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L’éducation tout au long de la vie

Pour le commun, l’éducation tout au long de la vie serait la nouvelle formulation de l’éducation permanente ou continue des années 1970, une manière de parler de la formation professionnelle des adultes, au cours de leur carrière professionnelle. Il fut un temps où les enseignants bénéficiaient d’une solide formation continue. Sont-ils aujourd’hui concernés par cette éducation tout au long de la vie ?

S’accorder sur une définition

La fortune de cette formule vient du fait qu’elle a été reprise par la Commission européenne, qui en a fait un de ses chevaux de bataille. Elle la définit ainsi : « L’éducation et la formation tout au long de la vie recouvrent aussi bien les activités d’apprentissages pour des raisons personnelles, civiques et sociales que pour des raisons professionnelles. » Si l’on interroge cette définition, on s’aperçoit qu’elle oscille entre deux extrêmes : la possibilité de (construire son éducation en fonction de son épanouissement personnel, par exemple) d’un côté, et de l’autre l’injonction à (l’employabilité). Si ces deux pôles montrent l’extension de la question, on comprend les enjeux de cette éducation tout au long de la vie, en prenant en compte la diversité des publics, la diversité des situations, la diversité des enseignements.
Dans les travaux de l’équipe de Lucette Colin et Jean-Louis Le Grand[[Le laboratoire Experice rassemble une vingtaine de chercheurs des universités de Paris 8 et Paris 13. Ils ont publié un ouvrage : L’éducation tout au long de la vie, Anthropos, 2008.]], on découvre que si la dimension de la formation professionnelle continue est incontournable et représente une grande majorité des recherches francophones, il semble toutefois essentiel de prendre du recul par rapport à cette évidence, de la critiquer et de la conceptualiser.

Des concepts à interroger

Les recherches d’Experice interrogent plusieurs concepts.
– L’expérience : comment construit-on son expérience ? Comment parvient-on à passer de situations vécues à du perçu et du conçu ?
– La temporalité : il y a des moments privilégiés pour entrer en formation. Francis Lesourd travaille cette question de la formation en relation avec la biographie individuelle[[L’homme en transition, éducation et tournants de vie, Anthropos, 2009.]].
– La tension entre les apprentissages formels et informels. L’entrée dans le métier d’enseignant se fait maintenant sans que l’on donne une solide formation initiale. Comment les nouveaux enseignants se forment-ils ? Ils entrent dans des apprentissages informels. Comment passe-t-on de l’informel au formel ? De quels outils disposons-nous ?
– La réflexivité. Comment pouvons-nous construire une réflexivité ? Schon a publié un ouvrage dans lequel il appelait à une réflexivité des praticiens. Il ne donnait pas d’outil pour construire cette réflexivité. À Experice, j’ai introduit la pratique du journal. En tant qu’enseignant du secondaire, j’ai pratiqué le journal pédagogique. Mais on peut aussi pratiquer le journal de formation, le journal de recherche et différentes formes de journaux dans tous les moments de sa vie. Il ne s’agit pas de journaux intimes, mais de journaux pouvant circuler dans une communauté de référence qui vous aide à formaliser l’informel et à développer une réflexivité sur ses pratiques[[Rémi Hess, La pratique du journal, l’enquête au quotidien, Téraèdre, 2011.]].
– La dialectique entre autoformation et formation.
– L’interculturel. Notre société est devenue mondiale, et l’école n’échappe pas à ce mouvement. Se former, c’est acquérir des compétences pour comprendre l’autre.

Prendre en compte l’inachèvement de l’homme

Ces questions s’inscrivent dans une perspective : l’idée que l’on n’entre pas une fois pour toutes dans la vie le jour où l’on a passé ses diplômes, mais que l’entrée dans la vie est un mouvement permanent du fait de l’inachèvement de l’homme. Georges Lapassade, dans son livre sur L’entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme a remis en cause le « mythe de l’adulte ». Penser l’éducation tout au long de la vie, c’est donc prendre en compte le fait de notre inachèvement.
Dans cette perspective, construire son expérience devient un horizon qui ne touche pas seulement son activité professionnelle, mais encore les études supérieures, la vie associative ou militante, la vie culturelle et intellectuelle, l’éducation populaire, les loisirs, les voyages, le domestique. On prend en compte les dimensions temporelles longues de la vie : l’éducation est vraiment conçue tout au long de la vie, sans exclure les périodes après soixante ans. On pense son éducation, des premiers âges jusqu’à une éducation permanente sur toute la vie. On prend en compte la dimension formative de l’activité, en particulier de l’activité professionnelle, mais qui est étendue à d’autres moments de la vie. On fait donc des liens entre pratiques et recherches. On construit des histoires de vie, pour accompagner cette réflexion. Ces nouvelles pratiques pédagogiques sont traversées de tensions multiples susceptibles de les dynamiser : apprendre/enseigner ; transmettre/accueillir ; théorie/pratique ; individuel/collectif ; cycles/durée ; loi du marché/désir de la personne ; autonomisation/conformisation ; formel/informel.
Penser cette éducation tout au long de la vie met constamment en action une pensée régressive progressive, développée par Henri Lefebvre : Où j’en suis ? D’où je viens ? Vers où puis-je aller ? C’est une exploration du possible[[Sandrine Deulceux, Henri Lefebvre, vie, œuvres concepts, Ellipse, 2009]].

Rémi Hess
Professeur de sciences de l’éducation à l’université de Paris 8, directeur du doctorat en ligne de l’Institut supérieur de pédagogie