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L’ergonomie comme arbitre des changements

« Nos mauvais élèves (élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l’école. C’est un ognon qui entre dans la classe. Quelques couches de chagrin, de peur, d‘inquiétude, de rancœur, de colère, d’envies inassouvies, de renoncements furieux accumulés sur un fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. »
Daniel Pennac
Chagrin d’école, 2007, p.70

Si nous voulons trouver de nouveaux leviers pour faire évoluer le système éducatif, acceptons l’idée qu’en premier lieu il convient de changer les représentations collectives sur l’École.
La finalité de l’École, définie dans tous les textes, les lois et cadres institutionnels qui la régissent, est de transmettre des savoirs savants, des savoir faire et des savoir être aux élèves. Pourquoi ne pas développer une vision plus globale et une approche plus humaniste des situations scolaires ? Dans cette perspective, l’ergonomie propose de comprendre l’école comme un système dans lequel tout est important : la didactique bien sûr, les modalités pédagogiques évidemment, mais aussi, et au même niveau d’importance, l’aménagement des temps, la durée des séances, leur planification sur la semaine, les contextes périscolaires et extrascolaires. Chaque choix organisationnel, technique ou humain qui est fait devrait avoir une ambition première qui est de respecter les besoins fondamentaux des enfants, adolescents et même adultes pour qu’ils puissent réaliser leur travail d’élève, d’enseignant ou d’éducateur. Si ce préalable n’est pas satisfait, l’École ne permet pas à tous les élèves de construire des outils pour suivre leurs propres chemins personnels vers la vie d’adulte qu’ils espèrent.

Les contextes scolaires actuels

Comment peut-on être indifférent aux conditions de travail subies par les élèves quand l’ambition de réussite est l’objectif prioritaire du système scolaire ?
Debout à 5 h 30 du matin, pour arriver à l’heure au Lycée !
Neuf heures de cours durant la journée sans aucun arrêt, pas même à l’heure du déjeuner !
Aucun outil pour apprendre !
Parqués, en plein hiver, dans la cour glaciale du collège, grelotants, en attendant que les cours reprennent !
Assis, une longue, très longue heure, à une table de cantine au lieu d’être au calme pour pouvoir continuer leur après-midi scolaire !
Transbahutés en bus d’une école à une salle de restauration située dans un autre village, ne pouvant plus être attentifs en classe le reste de la journée !
Prisonniers des notes depuis que leurs parents les reçoivent – tout au moins ceux qui ont Internet à leur domicile – saisies en ligne par le professeur lui-même !
Après une journée de cours, encore trois heures de travail à la maison !
Etc.
Nombreux sont les adultes qui ignorent les souffrances que vivent les élèves et, par contrecoup, les enseignants et tous les adultes qui les entourent. L’ergonomie leur demande de prendre conscience de ces réalités, elle souhaite les alerter, car il en va de l’avenir de l’École. Illusion que de penser que tous les élèves pourraient apprendre quelles que soient les exigences imposées par les contextes d’apprentissage ! Utopie que d’imaginer que, dans ces conditions, les enseignants puissent atteindre les objectifs fixés par les programmes !
Ainsi, si nous jugeons que l’École doit être le lieu de l’égalité des chances, le moment dans la vie du Jeune qui va lui permettre de construire les multiples compétences qui l’aideront dans sa vie future – qui ne sera pas toujours des plus facile -, alors ouvrons le chantier des conditions de vie et d’apprentissage des élèves. Et demandons-nous ce que nous pourrions faire avec les responsables politiques, les collectivités territoriales, les parents, les personnels de l’Éducation nationale, les associations impliquées dans la vie des établissements, pour permettre à tous les jeunes d’être des élèves heureux.
Il est temps d’admettre qu’en améliorant les conditions de travail, chaque problème posé pourra être traité sinon résolu.
Prendre en compte les réalités de travail de chacun, c’est accepter tout simplement de changer les représentations communes et partagées dans notre société sur l’École. C’est admettre qu’enseigner ce n’est pas uniquement transmettre des savoirs dans n’importe quelles conditions. C’est comprendre que l’Élève a besoin que son contexte d’apprentissage soit réfléchi au regard des ambitions d’apprentissage qu’il est en droit d’avoir, comme les adultes qui l’entourent. Comment se fait-il que la compétence « ergonomique » est absente quand un établissement décide d’aménager les temps, les espaces, les activités, en bref, l’ensemble des contraintes que vont devoir vivre les élèves et les adultes œuvrant dans la même structure ?
Une fois que la vie dans les établissements permettra à chacun de trouver sa place et de réaliser le travail qui lui est demandé, alors la société pourra faire des choix politiques qui s’appuieront sur les valeurs d’égalité des chances pour tous, pour les élèves par rapport à la réussite scolaire et à leur intégration dans leur vie professionnelle future, mais aussi pour tous les adultes dans l’efficacité de leur travail et le déroulement de leurs carrières.

Quelles pistes suivre ?

1. Respecter aux mieux les besoins fondamentaux de l’élève
Qu’est-ce que l’ergonome entend par cette affirmation ?
La réponse est évidente : il faut que l’élève puisse avoir une qualité de vie personnelle adaptée aux exigences de son travail, qu’il ait une représentation toujours positive de ses capacités à réussir, qu’il comprenne où il va et pourquoi et enfin qu’on lui ait donné des outils pour apprendre. Le schéma suivant résume cette affirmation :

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Ensemble des besoins que l’élève doit satisfaire pour trouver le meilleur équilibre possible dans sa situation scolaire (extrait de Stop à l’échec scolaire, De Boeck, 2010, p.35)

Voilà en réalité les conditions pour un aménagement ergonomique des situations scolaires : respecter les besoins fondamentaux des élèves. L’ergonomie affirme, de la plus forte des façons qui soit, que la seule chose qui soit généralisable à toutes les situations de travail qu’elles produisent des services, des objets industriels, etc., ce sont les connaissances sur les individus eux-mêmes. Il en est de même dans le cadre de l’aménagement ergonomique des situations scolaires ; seules les connaissances sur les enfants, les adolescents et l’ensemble des adultes travaillant dans ces situations-là de travail sont généralisables au monde de l’École.

