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L’enseignant STG dans la filière STI

« Que leur enseignes-tu exactement ? » demandent spontanément mes collègues. « Tu es le professeur de compta ? » (l’appellation la plus ancienne et la plus tenace), « le professeur de droit ? » (terminologie d’ailleurs exclue du domaine économie-gestion), et plus rarement « le professeur d’économie ? »
C’est donc par l’ambiguïté sémantique sur le nom de son métier que commence la carrière d’un professeur STG dans un lycée technologique aux filières industrielles.
L’appellation « professeur de tertiaire » est encore moins communicative et d’ailleurs jamais utilisée… sauf par le personnel de direction. On retrouve cette même hésitation dans les appellations contenues dans les logiciels d’emploi du temps qui proposent parfois des disciplines totalement erronées voire même farfelues…
Voici donc, pour ce professeur, une entrée en matière qui semble reposer sur l’anecdote mais qui est pourtant le symbole même de la réalité à laquelle il est confronté. C’est une vieille quête du système éducatif que d’arriver à créer une synergie entre les disciplines des STG et celles des STI (sciences et technologies industrielles).

Une communauté réduite aux aguets ?

Le professeur d’économie-gestion, effectivement héritier de l’enseignement de la comptabilité des anciens CET (collège d’enseignement technique) ou des cours du soir, verra son champ d’application s’étendre en même temps que progressera l’importance des sciences de la gestion dans le monde universitaire et dans celui des grandes écoles commerciales. Parfaitement intégrés à l’origine dans les filières industrielles de niveau V puis IV par leur caractère d’utilité « immédiate », les enseignements tertiaires ont évolué jusqu’à créer une incompréhension pour leurs contenus, leurs missions et en fin de compte pour la perception de leur utilité sociale. Le professeur d’économie-gestion finira même par être victime de l’ancestrale suspicion entre les « cols blancs » et les « cols bleus » qui règne encore entre les professeurs d’atelier et les autres. Même si les formations STI exigent aujourd’hui un haut niveau de recrutement, il demeure les traces de ce malaise. « Tu leur apprendras à calculer un coût de revient et à comprendre la comptabilité de l’entreprise s’ils veulent un jour créer la leur ! », voila très schématisé la mission du professeur d’économie-gestion dans l’esprit de nombreux collègues. Tout le reste leur semblera bavardage, théories inutiles et perte de temps.
Cette césure se manifeste par un certain nombre de points qui s’accumulent pour créer un sentiment profond d’inadaptation dont seule la personnalité de l’enseignant et son caractère volontariste pourront venir à bout.

Isolement et frustration

Isolé dans des conseils d’enseignement qui n’intègrent pas ses collègues STI, soumis à la double tutelle des IPR des deux filières dont il ne perçoit pas la cohérence ni dans l’organisation des examens ni dans celle des évaluations et des formations, il ressent également une certaine frustration pour des raisons diverses :
– L’éloignement des grands courants bouillonnants et innovants des STG.
– L’inexistence ou la rareté de livres et de documents adaptés aux filières non tertiaires. L’examen des quelques propositions de grands éditeurs scolaires prouve que l’adaptation aux sections industrielles se résume au simple fait de dupliquer des programmes STG en les dépouillant de certaines difficultés techniques.
– Le sentiment d’être privé du bénéfice de l’expérience quotidienne pour passer des concours internes comme l’agrégation. Les compétences de l’enseignant, pour réelles qu’elles soient en d’autres points, n’en demeurent pas moins atténuées au fil des ans en ce qui concerne le niveau des savoirs scientifiques et techniques du domaine tertiaire.
– Le sentiment de n’être pas suffisamment reconnu par les collègues des filières STG.

Quel professeur d’économie-gestion n’a pas ressenti le malaise d’être nulle part lorsque le chef d’établissement fait état dans les conseils de classe des matières du « haut de tableau » ou du « bas de tableau » (matières générales et matières technologiques et professionnelles) ? Parfois considéré dans l’un, parfois dans l’autre, l’enseignant a le sentiment qu’il est appelé à être dans l’une ou l’autre des catégories lorsque qu’il peut servir ou lorsqu’il gêne les analyses des uns ou des autres.
Même si les chefs d’établissements ne font plus l’erreur de séparer les deux champs par un trait, pratique encore existante dans les années quatre-vingt (le « mur » de Berlin ont ironisé certains enseignants), l’habitude d’établir un « sceau identitaire » persiste. Le professeur, selon les établissements où les époques, se retrouve donc dans un camp où dans l’autre.

Des référentiels en BTS morcelés et inadaptés

Quant aux référentiels du niveau III d’enseignement (BTS, brevets de techniciens supérieurs), ils sont manifestement inadaptés car élaborés pour chaque métier, en fonction des circonstances. Aucune logique d’ensemble ne semble guider les rédacteurs qui exigent, par exemple, de la mercatique ou des techniques quantitatives de gestion pour tel métier et pas pour d’autres. Du droit des sociétés pour les uns, du droit civil des contrats à d’autres et ainsi de suite. À l’exception de quelques cas spécifiques, comme la législation sur la propriété intellectuelle ou le prix de revient d’un ouvrage, il n’y a aucune justification pour une telle différenciation des programmes.
Des savoirs inadaptés aux métiers comme les techniques budgétaires, le seuil de rentabilité ou la comptabilité analytique et bien d’autres notions perdurent donc dans ces référentiels. Des savoirs trop théoriques, essentiellement en droit, économie et mercatique qui rebutent les élèves. Hétérogénéité des coefficients, des horaires et forme d’examen (oral, écrit, épreuve de synthèse, facultative ou obligatoire) rajoutent à l’incohérence globale.
D’une manière générale on peut rapprocher ce constat de celui du rapport qui a suivi la consultation sur la rénovation du BTS comptabilité-gestion : « Le point de vue des enseignants et des étudiants » (enquête réalisée en mars 1998) :
« L’allégement des programmes est souvent préconisé. Pas dans le sens d’une dévalorisation, mais plutôt pour être actualisé, plus en phase avec les besoins exprimés ou perçus par les professionnels, avec moins de détails encombrants et plus pratiques ».
On peut raisonnablement en conclure que si des enseignements tertiaires sont jugés trop lourds et inadéquats pour des métiers tertiaires, comment ne le seraient-ils pas davantage pour des métiers non tertiaires ?

Il est évident que la réforme globale des STG n’a pas traité le problème des enseignements tertiaires en filières industrielles, du moins pour le niveau III, laissant ainsi aux différentes CPC (commissions paritaires consultatives) le soin de créer des référentiels en fonction des demandes morcelées et ponctuelles des professionnels.
Dans ces conditions, la multiplication des textes incantatoires et des dispositifs ne peuvent cacher que l’enseignant d’économie-gestion sera toujours seul maître de son destin dans le rôle qu’il va jouer : « faire-valoir » ou réel moteur d’intégration pluridisciplinaire… C’est à lui de rappeler constamment les textes, ses droits d’intervention et de créer les conditions de sa formation et de son intégration.

Boumédiene Sid-Lakhdar, Professeur d’économie-gestion, Paris.