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L’écriture journalistique au service de la lecture littéraire

On sait que nombre d’écrivains ont utilisé la presse de multiples façons, soit en décrivant le milieu du journalisme (que l’on pense au Balzac des Illusions perdues, au Maupassant de Bel-Ami…), soit en intégrant les apports de l’écriture journalistique (étant parfois eux-mêmes journalistes, de Hemingway à Vaillant ou Kessel), soit encore en se servant de la presse, et notamment des faits divers comme « source d’inspiration » (Le Rouge et le Noir, à l’origine, c’est quelques lignes dans une gazette locale). Ces relations souvent complexes peuvent faire l’objet d’études en classe de français.
Mais on peut aussi prendre les choses à l’envers et utiliser l’écriture journalistique comme moyen pour mieux entrer dans une œuvre, pour jouer avec afin de mieux se l’approprier.
Aussi bien souvent, j’ai, en collège (mais on peut en faire autant en lycée), proposé divers travaux d’écriture à partir de romans étudiés avec mes élèves dans cette perspective. Je donnerai seulement quelques exemples, on peut en trouver bien d’autres, avec un peu d’imagination.
Pourquoi, à propos d’un événement relaté dans un roman, ne pas proposer l’écriture d’un petit journal, en se moquant volontairement des anachronismes, la seule consigne étant l’accord avec ce qui est dit dans le roman ? J’ai utilisé cette technique pour nombre de romans de jeunesse comme ceux de J.-M. Soyez, Le complot de la Bible d’or, qui relate un complot pour empêcher un voyage de Jacques Cartier au Canada et qui peut donc donner lieu à un article du type « sensationnel, un complot éventé à la Cour du Roi ». Ne nous interdisons rien. On peut oser après tout la chronique d’un Journal de l’Exode sur la déroute de l’armée égyptienne dans la mer Rouge ; il suffit de bien établir qu’il s’agit d’un jeu. Les excellents magazines pour jeunes comme Science et vie junior ou Archéo junior utilisent abondamment ce procédé accrocheur et motivant, avec un objectif explicatif bien précis.
Le journal peut même être du futur (un quotidien de la Planète des Singes par exemple).
Il peut aussi être bien plus réaliste : une Voix du Nord de l’époque pour Germinal ou des journaux révolutionnaires pour Quatre-vingt- treize. Mais il est intéressant de faire écrire deux types d’articles en l’occurrence, par exemple la prise de la Bastille vue par un pour et par un contre.
Il est également intéressant de faire manipuler par les élèves les différentes formes d’écriture journalistique, à l’occasion de l’étude d’un texte ou d’une œuvre, de l’éditorial qui prend position, au fait divers qui se prête bien au roman policier d’un Boileau-Narcejac ou d’un Simenon, en passant par l’enquête, le compte rendu, la chronique scientifique à propos de la science-fiction par exemple, l’interview… On peut imaginer de faire travailler plusieurs de ces formes avec un support tel qu’une fable de La Fontaine, depuis le reportage sportif sur la course du lièvre et de la tortue jusqu’à la chronique moralisante sur le thème du « rien ne sert de courir »…
Autre idée : faire fabriquer des « unes » diverses (par groupes) autour du dénouement d’un roman ou d’un moment fort : le retour de Robinson, ou si l’on étudie Tournier, le récit extraordinaire du capitaine qui a laissé Robinson sur son île…
Le passage d’un type de texte à un autre, le changement de point de vue, les transformations qu’opèrent les variations d’écriture quant à notre regard sur les événements – je pense à un travail fait à partir Des souris et des hommes par exemple – permettent une approche plus diversifiée du roman, de mieux le saisir, mais aussi une meilleure lecture de la presse. On découvre mieux « comment c’est fait » et l’importance des techniques d’écriture.
On peut ne pas en rester à la presse écrite, et proposer de fabriquer de mini-émissions de radio (voire de télévision) : reportage, entretien avec l’auteur, ou avec un personnage.
Il est intéressant, bien entendu, de travailler sur des modèles. J’ai par exemple enregistré, il y a fort longtemps, un amusant reportage sonore à partir de Germinal.
Dans tous les cas, nous obtenons une certaine désacralisation de l’œuvre en même temps, si l’on peut dire, qu’une légitimation de l’écriture de presse. Non, il n’existe pas un monde, un fossé entre eux, celui qui séparerait l’écrivain de l’écrivant. Bien des aller-retour existent, bien des ponts et l’on peut en classe refaire ce chemin-là. Ni la presse ni la littérature n’ont à y perdre.

Jean-Michel Zakhartchouk