2. Former les acteurs des temps périscolaires
La complémentarité entre les projets conduits par les acteurs de l’Éducation nationale et des collectivités territoriales est une nécessité pour accompagner efficacement les jeunes dans leur développement intellectuel. Certes, les temps hors temps scolaires sont le plus souvent délégués à des associations qui font l’effort de former leurs animateurs. Ces derniers n’ignorent pas que le besoin de cohérence entre le monde scolaire et les moments dits non scolaires est une nécessité pour garantir l’efficacité des investissements humains et matériels engagés.
L’équilibre nécessaire et indispensable que les enfants vivront dans les différents moments vécus dans l’École, entre les temps scolaires et les temps périscolaires et extrascolaires, dépend des représentations que chacun a de sa propre mission.
La formation des adultes peut être alors une garantie pour un accompagnement le plus harmonieux possible du jeune dans son développement intellectuel.
Quel projet défendre vers les acteurs des temps périscolaires pour composer une complémentarité nécessaire pour le jeune élève ?
L’approche systémique proposée par l’ergonomie s’impose. Les questions à traiter ne sont donc pas uniquement « quand et quoi faire avec lui ? », mais doivent aussi permettre de trouver des réponses à l’objectif d’accompagner les enfants en adéquation avec les intentions de l’école et de la famille. Car le chemin est difficile pour que les jeunes s’approprient les valeurs citoyennes qu’ils doivent faire vivre tout au long de leur vie. Ce citoyen, adulte en devenir, doit comprendre que pour apprendre efficacement en classe il doit maitriser certaines habiletés comme se sentir responsable, devenir autonome dans son travail, maitriser ses émotions, garder ou retrouver une réelle confiance en lui, etc. Les animateurs devront mettre en place des activités qui vont lui permettre d’apprendre à être responsable, autonome, rigoureux tout en restant confiant dans sa capacité à suivre avec bonheur le chemin de la vie. En bref, les activités des temps périscolaires et extrascolaires doivent non seulement permettre au jeune de satisfaire ses besoins fondamentaux, mais également lui permettre de consolider des compétences préalables et nécessaires à l’apprentissage scolaire. Quelle lourde mission pour les responsables de ces temps-là, animateurs ou autres… 

3. Informer les parents sur les besoins de leurs enfants
Il est temps de mettre le projet de la formation des parents au difficile métier de « parents d’élèves » sur l’établi. Formons ce vœu pour 2012. Il est urgent de revoir les contenus des rencontres qui ont lieu au moment de la rentrée scolaire. Réunions inutiles quand le Parent entend le même discours tous les ans, depuis que son premier enfant a investi l’établissement, sur les programmes, les règles de vie et les sanctions appliquées dans l’établissement. C’est bien simple ils n’y assistent plus. Les raisons de leur absence sont multiples. Première raison : ils entendent tous les ans la même chose. Deuxième raison : ils ont une histoire tellement douloureuse avec l’école qu’ils craignent d’y aller. Troisième raison : ils travaillent tout simplement et ne sont pas disponibles aux heures prévues pour ces rencontres. Quatrième raison : ils craignent de ne pas comprendre ce qui va se dire. Cinquième raison : ils ont peur d’entendre des remarques négatives sur leur propre enfant. Il ne fait aucun doute que si l’objectif de ces rencontres parents professeurs était de construire une complémentarité efficace pour permettre à chaque l’élève de réussir au mieux dans ses apprentissages scolaires on risquerait d’avoir moins d’absentéisme parental. C’est une gageüre à prendre.
En bref, l’ergonomie a l’ambition de mobiliser toute la communauté scolaire afin d’aménager pour tous les élèves des conditions de vie et de travail afin qu’ils soient plus disponibles pour apprendre.

En conclusion

Un citoyen, qu’il ait des enfants scolarisés ou pas, peut-il accepter que le système éducatif de son pays n’arrive pas à contrôler les effets discriminatoires liés à l’origine sociale des élèves ?
Les parents peuvent-ils souffrir que ce soient les mauvaises conditions de travail dans les établissements scolaires qui sont le déterminant de l’échec de leurs enfants ?
Est-il possible que les enseignants oublient qu’apprendre à apprendre est une priorité à tous les niveaux scolaires ?
Sans risque, nous pouvons répondre par la négative à toutes ces questions et se demander pourquoi faut-il que la représentation commune et partagée par beaucoup trop d’experts et de politiques sur le système scolaire, le limite à la transmission de compétences et connaissances appuyées sur la maitrise des savoirs savants ; elle gomme l’analyse des contextes d’apprentissages et, pire, elle élimine de ses priorités la construction des compétences indispensables pour se débrouiller dans la vie.
L’efficacité des situations d’apprentissage scolaire et donc la réussite des élèves sont indissociables d’une prise en compte de leurs conditions de travail… pour le bonheur des élèves, des enseignants et de tous les autres.
Espérons qu’en 2012 l’École comprenne l’intérêt de prendre en compte les conditions de travail dans les établissements pour améliorer leurs performances.

Nicole Delvolvé
IUFM Midi-Pyrénées