langue commencée en primaire et le souci de préparer au mieux les élèves au passage en 2de, en gommant la hiérarchie LV1-LV2 qui n’existe plus au lycée depuis la réforme.
On le voit donc, une dynamique forte autour des langues était présente localement et les professeurs avaient le désir de s’en saisir à la fois pour faire évoluer leurs pratiques, mais aussi répondre aux besoins des élèves et aux demandes de la société. Très important pour nous et le cœur de notre réflexion : assurer l’égalité des chances et réduire les écarts en langues en proposant le dispositif à tous les élèves, de l’entrée à la sortie du collège.
Qu’est-ce que l’AS2L ? L’AS2L, dispositif dérogatoire (art. 34 puis L. 401-1 du code de l’éducation), est un parcours qui inscrit tous les élèves dans un apprentissage cohérent, constructif et simultané de deux langues vivantes (ici l’anglais et l’espagnol). Simultané, car il s’appuie sur une programmation langagière, thématique et culturelle commune étendue sur les quatre années du collège, et se base sur l’utilisation et le travail des mêmes compétences, capacités cognitives et savoir-faire.
Une multiplicité d’objectifs
Améliorer les performances et enrichir les acquisitions de communication et les compétences en langue telles que définies par le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) ; atteindre le niveau A2[[Le CECRL définit ainsi les niveaux attendus : A1 niveau débutant ; A2 niveau intermédiaire attendu en fin de collège, mais certains élèves tendent déjà vers le niveau B1 qui est attendu en fin de 2de-1re. Le niveau B2 correspond à la fin du lycée. Dans deux les langues A2 pour la majorité des élèves et tendre vers le B1 pour les élèves motivés.]] ; promouvoir la diversification linguistique en maintenant au collège les langues étudiées à l’école primaire ; promouvoir par la valorisation de plusieurs langues vivantes un sentiment d’appartenance à l’Europe et assoir la notion de citoyenneté européenne ; gommer la distinction entre LV1 et LV2 et assurer une fluidité du parcours du primaire jusqu’au secondaire ; assurer une meilleure égalité des chances pour l’ensemble des élèves dans le collège par une offre équitable de formation ; favoriser des parcours ambitieux et réduire les écarts en langues.
Ce dispositif, accompagné d’une pédagogie actionnelle, permet à l’élève de devenir acteur et donne du sens aux apprentissages, grâce au confort octroyé par le facteur temps et à la personnalisation de son parcours dès la 6e avec, par exemple, l’intégration des langues dans l’accompagnement personnalisé, ou avec les projets interlangues ou symétriques aux deux langues, proposées sur les quatre ans de collège. Les programmations communes et adaptées à chaque niveau ont pour but de créer une unité de thèmes et de sens pour les élèves : en 6e moi, ma famille, mes amis ; en 5e ma vie au collège et en dehors ; en 4e l’ici et l’ailleurs ; en 3e moi, mon passé, mon présent, mon futur.
un dispositif plébiscité
Sur les apprentissages premiers, les élèves s’identifient totalement aux sujets proposés, « ma famille mes amis et moi », ce qui engendre une appétence aux langues dès le départ et est source de motivation. Ceci se traduit dans la pratique par une adhésion totale des élèves aux projets proposés, par exemple la création d’une maison entièrement fléchée en espagnol et en anglais (avec un travail sur le vocabulaire de la maison, les prépositions, savoir situer et se repérer dans l’espace, localiser, répondre à des questions type « Where is… ? », « ¿ Dónde está… ? »), la création d’un livre numérique sur une famille imaginaire en anglais et en espagnol (comprendre les liens familiaux, connaitre l’autre et son identité, savoir décrire une personne).
Dans les faits, l’élève voyant l’apprentissage des langues dans son ensemble ne les dissocie plus ou dissocie beaucoup moins. Des automatismes et des passerelles se créent et les élèves ont davantage tendance à chercher des liens entre les deux langues, plutôt que d’avoir recours à la traduction en français.
L’accès à la prise de parole est facilité et dédramatisé. De plus, à tout moment les élèves sont incités à aller voir, vérifier, comparer, demander au professeur d’anglais ou d’espagnol et vice versa, et le dialogue entre les élèves et les professeurs s’avère plus dense. Il induit également des changements de posture (et pas que chez les élèves !).
Les enseignants d’anglais et d’espagnol, regroupés en une même entité, partagent plus facilement leurs travaux et leurs pratiques. Ils peuvent aussi cerner plus rapidement les difficultés et problèmes des élèves et proposer une remédiation, étant donné qu’ils travaillent sur les mêmes savoir-faire et connaissances.
