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L’évaluation des politiques éducatives

Xavier Pons, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2011.

Un ouvrage essentiel pour qui veut mieux comprendre les politiques éducatives et leurs effets, entre ce que déclarent les acteurs et entre les intentions, bonnes ou mauvaises, des décideurs et institutionnels et ce qui se passe réellement.

C’est sur un étonnement que s’ouvre le livre de Xavier Pons : on pourrait s’attendre à ce que les réformes en matière d’éducation, et plus largement la conduite du système éducatif par les décideurs, s’appuient sur l’évaluation des politiques antérieures. Or ce n’est pas ainsi que les choses se passent en France. Un des axes majeurs de l’ouvrage est d’exposer les raisons multiples et complexes pour lesquelles ces évaluations n’ont pas, ni du côté des décideurs, ni du côté des acteurs de l’éducation, les effets qu’on pourrait en attendre.

Les deux premiers chapitres, consacrés à l’histoire et aux acteurs de l’évaluation des politiques éducatives, reprennent, d’une manière condensée, mais très suggestive, les éléments déjà exposés par l’auteur dans l’ouvrage Évaluer l’action éducative : des professionnels en concurrence dont il a été rendu compte dans les Cahiers pédagogiques. Le constat, très documenté, est qu’en l’absence d’une politique évaluative systématique, l’évaluation a été livrée aux aléas de la concurrence entre différentes catégories d’acteurs (statisticiens de la DEP, inspecteurs généraux, responsables académiques, etc.). Les fluctuations ainsi produites ne vont évidemment pas dans le sens d’un effet fort des évaluations sur les politiques.

Mais c’est à partir du troisième chapitre que sont présentées les principales raisons pour lesquelles les évaluations ont si peu d’effets tant sur les décideurs que sur les acteurs de terrain. Les décideurs politiques, pour leur part, sont peu en demande d’évaluation. Devant promouvoir, sur une durée courte, une image providentielle de leurs décisions, ils n’ont pas intérêt à les faire dépendre d’une évaluation des politiques menées par leurs prédécesseurs. En outre les résultats quantitatifs d’évaluation sont souvent complexes et en demi-teinte, et donc difficiles à traduire en décisions. Lorsque les équipes ministérielles font appel à ces résultats, c’est plutôt pour justifier à postériori des mesures décidées d’abord en fonction des conjonctures politiques.

Si on regarde du côté des enseignants, en prenant le cas des évaluations des acquis des élèves (par exemple, évaluations en CE 2 et en 6e), des questionnaires qui leur ont été soumis semblent révéler qu’ils s’en servent pour saisir les besoins des élèves et pour modifier leur enseignement. Il y aurait donc un certain effet des évaluations sur les pratiques. Mais d’autres enquêtes révèlent que ce sont là des propos de circonstances et qu’il y a des écarts entre le dire et le faire. Même constat d’ambivalence du côté des chefs d’établissements. Plusieurs chercheurs ont fait apparaitre que globalement les enseignants ont une faible connaissance de l’outil statistique et qu’ils sont plutôt méfiants à l’égard de procédures évaluatives assimilées au management privé et dont ils redoutent qu’elles aient des effets sur le déroulement de leur carrière.

Plus globalement, on pourrait penser que l’émergence des pratiques d’évaluation soit le signe d’un nouveau mode de régulation du système éducatif, c’est-à-dire de contrôle social de l’action de ses acteurs. Alors que, dans la tradition « bureaucratique » française, on demandait aux enseignants de se conformer à des normes et d’effectuer des actes prévus dans les règlements et qui donnaient lieu à contrôle, les pratiques d’évaluation conduiraient à un abandon de ces obligations au profit d’une régulation par les résultats. On serait passé de l’obligation de moyens à l’obligation de résultat en passant du contrôle à l’évaluation.

