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L’exclusion

Il y a quelques jours, dans un collège de Marseille, situé dans les quartiers Nord et appartenant à un réseau d’éducation prioritaire, une scène banale de  » violence scolaire  » a connu un développement qui devrait donner à réfléchir à ceux qui prônent et installent les solutions  » policières  » en réponse aux problèmes de l’agressivité et de la violence à l’école. La conduite agitée de deux élèves qui sèment la perturbation à la Vie scolaire, qui tiennent des propos injurieux vis-à-vis du chef d’établissement, bref devenus  » incontrôlables « , amène l’administration à faire appel aux îlotiers qui accourent et font eux-mêmes appel aux brigades  » spécialisées « . Les policiers débarquent en voiture dans la cour du collège, gyrophare et brassards, ceinturent les gamins et leur passent les menottes devant les élèves qui sortaient de classe ! Départ vers l’Évêché (commissariat central) où les parents viendront les récupérer un peu plus tard. Et le lendemain, grève de tous les élèves du collège, traumatisés par la scène vécue la veille et qui restent toute la matinée dans la cour, nos deux jeunes agités jouant les héros et s’offrant le luxe de donner le signal du retour en classe vers 11 heures 30.

Évidemment, quelques jours plus tard, ces élèves ont été exclus définitivement de l’établissement.

L’autorisation que le ministre de l’Éducation nationale va donner aux forces de police d’intervenir à l’intérieur des établissements risque de banaliser ce type de  » bavure  » (comment qualifier autrement un passage de menottes devant leurs camarades à deux gamins de quatorze ans qui chahutaient ?) Il cède, ce faisant, aux pressions de tous ceux qui rêvent sans le dire et même souvent sans se l’avouer d’une école protégée, hors du temps, où des élèves polis et sans casquette, oublieraient en franchissant les portes du collège les galères et les drames dans lesquels ils sont plongés et dont les parents seraient des partenaires éducatifs présents et avisés. Or, les collégiens sont les jeunes d’aujourd’hui et ceux qui sont scolarisés dans les secteurs de l’éducation prioritaire vivent parfois au quotidien dans la violence et le désespoir. Ceux qui s’en approchent sans peur, sans haine, sans se boucher le nez savent que les  » sauvageons  » sont avant tout des jeunes qui souffrent, qui subissent la violence avant de s’en servir comme unique moyen d’expression, après avoir attendu et espéré en vain de l’écoute, du respect et de la sympathie. Beaucoup sont, lorsqu’ils entrent au collège, sur la crête du mur séparant l’intégration et l’exclusion. Qu’on leur tende la main, qu’ils sentent qu’ils ont une place, qu’ils ont une valeur et ils passeront du bon côté du mur ; qu’ils ressentent au contraire méfiance, traitements différenciés, mépris et ils embarquent dans la spirale de la révolte, de la marginalité et de l’exclusion.

Ce ne sont pas ces mesures répressives qui résoudront les problèmes de la violence ; elles ne feront que les aggraver. Ce qu’il faut, c’est multiplier autour de ces enfants en souffrance les lieux d’écoute, les assistantes sociales, les psychologues et les psychiatres, les aides éducateurs et les enseignants ; c’est lutter avec davantage de détermination contre les classes ghettos, les classes poubelles, les classes protégées, les classes CAMIF, toutes classes qui théoriquement n’existent pas ; c’est faire respecter la sectorisation et abolir les privilèges et les prés carrés car, plus que tout autre, nos écorchés vifs sont sensibles à ces injustices et à ces marques de mépris et ce qu’il faut c’est laisser en dehors des collèges ces cow-boys qui nous jouent de mauvais westerns.

Jacques Dubrocard, Professeur de maths en collège ZEP, Marseille.