Dans le cadre d’une concertation, des documents passerelles, donc communs, sont fabriqués afin d’être exploités en cours et pour les évaluations. Les élèves se les approprient d’autant mieux que le support est le même. Dans cette optique, au cours de la deuxième année du dispositif, a été mise en place une fiche diagnostique, véritable outil d’autoévaluation pour les élèves, très utile car elle rend possible la reconnaissance du droit à l’erreur, du droit de changer, du droit de recommencer.
Et les résultats des élèves ?
Il est démontré que les élèves ayant bénéficié au plus tôt d’un apprentissage de deux langues tendent plus vers B1 que vers A2 : 40 % de nos élèves sortent du collège en tendant vers B1, alors que le niveau demandé en fin de collège est A2.
Après un an d’expérimentation, l’objectif fixé de 80 % des élèves ayant atteint le niveau A1 en fin de 6e dans les deux langues était atteint et même dépassé, puis amélioré par la suite. On constatait, de plus, une symétrie de résultats entre les deux langues apprises.
Après quatre ans d’expérimentation, on remarque une demande croissante d’orientation vers des sections européennes ou axées sur les langues étrangères : 10 % des élèves, 100 % des demandes acceptées en juin 2015 pour la première cohorte formée à l’AS2L.
Par ailleurs, lors d’un des bilans annuels effectués par le corps d’inspection, à l’examen des moyennes chiffrées des élèves, la conclusion suivante sera mise en exergue : les élèves à profil particulier (plan d’accompagnement personnalisé divers, dyslexie, dysorthographie, etc.) non seulement ne sont pas en échec, mais sont valorisés par leur moyenne en langues. Ceci est pour nous un important motif de satisfaction : nous ne participons pas à une reformation des élites, mais bien à notre mission d’équité de service public.
Après cinq ans de mise en œuvre de l’AS2L, le collège de Samatan a acquis une vraie identité linguistique et a renforcé son attractivité dans ce domaine. Il a répondu à une très forte attente des parents et des élèves concernant l’apprentissage précoce des langues vivantes, ce que n’aurait pas pu faire le dispositif « bilangue » qui ne s’adressait qu’à une minorité d’élèves.
L’implication de l’ensemble des acteurs (enseignants, élèves, parents d’élèves, volonté forte du chef d’établissement, intervenants extérieurs) au service du projet est d’ailleurs un facteur essentiel à sa réussite.
Difficultés de mise en œuvre
Pour ce qui est des difficultés de mise en œuvre, nous évoquerons la réticence à priori de certains collègues de langue, compréhensible car aucune innovation ne va de soi, cela supposant des concessions par rapport aux pratiques individuelles.
Ensuite, l’état des lieux demande un certain temps, car on n’innove pas pour innover mais pour répondre à un besoin, en l’occurrence local. Qui dit démarche collective de changement dit maturation dans la tête des enseignants, donc temps de concertation, très nombreux, couteux en énergie et non rémunérés par l’institution. La mise en place des projets passerelles, des documents communs, la remise à plat des programmes et compétences dans les deux langues demande un investissement personnel important. Que de multiples comptes rendus et bilans !
Pour les horaires, l’idéal eût été deux fois trois heures, mais la dotation horaire globale ne le permettait pas. Et suite à des propositions de l’inspecteur pédagogique régional, les professeurs ont opté pour trois heures d’anglais et 2 heures 75 minutes d’espagnol.
L’expérimentation a été mise en place dans le cadre de l’article 34 (L. 401-1 aujourd’hui), pour cinq ans, évaluée année par année, elle a donc une fin. Cependant, au vu des très bons résultats et bilans, du succès auprès des élèves et des familles qui la plébiscitent, de sa place et de son dynamisme dans le projet de l’établissement, l’équipe enseignante a demandé son maintien, malgré la réforme du collège.
Malheureusement, cette expérience pourtant fructueuse et reconnue par tous n’a pas été reconduite. Et ce, malgré toutes les actions menées l’an passé conjointement avec parents d’élèves, le principal, le conseil d’administration, et même l’intervention du président de la communauté de communes. À marche forcée, il a fallu entrer dans la réforme qui, pour nousUn autre point de vue est défendu par certaines équipes, voir par exemple : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Une-seconde-langue-vivante-en-cinquieme, appauvrit l’offre en langues et diminue grandement les horaires, notamment en espagnol.
Une iniquité s’est créée puisqu’auparavant, tous les élèves d’une génération suivaient les deux langues ; maintenant, seuls les élèves ayant débuté l’espagnol en primaire peuvent choisir l’anglais en 6e. Toutes les passerelles et stratégies mises en place par les enseignants des deux langues sont abandonnées. On décourage ainsi, au sein même de l’institution, des enseignants motivés et qui ont fait leurs preuves.
Sophie Bahamonde
Professeure d’espagnol au collège de Samatan (Gers)