Mais le constat de Xavier Pons est qu’en France cette modification ne s’est opérée que d’une manière partielle. Car à la différence d’autres pays, il n’y a pas, ici, de mesures institutionnelles qui contraignent ni les décideurs ni les acteurs à tenir compte des résultats des évaluations. Le principe souvent proclamé est que les évaluations fournissent aux acteurs des indications objectives sur les effets de leurs actions et que c’est à eux qu’il revient de trouver les remédiations nécessaires.

Ainsi n’y a-t-il pas, en France, concernant les acquis des élèves, de « standards ». Plus précisément, il existe bien des standards de contenus (les programmes nationaux, le socle commun des connaissances et compétences). Mais il n’existe pas de « standards de performance », c’est-à-dire des indications du pourcentage d’élèves qui, à une étape donnée de la scolarité, doivent savoir accomplir une opération donnée. En Angleterre par exemple, une agence gouvernementale repère ces performances au moyen d’épreuves standardisées. Les établissements qui n’atteignent pas les standards nationaux disposent de quarante jours pour proposer un plan leur permettant d’enregistrer rapidement des progrès.

Bref, pour Xavier Pons, l’évaluation des politiques éducatives est, en France, dans un « entredeux », ce qui l’amène à nuancer les grandes interprétations possibles du développement des pratiques évaluatives. Ce développement serait-il le signe d’une marchandisation de l’école ? L’auteur répond qu’il faudrait, pour qu’il en soit ainsi, qu’il y ait un marché scolaire, avec des établissements autonomes en mesure de choisir librement les moyens pour atteindre les objectifs et d’adapter leur offre à leur public et avec des parents totalement libres du choix de l’école. Le développement de l’évaluation correspondrait-il à la mise en œuvre d’une « nouvelle gestion publique », faite de mise en concurrence interne des administrations, d’obligation de reddition de comptes, de contrôle de l’utilisation des ressources, de quantification des normes et des performances, voire de lien entre rémunération et résultats, etc. ? L’auteur montre que si des intentions vont dans ce sens, les pratiques réelles ne suivent pas. Le développement de l’évaluation indiquerait-il une volonté de planification ? Mais l’auteur montre que cette idée de planification s’est dévaluée dans le secteur de l’éducation.

C’est principalement sous l’angle de la conception et de la mise en œuvre des politiques que Xavier Pons analyse le développement de l’évaluation dans le domaine éducatif. Les pédagogues de terrain auront évidemment un autre angle de vue et pourront se poser des questions sur lesquelles l’auteur reste silencieux. Ils pourront par exemple se demander ce qu’on mesure exactement lorsqu’on évalue par des épreuves standardisées les acquis des élèves : repère-t-on la maitrise de savoirs et de compétences complexes ou bien l’automatisation de procédures et la mémorisation d’informations ? Or de telles questions ne sont pas nécessairement secondaires lorsqu’on prétend évaluer un système éducatif ou une politique éducative.

Mais la réflexion des enseignants se nourrira certainement de cet ouvrage dense et clair, en ouvrant par exemple des questions telles que celle-ci : dès lors que l’évaluation du système se développe et même si ce développement est, comme le pense Pons, plus rhétorique qu’effectif, quel impact cela peut-il avoir sur l’identité et la pratique de l’enseignant ? Le passage du contrôle des processus à l’évaluation des résultats semble, en première analyse, ouvrir sur la liberté et l’inventivité pédagogiques des enseignants. À eux de choisir comment ils s’y prennent, on les jugera sur les résultats. Cela peut être interprété comme une reconnaissance de leur professionnalité. Mais cette nouvelle forme de régulation pourrait bien être aussi la marque d’une déresponsabilisation des autorités éducatives vis-à-vis des difficultés de l’école. Comment faire réussir tous les élèves sans abaisser le niveau ? Comment respecter le rythme d’apprentissage de chaque élève tout en respectant les programmes ? On peut se demander si ce n’est pas aux enseignants seuls qu’il est désormais dévolu d’affronter ces redoutables problèmes.

Sabine Kahn


Programmation 2014-2015

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